1-1-207. H. Poincaré à Gösta Mittag-Leffler

[03.05.1904]11endnote: 1 Date du cachet de la poste de Paris. Paris-3 mai — Berlin-8 mai.

Mon cher ami,

Je prépare un article plus long sur la question Gyldén ; seulement ce n’est pas amusant à faire ; voulez-vous que je vous dise ; c’est un 2d Bertillon ;22endnote: 2 Le 18 avril 1904, Poincaré avait été chargé avec Appell et Darboux par la Chambre criminelle de la Cour de cassation, de procéder à une étude du bordereau et des théories graphologiques de Bertillon qui avaient été au centre de l’accusation contre le capitaine Dreyfus. Le rapport, rédigé par Poincaré et rendu le 2 août 1904, est une condamnation sans appel de l’analyse de Bertillon (Appell, Darboux, Poincaré 1909, 579). Déjà, lors du procès de Rennes, Poincaré était intervenu de manière très polémique contre le système Bertillon dans une lettre lue par Painlevé le 4 septembre 1899 : “En résumé les calculs de M. Bernard sont exacts, ceux de M. Bertillon ne le sont pas. Le seraient-ils, qu’aucune conclusion ne serait pour cela légitime, parce que l’application du calculs des probabilités aux sciences morales est, comme l’a dit je ne sais plus qui, le scandale des mathématiques, parce que Laplace et Condorcet, qui calculaient bien, eux sont arrivés à des résultats dénués de sens commun ! Rien de tout cela n’a de caractère scientifique, et je ne puis comprendre vos inquiétudes. Je ne sais si l’accusé sera condamné, mais s’il l’est, ce sera sur d’autres preuves. Il est impossible qu’une telle argumentation fasse quelque impression sur des hommes sans parti pris et qui ont reçu une éducation scientifique solide.” (Poincaré 1900, 331) Pour plus de précisions, on peut consulter l’article de Rollet (1997). tout ce qu’il dit est obscur ; et ses obscurités, ses contradictions même le protègent contre la critique.33endnote: 3 La conclusion du mémoire de Poincaré (Poincaré 1905; Lévy 1952, 587–618) reprendra ces critiques : “Quelques-uns des résultats [de Gyldén] sont manifestement exacts, mais on aurait pu y arriver par une voie beaucoup plus rapide ; un plus grand nombre sont manifestement faux ; la plupart sont énoncés d’une façon trop obscure pour qu’on puisse décider s’ils sont vrais ou faux.” (Lévy 1952, 618)

Je viens de recevoir de M. Simon, Directeur de la Physikalische Zeitschrift où a paru l’article de Buchholtz44endnote: 4 L’astronome de Halle, et ancien élève de Gyldén, Hugo Buchholz (1866–1921) avait publié, en février 1904, un article (Buchholz 1904) consacré aux conséquences en astronomie du mémoire primé de Poincaré (Poincaré 1890) et des travaux de Gyldén. Cet article de Buchholz vise, comme celui, plus long, publié en 1903, de rétablir la reputation de la méthode de Gyldén suite aux critiques de Poincaré à son encontre (Poincaré 1901). La compréhension par Buchholz de l’approche de Gyldén fut critiquée sévèrement par l’ancien assistant de celui-ci, et directeur de l’Observatoire de Poulkovo, Oscar Backlund (1903). une lettre où il me demande l’autorisation de traduire l’article des C𝑡𝑒𝑠{}^{\mathit{tes}} Rendus ;55endnote: 5 Poincaré 1904a; Lévy 1952, 583–586. je la lui ai accordée.66endnote: 6 Poincaré 1904c.

Quant à l’article détaillé77endnote: 7 Pendant la rédaction de l’article détaillé, Poincaré publiera une note (Poincaré 1904b; Lévy 1952, 619–621) sur le même sujet. qui n’est pas près d’être terminé, je vous le réserve.88endnote: 8 Poincaré 1905; Lévy 1952, 587–618. Vous jugerez sans doute qu’il vaut mieux l’attendre et ne pas reproduire l’article des C𝑡𝑒𝑠{}^{\mathit{tes}} Rendus. Si vous en jugiez autrement, je vous y autoriserais volontiers.

Tout à vous.

Poincaré

ALS 2p. IML 123, Mittag-Leffler Archives, Djursholm.

Time-stamp: " 1.06.2020 10:49"

