1-1-45. H. Poincaré à Gösta Mittag-Leffler

[30/10/1884]11endnote: 1 Date du cachet de la poste de Paris. Paris, 30 novembre – Stockholm, 3 décembre.

Mon cher ami,

Je vous ai adressé il y a quelques jours22endnote: 2 L’article de Poincaré Sur un théorème de M. Fuchs est daté du 25 novembre 1884. déjà un travail33endnote: 3 Poincaré 1885, 1934, 4–31. qui n’est que le développement44endnote: 4 Voir § 1-1-44. de ma note des Comptes Rendus sur un théorème de M. Fuchs.55endnote: 5 Poincaré 1884b, 1934, 1–3.

J’espère pouvoir vous envoyer très prochainement un tirage à part de ma note sur la réduction des intégrales abéliennes.66endnote: 6 Poincaré 1884a, 1934, 333–351.

C’est la démonstration et la généralisation de théorèmes de M. Weierstrass77endnote: 7 Poincaré cite les deux théorèmes de Weierstrass au début de son article : “En 1874, Mme Kowalevski a envoyé à l’Université de Göttingen un Mémoire qui va paraître dans les Acta mathematica. Dans ce Mémoire (Ueber die Reduction einer bestimmten Klasse Abel’scher Integrale 3𝑡𝑒𝑛3^{\mathit{ten}} Ranges auf elliptische Integrale), elle cite les deux théorèmes suivants, dus à Weierstrass :
Si l’on envisage un système de ρ\rho intégrales abéliennes de rang ρ\rho, parmi lesquelles il y en a une qui est susceptible d’être réduite aux intégrales elliptiques, et si l’on considère également la fonction Θ\Theta correspondante :

1° Cette fonction Θ\Theta à ρ\rho variables peut être changée, par une transformation d’ordre kk, en un produit d’une fonction Θ\Theta à une variable et d’une fonction Θ\Theta à ρ\rho1 variables.

