2-29-3. Camille Gutton à H. Poincaré

Nancy 17 juin 1900

Cher Monsieur,

[Uncaptioned image]

J’ai fait les expériences sur la propagation des ondes électriques le long de fils plongés dans l’eau, dont vous m’aviez parlé. Je n’ai pas trouvé les mêmes résultats que M. Turpain.11endnote: 1 Turpain (1899), Gutton (1901); voir aussi Gutton à Poincaré, 29.11.1899 (§ 2-29-1). J’ai commencé par répéter ses expériences. Le résonateur restait toujours dans l’air et les fils qui propagent les ondes étaient tantôt dans l’eau, tantôt dans l’air ; ils étaient tendus dans une cuve en bois de 4mètres4^{\textrm{mètres}} de long.

J’ai trouvé que, quelque soit la position du résonateur, la 1/2\nicefrac{{1}}{{2}} longueur d’onde était 8,5 fois plus petite quand les fils étaient dans l’eau que lorsqu’ils étaient dans l’air. M. Turpain avait trouvé que si le résonateur est dans le plan des fils, la longueur d’onde est la même que les fils soient dans l’air ou dans l’eau. Je n’ai perçu qu’une explication possible de ce résultat. Si au dessus de la cuve qui contient les fils et hors de l’eau, on place un résonateur, on aperçoit des étincelles à la coupure. Il passe donc des ondes dans l’air à côté de la cuve.

L’étincelle à la coupure change de longueur avec la position du pont qui réunit les fils dans l’eau. Cette étincelle est la plus longue possible quand le pont est près du résonateur et diminue si on éloigne ce pont pour disparaître ensuite complètement. Toutefois, il est impossible d’arriver à observer convenablement des extinctions et des maxima successifs de l’étincelle. J’ai cherché si les extinctions observées par M. Turpain ne pouvaient pas provenir de ces ondes qui passent dans l’air à côté de la cuve. J’ai remis le résonateur à sa place primitive et ai pu arriver à voir un minimum de l’étincelle donnant bien une longueur d’onde voisine de celle que l’on observe lorsqu’il n’y a pas d’eau dans la cuve, mais ce minimum est très peu marqué on ne peut même arriver à l’observer que si on écarte les fils de transmission l’un de l’autre de manière à les amener contre les parois de la cuve. Les minima correspondant à l’eau qui sont 8,5 fois plus rapprochés que dans l’air, sont au contraire bien nets et beaucoup plus visibles.

[Uncaptioned image]

J’ai complété ces expériences en plaçant également le résonateur dans l’eau, il était placé dans une caisse en bois en avant et contre l’angle contenant les fils, la coupure était sous l’eau et les étincelles dans l’eau étaient suffisamment longues et suffisamment brillantes pour que l’on puisse observer le premier maximum et le premier minimum. Ceux-ci se sont trouvés très sensiblement à la même place que si le résonateur et les fils étaient dans l’air.

Voici d’ailleurs les résultats que j’ai trouvé avec un résonateur circulaire de 36cm de diamètre.

Résonateur dans le plan des fils22endnote: 2 Il s’agit du cas du résonateur sensible au champ magnétique.

[Uncaptioned image]
Positions du pont P à partir du point O.
Résonateur dans l’airFils dans l’air 1er nœud 28cm 28cm 28cm 28cm 27cm
2e nœud 170 175 172 171 176 173
3e nœud " " " 315 320 317

1/2\nicefrac{{1}}{{2}} longueur d’onde 145cm

Résonateur dans l’airFils dans l’eau 1er nœud 8 8,5 8cm
2e nœud 25 26 25cm
3e nœud 41 42 41cm

Les 2 1ers minima sont bien nets.
1/2\nicefrac{{1}}{{2}} longueur d’onde déduite des 2 1ers minima = 17cm
Indice de réfraction de l’eau 14517=8,5\frac{145}{17}=8,5

Résonateur dans l’eauFils dans l’eau 1er nœud 29 30 25 30 29 30
ventre 100 103 101 104 104 96
2e nœud 172 179 180 175 171 175

Le 2e nœud se détermine mal mais le premier est très net, ainsi que le ventre.
1/2\nicefrac{{1}}{{2}} long d’onde (même que dans l’air) = 144cm

Résonateur dans le plan perpendiculaire au plan des fils.33endnote: 3 Il s’agit du cas du résonateur sensible au champ électrique, et on constate bien la coïncidence des nœuds de champ électrique avec les ventres de champ magnétique.

[Uncaptioned image]
Distances du pont à partir du point O.
Résonateur dans l’airFils dans l’air ventre 32 30
1er nœud 108 107 107 107
2e ventre 173 178 179
2e nœud 246 246 248 249

1/2\nicefrac{{1}}{{2}} longueur d’onde déduite de la distance des nœuds = 140cm

Résonateur dans l’airFils dans l’eau 1er nœud 11,5 11,5
2e nœud 29 28
3e nœud 46 48 45

1/2\nicefrac{{1}}{{2}} longueur d’onde déduite de la distance des deux 1ers nœuds = 17cm
Indice de l’eau 14017=8,2\frac{140}{17}=8,2

Résonateur dans l’eauFils dans l’eau 1er ventre 28 30 28 30
1er nœud 104 106 100 108
2e ventre 161 168 se détermine mal

1/2\nicefrac{{1}}{{2}} longueur d’onde déduite du 1er ventre et du 1er nœud = 150cm
Cette longueur d’onde ne se détermine pas assez facilement pour que l’on puisse admettre que la différence avec la longueur d’onde dans l’air soit due à autre chose qu’à des erreurs d’expérience.

Dans le cas où le résonateur était dans l’eau, j’avais craint que les vibrations ne soient considérablement amorties et que la résonance multiple ne subsiste plus, aussi j’ai fait l’expérience avec différentes longueurs d’onde de l’excitateur, elles m’ont donné des résultats concordants.

J’ai donc retrouvé avec l’eau les mêmes phénomènes que l’on avait trouvé avec des liquides isolants et non ceux annoncés par M. Turpain. La cause des phénomènes observés par M. Turpain ne m’apparaît toutefois pas nettement car si la seule explication que j’en ai trouvé est la vraie, il aurait dû retrouver en même temps que la longueur d’onde correspondant aux ondes qui se propagent en dehors de l’eau, celle qui correspond aux ondes qui se propagent dans l’eau très près des fils et qui est beaucoup plus facile à observer.

M. Blondlot me charge de le rappeler à votre bon souvenir. Je vous prie de présenter mes respectueux hommages à Madame Poincaré et de vouloir bien recevoir l’assurance de mes sentiments dévoués.

Votre bien dévoué.

C. Gutton

ALS 6p. Collection particulière, Paris 75017.

Time-stamp: " 3.05.2019 01:30"

Notes

  • 1 Turpain (1899), Gutton (1901); voir aussi Gutton à Poincaré, 29.11.1899 (§ 2-29-1).
  • 2 Il s’agit du cas du résonateur sensible au champ magnétique.
  • 3 Il s’agit du cas du résonateur sensible au champ électrique, et on constate bien la coïncidence des nœuds de champ électrique avec les ventres de champ magnétique.

Références

  • C. Gutton (1901) Sur la propagation des oscillations hertziennes dans l’eau. Comptes rendus hebdomadaires des séances de l’Académie des sciences de Paris 132, pp. 543–545. link1 Cited by: endnote 1.
  • A. Turpain (1899) Recherches expérimentales sur les oscillations électriques. Ph.D. Thesis, Faculté des sciences de Bordeaux, Bordeaux. Cited by: endnote 1.