6-1-1. Louis Andre (cabinet) à H. Poincaré

Paris, le 23 avril 1904

République française

Ministère de la Guerre

Cabinet du ministre

Monsieur,

J’ai l’honneur de vous envoyer les 2 clichés faits au ministère de la Guerre à l’arrivée du bordereau. Ainsi que je vous l’ai dit l’autre jour, j’ai retrouvé ces clichés accompagnés d’un bordereau sur lequel le colonel Henry avait écrit la date du 12 octobre 1894.11endnote: 1 Hubert Henry (1846-1898) avait été affecté à la section de statistiques du service des renseignements français en 1893. Il retrouvait alors une institution qu’il connaissait bien puisqu’il y avait travaillé durant plusieurs années au début des années 1880. Il y avait d’ailleurs côtoyé Ferdinand Walsin Esterhazy. Au moment du déclenchement de l’Affaire, son travail consistait à surveiller les espions allemands, notamment en utilisant des agents doubles. C’est donc lui qui avait pu mettre la main sur le bordereau grâce à Marie Bastian, une femme de ménage employée à l’ambassade d’Allemagne à Paris et qui récupérait régulièrement le contenu des corbeilles à papier de l’ambassadeur Max von Schwarzkoppen. En 1896, Henry avait confectionné un faux document, connu plus tard comme le “faux Henry”; ce document, qui consistait une une courte lettre du diplomate italien Alessandro Panizzardi à Schwarzkoppen, tendait à prouver que les autorités diplomatiques italiennes étaient au courant de la trahison de Dreyfus. Après l’aveu de la fabrication de cette fausse lettre au ministre de la Guerre Godefroy Cavaignac en août 1898, Henry avait été emprisonné au Mont Valérien, où il se suicida le 31 août. Après sa mort, les antidreyfusards se mobilisèrent et lancèrent une vaste souscription afin d’ériger un monument à sa mémoire. Les commentaires accompagnant les versements des donateurs, initalement publiés dans les journaux hostiles à Dreyfus, furent rassemblés dans un ouvrage par le journaliste dreyfusard Pierre Quillard sous le titre “Le monument Henry”. Sa lecture donne à voir l’extrême violence de l’antisémitisme de cette époque.

Veuillez agréer, Monsieur, l’assurance de ma considération très distinguée.

[Signature illisible]

ALS 1p. Collection particulière, Paris 75017.

Time-stamp: " 4.05.2019 01:34"

Notes

  • 1 Hubert Henry (1846-1898) avait été affecté à la section de statistiques du service des renseignements français en 1893. Il retrouvait alors une institution qu’il connaissait bien puisqu’il y avait travaillé durant plusieurs années au début des années 1880. Il y avait d’ailleurs côtoyé Ferdinand Walsin Esterhazy. Au moment du déclenchement de l’Affaire, son travail consistait à surveiller les espions allemands, notamment en utilisant des agents doubles. C’est donc lui qui avait pu mettre la main sur le bordereau grâce à Marie Bastian, une femme de ménage employée à l’ambassade d’Allemagne à Paris et qui récupérait régulièrement le contenu des corbeilles à papier de l’ambassadeur Max von Schwarzkoppen. En 1896, Henry avait confectionné un faux document, connu plus tard comme le “faux Henry”; ce document, qui consistait une une courte lettre du diplomate italien Alessandro Panizzardi à Schwarzkoppen, tendait à prouver que les autorités diplomatiques italiennes étaient au courant de la trahison de Dreyfus. Après l’aveu de la fabrication de cette fausse lettre au ministre de la Guerre Godefroy Cavaignac en août 1898, Henry avait été emprisonné au Mont Valérien, où il se suicida le 31 août. Après sa mort, les antidreyfusards se mobilisèrent et lancèrent une vaste souscription afin d’ériger un monument à sa mémoire. Les commentaires accompagnant les versements des donateurs, initalement publiés dans les journaux hostiles à Dreyfus, furent rassemblés dans un ouvrage par le journaliste dreyfusard Pierre Quillard sous le titre “Le monument Henry”. Sa lecture donne à voir l’extrême violence de l’antisémitisme de cette époque.