2° Elle peut également par une transformation linéaire, c’est à dire du premier ordre, être amenée à une forme telle que, le tableau des périodes s’écrivant comme il suit :
{100τ11τ12τ1ρ010τ21τ22τ2ρ...001τρ1τρ2τρρ\left\{{\begin{array}[]{*{20}c}1&0&\ldots&0&{\tau_{11}}&{\tau_{12}}&\ldots&{% \tau_{1\rho}}\\ 0&1&\ldots&0&{\tau_{21}}&{\tau_{22}}&\ldots&{\tau_{2\rho}}\\ .&.&\ldots&.&\ldots&\ldots&\ldots&\ldots\\ 0&0&\ldots&1&{\tau_{\rho 1}}&{\tau_{\rho 2}}&\ldots&{\tau_{\rho\rho}}\end{% array}}\right. avec les conditions habituelles ταβ=τβα\tau_{\alpha\beta}=\tau_{\beta\alpha} la période τ12\tau_{12} soit commensurable et que les périodes τ13,τ14,,τ1ρ\tau_{13},\tau_{14},\quad\ldots,\tau_{1\rho} soient nulles.
Le premier de ces théorèmes a été communiqué à M. Königsberger et le second à Mme Kowalevski par des lettres de M. Weierstrass. Mais ils ne paraissent pas avoir été publiés.” (Poincaré 1934, 333–334)
Le premier est exposé et utilisé par Kovalevskaia dans l’introduction de son article (Kovalevskaia 1884, 398) dans laquelle elle rappelle les travaux de Kœnigsberger (1865) sur la réduction des intégrales abéliennes du premier ordre à des intégrales elliptiques. Le second est cité au début du développement de son propre travail (Kovalevskaia 1884, 400). Weierstrass évoque ce théorème dans une lettre adressée à Kovalevskaia le 14 juin 1882 (Bölling 1993, 270–271).
énoncés par Mme Kowalevski dans les Acta. Mme Kowalevski m’a promis il y a quelque temps de me faire connaître les méthodes qu’avait employées M. Weierstrass ; je pense les recevoir bientôt.88endnote: 8 Poincaré avait écrit à Kovalevskaia le 14 septembre 1884 pour demander des précisions sur les démonstrations des théorèmes de Weierstrass cités dans son article sur la réduction des intégrales abéliennes (1884) : “J’ai reçu dernièrement les épreuves de votre mémoire sur la réduction des intégrales abéliennes du 3e rang, et je les ai lues avec le plus vif intérêt. J’y trouve énoncés deux théorèmes de M. Weierstrass. La démonstration en a-t-elle été publiée ; je ne le crois pas. C’est pourquoi, bien qu’elle ne soit pas bien difficile à trouver, j’ai cru être utile à mes compatriotes en la publiant dans le Bulletin de la Société Mathématique de France, car il est très difficile en France de se procurer ces démonstrations que M. Weierstrass communique à quelques amis, mais ne fait pas imprimer.
Pourriez-vous me renseigner au sujet de la marche qu’a employée l’illustre géomètre pour démontrer ces deux théorèmes ? Car j’ai lieu de croire que celle que j’ai suivie est différente non pas quant au fond mais quant à la forme et au mode d’exposition.
Pouriez vous me dire également si M. Weierstrass vous a communiqué des généralisations de ces deux théorèmes, pour le cas où au lieu d’une intégrale réductible aux fonctions elliptiques, on a μ\mu intégrales linéairement indépendantes réductibles au rang μ\mu.” (IML Poincaré 22)
Dans sa réponse du 25 octobre, Kovalevskaia s’excuse de ne pas envoyer de réponses à ces questions de suite car elle ne dispose pas de ses archives. D’après Poincaré, elle ne lui a pas envoyé les démonstrations de Weierstrass : “J’ai donné deux démonstrations différentes de ces propositions ; j’ignore encore si mes méthodes sont identiques à celles de M. Weierstrass.” (Poincaré 1921, 80) Poincaré avait discuté de ces théorèmes de Weierstrass avec Picard puisque celui-ci avait obtenu un théorème analogue dans un cas particulier (Picard 1881). Dans sa lettre adressée à Poincaré le 30 octobre 1884, Picard propose une note additive (Picard 1884) à l’article de Poincaré : “A la suite de notre conversation de l’autre jour, j’ai pris le Mémoire de Madame de Kowalevski pour avoir l’énoncé de Weierstrass.
Le théorème que j’ai donné autrefois pour ρ=2\rho=2 ne coïncide pas entièrement avec celui de Weierstrass, et pour ma tranquilité personnelle j’ai tenu à vérifier directement que de la forme de Weierstrass on pouvait passer à la mienne.
Vous pouvez insérer les deux pages que je vous envoie dans notre Bulletin à la suite des démonstrations que vous donnez des théorèmes de Weierstrass.” (Dugac 1989, 201)
Poincaré situe ses résultats sur cette question par rapport à ceux de Picard et Weierstrass dans l’analyse de ses travaux. Il poursuivra ses recherches dans une note aux Comptes rendus (1886a, 1934, 360–361) et un article à l’American Mathematical Journal (1886b, 1950, 318–378) : “Le théorème de Weierstrass était plus général en un sens que le théorème de M. Picard sur le même sujet ; ce dernier ne s’appliquait en effet qu’à la réduction du genre 2 au genre 1 ; le géomètre allemand avait étudié la réduction d’un genre ρ\rho quelconque au genre 1. D’autre part, le théorème de M. Picard contenait plus que celui de M. Weierstrass, car la réduction y était poussée plus loin. Etait-il possible de trouver une proposition qui contînt à la fois celle de M. Weierstrass et celle de M. Picard, c’est à dire de pousser dans le cas général la réduction aussi loin que ce dernier analyste ? L’application de ma seconde méthode m’a fait reconnaître que cela peut se faire sans difficulté.” (Poincaré 1921, 80–81)

Je n’ai toujours reçu aucune réponse de M. Kaufmann au sujet de la publication dans le Monde Illustré de la biographie de Mme Kowalevski.99endnote: 9 Voir §§ 1-1-41, 1-1-42, 1-1-43, et 1-1-44.

Votre ami dévoué

Poincaré

ALS 2p. IML 24, Mittag-Leffler Archives, Djursholm.

Time-stamp: " 3.07.2022 09:40"

