2-5-3. Kristian Birkeland à H. Poincaré

Christiania 27/10 98

Universitetets fysiske Institut11endnote: 1 Birkeland vient d’être nommé professeur de physique à l’université de Kristiania; voir Birkeland à Poincaré, 09.03.1898 (§ 2-5-2).

Cher Monsieur,

Je me suis permis de vous envoyer un mémoire sur le phénomène de succion des rayons cathodiques par un pôle magnétique.22endnote: 2 Birkeland 1898a, 1898b. Il s’agit de ce qu’on appellera rayons magnéto-cathodiques ou rayons Broca; à ce propos voir Carazza & Kragh (1990).

Je suppose qu’il vous intéressera de voir, jusqu’à quel point vos prévisions si suggestives dans la note des Compt. rend 123 pag. 930 se sont vérifiées.33endnote: 3 Poincaré (1896) trouva les équations du mouvement d’une charge électrique dans le champ d’un pôle magnétique, correspondant au phénomène décrit par Birkeland (1896). Poincaré observa que si un faisceau parallèle de rayons cathodiques devient convergent et la distance de l’aimant est convenable, il est alors concentré en un foyer “au point de faire fondre le verre en très peu de temps.” Plus loin il émit l’hypothèse, conforme à celle de Crookes “d’une particule matérielle en mouvement très rapide, chargée d’électricité.”

J’espère pouvoir achever bientôt la seconde partie du présent mémoire—concernant les mesures proprement dites—et nous verrons si ces recherches, grâce à votre analyse, ne nous fourniront pas une vérification très complète des admirables vues de Crookes.44endnote: 4 William Crookes (1832–1919), physicien et chimiste anglais, fellow de la Société royale de Londres. Ses expériences, qu’il menait depuis 1856 dans son laboratoire privé à Londres, portaient sur les décharges électriques dans les gaz raréfiés et l’ont conduit vers 1879 à la théorie de la “matière radiante”, selon laquelle il existe un “quatrième état” de la matière (DeKosky 1976).

Par la petite carte incluse dans le mémoire, vous avez probablement vu que je suis nommé maintenant professeur de notre université dans la nouvelle chaire de physique.55endnote: 5 Voir Birkeland à Poincaré, 09.03.1898 (§ 2-5-2). Je me fais un plaisir de vous l’annoncer, sachant que vous suivez vos anciens élèves avec le plus grand intérêt.

Par la même occasion je viens vous prier de reporter un peu de votre bienveillance pour moi, et de l’assistance que vous m’avez toujours prêtée pendant mes études à Paris, sur un autre jeune Norvégien M. Carl Störmer qui va completer à Paris ses études mathématiques, et qui suivra vos cours.66endnote: 6 Carl Störmer (1874–1957) fut nommé professeur de mathématiques à l’université de Kristiania en 1903. Il collabora avec Birkeland dans ses investigations des aurores boréales; voir Egeland & Burke (2005, 98–100).

Il m’a prié de vous le recommander, ce que je fais d’autant plus volontiers que je suis persuadé qu’il est de ceux qui fourniront un jour des travaux dont vous aurez lieu d’être content.

Recevez, Monsieur, je vous prie mes salutations les plus empressées.

Votre dévoué,

Kr. Birkeland

ALS 3p. Collection particulière, Paris 75017.

Time-stamp: " 3.05.2019 01:30"

Notes

  • 1 Birkeland vient d’être nommé professeur de physique à l’université de Kristiania; voir Birkeland à Poincaré, 09.03.1898 (§ 2-5-2).
  • 2 Birkeland 1898a, 1898b. Il s’agit de ce qu’on appellera rayons magnéto-cathodiques ou rayons Broca; à ce propos voir Carazza & Kragh (1990).
  • 3 Poincaré (1896) trouva les équations du mouvement d’une charge électrique dans le champ d’un pôle magnétique, correspondant au phénomène décrit par Birkeland (1896). Poincaré observa que si un faisceau parallèle de rayons cathodiques devient convergent et la distance de l’aimant est convenable, il est alors concentré en un foyer “au point de faire fondre le verre en très peu de temps.” Plus loin il émit l’hypothèse, conforme à celle de Crookes “d’une particule matérielle en mouvement très rapide, chargée d’électricité.”
  • 4 William Crookes (1832–1919), physicien et chimiste anglais, fellow de la Société royale de Londres. Ses expériences, qu’il menait depuis 1856 dans son laboratoire privé à Londres, portaient sur les décharges électriques dans les gaz raréfiés et l’ont conduit vers 1879 à la théorie de la “matière radiante”, selon laquelle il existe un “quatrième état” de la matière (DeKosky 1976).
  • 5 Voir Birkeland à Poincaré, 09.03.1898 (§ 2-5-2).
  • 6 Carl Störmer (1874–1957) fut nommé professeur de mathématiques à l’université de Kristiania en 1903. Il collabora avec Birkeland dans ses investigations des aurores boréales; voir Egeland & Burke (2005, 98–100).

Références

  • K. Birkeland (1896) Sur un spectre des rayons cathodiques. Comptes rendus hebdomadaires des séances de l’Académie des sciences de Paris 123 (13), pp. 492–495. link1 Cited by: endnote 3.
  • K. Birkeland (1898a) Sur le spectre des rayons cathodiques. Comptes rendus hebdomadaires des séances de l’Académie des sciences de Paris 126, pp. 228. link1 Cited by: endnote 2.
  • K. Birkeland (1898b) Sur une analogie d’action entre les rayons lumineux et les lignes de force magnétique. Comptes rendus hebdomadaires des séances de l’Académie des sciences de Paris 126 (8), pp. 586–589. link1 Cited by: endnote 2.
  • B. Carazza and H. Kragh (1990) Augusto Righi’s magnetic rays: a failed research program in early 20th-century physics. Historical Studies in the Physical and Biological Sciences 21, pp. 1–28. Cited by: endnote 2.
  • R. K. DeKosky (1976) William Crookes and the fourth state of matter. Isis 67, pp. 36–60. link1 Cited by: endnote 4.
  • A. Egeland and W. J. Burke (2005) Kristian Birkeland: The First Space Scientist. Springer, Berlin. Cited by: endnote 6.
  • H. Poincaré (1896) Remarques sur une expérience de M. Birkeland. Comptes rendus hebdomadaires des séances de l’Académie des sciences de Paris 123, pp. 530–533. link1 Cited by: endnote 3.