2-36-6. H. Poincaré à Henry Le Chatelier

[Ca. 27.10–02.11.1907]

Mon cher Confrère,

Je ne suis pas aussi naïf que vous le croyez et je n’espère pas qu’on puisse instantanément découvrir les lois de la décomposition au point de vue physico chimique, c’est à dire connaître toutes les variables qui peuvent influencer sur la vitesse de réaction ; mais il me semble que nous ignorons non seulement les circonstances qui peuvent faire varier cette vitesse, mais la nature de la réaction elle-même. Il me semble qu’il ne serait pas inutile de faire l’analyse non pas élémentaire, mais immédiate de brins arrivés à différents degrés de décomposition, que cette décomposition ait été spontanée ou provoquée par chauffage plus ou moins prolongé. Le peu qu’on pourrait recueillir dans cette voie vaudrait mieux que rien.11endnote: 1 Poincaré répond à la lettre de Le Chatelier du 27.10.1907 (§ 2-36-5).

Votre argumentation me semble corroborer ma thèse; plus le travail doit être long, plus il y a lieu de le commencer promptement puisqu’on ne saurait nier qu’il ne soit indispensable ; et puisque d’ailleurs il nous donnera déjà des fruits partiels appréciables longtemps avant d’être terminé.

D’autre part, comme ces fruits, même ceux que nous cueillerons les premiers, ne sauraient être immédiats, il faut que les travailleurs qui en seront chargés soient affranchis du souci de l’application immédiate, qui pèse forcément sur ceux qui sont astreints au service courant.

Quoiqu’il en soit, j’approuve votre projet de sous commission (Vieille, Haller, Le Chatelier, Köhler).22endnote: 2 Paul Vieille, Albin Haller, Henri Le Chatelier, Albert Koehler. Elle pourra discuter avec calme et loin des causes multiples d’irritation, elle déterminera ce qui serait utile et ce qui serait possible; je ne dis pas avec les ressources actuelles, (car alors tout le possible a été fait sans aucun doute) je veux dire avec les ressources nouvelles que l’on peut raisonnablement demander aux ministres.

Une fois ce programme tracé, vous verrez sans doute qu’il ne peut pas être réalisé avec les ressources actuelles, vous chercherez quels sont les moyens les plus prompts et les plus économiques de le réaliser et vous proposerez de les demander au ministre.

Je parlerai de votre projet à M. Haller, et s’il y acquiesce, nous pourrons y donner suite.

Permettez moi de vous dire que vous êtes trop pessimiste. Sur 13 membres de la Con, nous pouvons compter sur 6, Vieille, Gossot, Barral, Haller, vous et moi.33endnote: 3 Hubert Gossot (1853–1935) est ancien élève de l’École polytechnique (1874), général d’artillerie coloniale, et membre adjoint de la commission des substances explosives (Mémorial des poudres et salpêtres 14, 1907–1908, 202). Barral est ingénieur des poudres et salpêtres. Mais vous raisonnez comme si les 7 autres avaient un parti pris irréductible. Rien ne nous autorise à le supposer. Une concession faite à propos peut suffire pour nous rallier l’un d’entre eux et nous assurer la majorité.

Votre bien dévoué Confrère,

Poincaré

ALS 4p. Fonds H. Le Chatelier 29, archives de l’Académie des sciences.

Time-stamp: " 3.05.2019 01:30"

Notes

  • 1 Poincaré répond à la lettre de Le Chatelier du 27.10.1907 (§ 2-36-5).
  • 2 Paul Vieille, Albin Haller, Henri Le Chatelier, Albert Koehler.
  • 3 Hubert Gossot (1853–1935) est ancien élève de l’École polytechnique (1874), général d’artillerie coloniale, et membre adjoint de la commission des substances explosives (Mémorial des poudres et salpêtres 14, 1907–1908, 202). Barral est ingénieur des poudres et salpêtres.