Notes

  • 1 Date du cachet de la poste de Paris. Paris, 30 novembre – Stockholm, 3 décembre.
  • 2 L’article de Poincaré Sur un théorème de M. Fuchs est daté du 25 novembre 1884.
  • 3 Poincaré 1885, 1934, 4–31.
  • 4 Voir § 1-1-44.
  • 5 Poincaré 1884b, 1934, 1–3.
  • 6 Poincaré 1884a, 1934, 333–351.
  • 7 Poincaré cite les deux théorèmes de Weierstrass au début de son article : “En 1874, Mme Kowalevski a envoyé à l’Université de Göttingen un Mémoire qui va paraître dans les Acta mathematica. Dans ce Mémoire (Ueber die Reduction einer bestimmten Klasse Abel’scher Integrale 3𝑡𝑒𝑛3^{\mathit{ten}} Ranges auf elliptische Integrale), elle cite les deux théorèmes suivants, dus à Weierstrass : Si l’on envisage un système de ρ\rho intégrales abéliennes de rang ρ\rho, parmi lesquelles il y en a une qui est susceptible d’être réduite aux intégrales elliptiques, et si l’on considère également la fonction Θ\Theta correspondante : 1° Cette fonction Θ\Theta à ρ\rho variables peut être changée, par une transformation d’ordre kk, en un produit d’une fonction Θ\Theta à une variable et d’une fonction Θ\Theta à ρ\rho1 variables. 2° Elle peut également par une transformation linéaire, c’est à dire du premier ordre, être amenée à une forme telle que, le tableau des périodes s’écrivant comme il suit : {100τ11τ12τ1ρ010τ21τ22τ2ρ...001τρ1τρ2τρρ\left\{{\begin{array}[]{*{20}c}1&0&\ldots&0&{\tau_{11}}&{\tau_{12}}&\ldots&{% \tau_{1\rho}}\\ 0&1&\ldots&0&{\tau_{21}}&{\tau_{22}}&\ldots&{\tau_{2\rho}}\\ .&.&\ldots&.&\ldots&\ldots&\ldots&\ldots\\ 0&0&\ldots&1&{\tau_{\rho 1}}&{\tau_{\rho 2}}&\ldots&{\tau_{\rho\rho}}\end{% array}}\right. avec les conditions habituelles ταβ=τβα\tau_{\alpha\beta}=\tau_{\beta\alpha} la période τ12\tau_{12} soit commensurable et que les périodes τ13,τ14,,τ1ρ\tau_{13},\tau_{14},\quad\ldots,\tau_{1\rho} soient nulles. Le premier de ces théorèmes a été communiqué à M. Königsberger et le second à Mme Kowalevski par des lettres de M. Weierstrass. Mais ils ne paraissent pas avoir été publiés.” (Poincaré 1934, 333–334) Le premier est exposé et utilisé par Kovalevskaia dans l’introduction de son article (Kovalevskaia 1884, 398) dans laquelle elle rappelle les travaux de Kœnigsberger (1865) sur la réduction des intégrales abéliennes du premier ordre à des intégrales elliptiques. Le second est cité au début du développement de son propre travail (Kovalevskaia 1884, 400). Weierstrass évoque ce théorème dans une lettre adressée à Kovalevskaia le 14 juin 1882 (Bölling 1993, 270–271).
  • 8 Poincaré avait écrit à Kovalevskaia le 14 septembre 1884 pour demander des précisions sur les démonstrations des théorèmes de Weierstrass cités dans son article sur la réduction des intégrales abéliennes (1884) : “J’ai reçu dernièrement les épreuves de votre mémoire sur la réduction des intégrales abéliennes du 3e rang, et je les ai lues avec le plus vif intérêt. J’y trouve énoncés deux théorèmes de M. Weierstrass. La démonstration en a-t-elle été publiée ; je ne le crois pas. C’est pourquoi, bien qu’elle ne soit pas bien difficile à trouver, j’ai cru être utile à mes compatriotes en la publiant dans le Bulletin de la Société Mathématique de France, car il est très difficile en France de se procurer ces démonstrations que M. Weierstrass communique à quelques amis, mais ne fait pas imprimer. Pourriez-vous me renseigner au sujet de la marche qu’a employée l’illustre géomètre pour démontrer ces deux théorèmes ? Car j’ai lieu de croire que celle que j’ai suivie est différente non pas quant au fond mais quant à la forme et au mode d’exposition. Pouriez vous me dire également si M. Weierstrass vous a communiqué des généralisations de ces deux théorèmes, pour le cas où au lieu d’une intégrale réductible aux fonctions elliptiques, on a μ\mu intégrales linéairement indépendantes réductibles au rang μ\mu.” (IML Poincaré 22) Dans sa réponse du 25 octobre, Kovalevskaia s’excuse de ne pas envoyer de réponses à ces questions de suite car elle ne dispose pas de ses archives. D’après Poincaré, elle ne lui a pas envoyé les démonstrations de Weierstrass : “J’ai donné deux démonstrations différentes de ces propositions ; j’ignore encore si mes méthodes sont identiques à celles de M. Weierstrass.” (Poincaré 1921, 80) Poincaré avait discuté de ces théorèmes de Weierstrass avec Picard puisque celui-ci avait obtenu un théorème analogue dans un cas particulier (Picard 1881). Dans sa lettre adressée à Poincaré le 30 octobre 1884, Picard propose une note additive (Picard 1884) à l’article de Poincaré : “A la suite de notre conversation de l’autre jour, j’ai pris le Mémoire de Madame de Kowalevski pour avoir l’énoncé de Weierstrass. Le théorème que j’ai donné autrefois pour ρ=2\rho=2 ne coïncide pas entièrement avec celui de Weierstrass, et pour ma tranquilité personnelle j’ai tenu à vérifier directement que de la forme de Weierstrass on pouvait passer à la mienne. Vous pouvez insérer les deux pages que je vous envoie dans notre Bulletin à la suite des démonstrations que vous donnez des théorèmes de Weierstrass.” (Dugac 1989, 201) Poincaré situe ses résultats sur cette question par rapport à ceux de Picard et Weierstrass dans l’analyse de ses travaux. Il poursuivra ses recherches dans une note aux Comptes rendus (1886a, 1934, 360–361) et un article à l’American Mathematical Journal (1886b, 1950, 318–378) : “Le théorème de Weierstrass était plus général en un sens que le théorème de M. Picard sur le même sujet ; ce dernier ne s’appliquait en effet qu’à la réduction du genre 2 au genre 1 ; le géomètre allemand avait étudié la réduction d’un genre ρ\rho quelconque au genre 1. D’autre part, le théorème de M. Picard contenait plus que celui de M. Weierstrass, car la réduction y était poussée plus loin. Etait-il possible de trouver une proposition qui contînt à la fois celle de M. Weierstrass et celle de M. Picard, c’est à dire de pousser dans le cas général la réduction aussi loin que ce dernier analyste ? L’application de ma seconde méthode m’a fait reconnaître que cela peut se faire sans difficulté.” (Poincaré 1921, 80–81)
  • 9 Voir §§ 1-1-41, 1-1-42, 1-1-43, et 1-1-44.