Notes

  • 1 Date du cachet de la poste de Paris. Paris-3 mai — Berlin-8 mai.
  • 2 Le 18 avril 1904, Poincaré avait été chargé avec Appell et Darboux par la Chambre criminelle de la Cour de cassation, de procéder à une étude du bordereau et des théories graphologiques de Bertillon qui avaient été au centre de l’accusation contre le capitaine Dreyfus. Le rapport, rédigé par Poincaré et rendu le 2 août 1904, est une condamnation sans appel de l’analyse de Bertillon (Appell, Darboux, Poincaré 1909, 579). Déjà, lors du procès de Rennes, Poincaré était intervenu de manière très polémique contre le système Bertillon dans une lettre lue par Painlevé le 4 septembre 1899 : “En résumé les calculs de M. Bernard sont exacts, ceux de M. Bertillon ne le sont pas. Le seraient-ils, qu’aucune conclusion ne serait pour cela légitime, parce que l’application du calculs des probabilités aux sciences morales est, comme l’a dit je ne sais plus qui, le scandale des mathématiques, parce que Laplace et Condorcet, qui calculaient bien, eux sont arrivés à des résultats dénués de sens commun ! Rien de tout cela n’a de caractère scientifique, et je ne puis comprendre vos inquiétudes. Je ne sais si l’accusé sera condamné, mais s’il l’est, ce sera sur d’autres preuves. Il est impossible qu’une telle argumentation fasse quelque impression sur des hommes sans parti pris et qui ont reçu une éducation scientifique solide.” (Poincaré 1900, 331) Pour plus de précisions, on peut consulter l’article de Rollet (1997).
  • 3 La conclusion du mémoire de Poincaré (Poincaré 1905; Lévy 1952, 587–618) reprendra ces critiques : “Quelques-uns des résultats [de Gyldén] sont manifestement exacts, mais on aurait pu y arriver par une voie beaucoup plus rapide ; un plus grand nombre sont manifestement faux ; la plupart sont énoncés d’une façon trop obscure pour qu’on puisse décider s’ils sont vrais ou faux.” (Lévy 1952, 618)
  • 4 L’astronome de Halle, et ancien élève de Gyldén, Hugo Buchholz (1866–1921) avait publié, en février 1904, un article (Buchholz 1904) consacré aux conséquences en astronomie du mémoire primé de Poincaré (Poincaré 1890) et des travaux de Gyldén. Cet article de Buchholz vise, comme celui, plus long, publié en 1903, de rétablir la reputation de la méthode de Gyldén suite aux critiques de Poincaré à son encontre (Poincaré 1901). La compréhension par Buchholz de l’approche de Gyldén fut critiquée sévèrement par l’ancien assistant de celui-ci, et directeur de l’Observatoire de Poulkovo, Oscar Backlund (1903).
  • 5 Poincaré 1904a; Lévy 1952, 583–586.
  • 6 Poincaré 1904c.
  • 7 Pendant la rédaction de l’article détaillé, Poincaré publiera une note (Poincaré 1904b; Lévy 1952, 619–621) sur le même sujet.
  • 8 Poincaré 1905; Lévy 1952, 587–618.

Références

  • O. Backlund (1903) Bemerkungen zu Dr. Buchholz’ Abhandlung ‘Die Gyldénsche horistische Integrationsmethode des Problems der drei Körper und ihre Konvergenz’. Astronomische Nachrichten 163 (23), pp. 353–356. link1, link2 Cited by: endnote 4.
  • H. Buchholz (1903) Die Gyldén’sche horistische Integrationsmethode des Problems der drei Körper und ihre Convergenz. Nova Acta Leopoldina 81 (3). link1 Cited by: endnote 4.
  • H. Buchholz (1904) Poincarés Preisarbeit von 1889/90 und Glydéns Forschung über das Problem der drei Körper in ihren Ergebnissen für die Astronomie. Physikalische Zeitschrift 5 (7), pp. 180–186. link1 Cited by: endnote 4.
  • Conseil de guerre (Ed.) (1900) Le Procès Dreyfus devant le Conseil de Guerre de Rennes, 7 août–9 septembre 1899. Stock, Paris. link1 Cited by: H. Poincaré (1900).
  • J. R. Lévy (Ed.) (1952) Œuvres d’Henri Poincaré, Volume 7. Gauthier-Villars, Paris. link1 Cited by: endnote 3, endnote 5, endnote 7, endnote 8.
  • Ligue Française pour la Défense des Droits de l’Homme et du Citoyen (Ed.) (1909) Affaire Dreyfus: La revision du procès de Rennes; Enquête de la Chambre criminelle de la Cour de cassation, Volume 3. Ligue Française pour la Défense des Droits de l’Homme et du Citoyen, Paris. link1 Cited by: H. Poincaré, G. Darboux, and P. Appell (1909).
  • H. Poincaré, G. Darboux, and P. Appell (1909) Rapport de MM. les experts Darboux, Appell et Poincaré. See Affaire Dreyfus: La revision du procès de Rennes; Enquête de la Chambre criminelle de la Cour de cassation, Volume 3, Ligue Française pour la Défense des Droits de l’Homme et du Citoyen, pp. 500–600. link1 Cited by: endnote 2.
  • H. Poincaré (1890) Sur le problème des trois corps et les équations de la dynamique. Acta mathematica 13, pp. 1–270. link1 Cited by: endnote 4.
  • H. Poincaré (1900) Lettre à M. P. Painlevé. See Le Procès Dreyfus devant le Conseil de Guerre de Rennes, 7 août–9 septembre 1899, Conseil de guerre, pp. 329–331. link1 Cited by: endnote 2.
  • H. Poincaré (1901) Sur la théorie de la précession. Comptes rendus hebdomadaires des séances de l’Académie des sciences de Paris 132 (2), pp. 50–55. link1 Cited by: endnote 4.
  • H. Poincaré (1904a) Sur la méthode horistique de Gyldén. Comptes rendus hebdomadaires des séances de l’Académie des sciences de Paris 138 (16), pp. 933–936. link1 Cited by: endnote 5.
  • H. Poincaré (1904b) Sur la méthode horistique; observations sur l’article de M. Backlund. Bulletin astronomique 21, pp. 292–295. link1 Cited by: endnote 7.
  • H. Poincaré (1904c) Über die horistische Methode Gyldéns. Physikalische Zeitschrift 5 (13), pp. 385–386. link1 Cited by: endnote 6.
  • H. Poincaré (1905) Sur la méthode horistique de Gyldén. Acta mathematica 29 (1), pp. 235–271. link1 Cited by: endnote 3, endnote 8.
  • L. Rollet (1997) Autour de l’affaire Dreyfus: Henri Poincaré et l’action politique. Revue historique 298, pp. 49–101. link1 Cited by: endnote 2.