Références

  • R. Bölling (1993) Briefwechsel zwischen Karl Weierstrass und Sofia Kowalewskaja. Akademie Verlag, Berlin. Cited by: endnote 7.
  • J. Drach (Ed.) (1934) Œuvres d’Henri Poincaré, Volume 3. Gauthier-Villars, Paris. link1 Cited by: endnote 3, endnote 5, endnote 6, endnote 7, endnote 8.
  • P. Dugac (1989) Henri Poincaré, la correspondance avec des mathématiciens (de J à Z). Cahiers du séminaire d’histoire des mathématiques 10, pp. 83–229. link1 Cited by: endnote 8.
  • L. Koeningsberger (1865) Über die Transformation der Abelschen Functionen erster Ordnung. Journal für die reine und angewandte Mathematik 64, pp. 17–42. link1 Cited by: endnote 7.
  • S. V. Kovalevskaia (1884) Über die Reduction einer bestimmten Klasse Abel’scher Intergrale 3ten Ranges auf elliptische Intergrale. Acta mathematica 4, pp. 393–414. link1 Cited by: endnote 7, endnote 8.
  • E. Picard (1881) Sur une classe d’intégrales abéliennes et sur certaines équations différentielles. Comptes rendus hebdomadaires des séances de l’Académie des sciences de Paris 92, pp. 398–402. link1 Cited by: endnote 8.
  • E. Picard (1884) Remarque sur la réduction des intégrales abéliennes aux intégrales aux intégrales elliptiques. Bulletin de la Société mathématique de France 12, pp. 153–155. link1 Cited by: endnote 8.
  • H. Poincaré (1884a) Sur la réduction des intégrales abéliennes. Bulletin de la Société mathématique de France 12, pp. 124–143. link1 Cited by: endnote 6.
  • H. Poincaré (1884b) Sur les courbes définies par les équations différentielles. Comptes rendus hebdomadaires des séances de l’Académie des sciences de Paris 98 (5), pp. 287–289. link1 Cited by: endnote 5.
  • H. Poincaré (1885) Sur un théorème de M. Fuchs. Acta mathematica 7 (1), pp. 1–32. link1 Cited by: endnote 3.
  • H. Poincaré (1886a) Sur la réduction des intégrales abéliennes. Comptes rendus hebdomadaires des séances de l’Académie des sciences de Paris 102, pp. 915–916. link1 Cited by: endnote 8.
  • H. Poincaré (1886b) Sur les fonctions abéliennes. American Journal of Mathematics 8 (4), pp. 289–342. link1 Cited by: endnote 8.
  • H. Poincaré (1921) Analyse des travaux scientifiques de Henri Poincaré faite par lui-même. Acta mathematica 38, pp. 1–135. link1 Cited by: endnote 8.
  • G. Valiron (Ed.) (1950) Œuvres d’Henri Poincaré, Volume 4. Gauthier-Villars, Paris. link1 Cited by: endnote 8.