2-20-1. C. Delsaux à H. Poincaré

Cambrai, le 30 Mars 1908

Sous Ingénieur des Ponts et Chaussées — rue de Monstrelot 9

Monsieur Poincarré,

Je vous remercie du bienveillant accueil que vous avez daigné faire à ma première communication relative au pendule.

Cette question me tourmente encore. Je poursuis l’œuvre takitechnique de M. E. Lagout; j’en suis arrivé, dans mon ouvrage à la question du pendule.11endnote: 1 Édouard Lagout (1820–1884), ancien élève de l’école des ponts et chaussées, et auteur d’ouvrages de calcul graphique, dont Takitechnie (Lagout 1881). Ma méthode n’enseigne, du calcul infinitésimal, que la formule

xm𝑑x=xm+1m+1\int x^{m}dx=\frac{x^{m+1}}{m+1}

que M. Lagout démontre au moyen d’un rectangle.

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t=2gt=2\sqrt{\frac{\ell}{g}}

Les traités classiques donnent la formule dite de Galilée t=πgt=\pi\sqrt{\frac{\ell}{g}} sans aucun coëfficient relatif à l’amplitude de l’angle d’oscillation, ils enseignent ainsi l’isochronisme absolu des oscillations pendulaires, ce qui est une fausse affirmation. L’isochronisme des chutes rectilignes AMAM, BMBM, CMCM, DMDM …etc. est absolu, mais il n’en est pas de même pour les chutes circulaires.

Un professeur d’ici et un jeune ingénieur de Polytechnique me refusent d’admettre la théorie suivante qui découle, comme disait M. E. Lagout, des ombres du calcul algébrique et ne m’inspire pas, pour cette raison, la même certitude qu’une preuve élémentaire, et c’est pourquoi je vous prie d’en être juge.

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Si je considère, à un moment donné, la chute MNMN d’un corps pesant, dans le vide, selon l’arc (α)(\alpha), ce corps franchit l’espace (dα)(d\alpha) en un temps (dt)(dt) et avec une vitesse rgx\sqrt{rgx}, donc :

dα=rgxdtd\alpha=\sqrt{rgx}\cdot dt (1)

Le professeur ne voulut pas me permettre de poser l’équation (1) cependant, je m’offrais, de la manière suivante, à lui en démontrer le bien fondé.

Chute AOBAOB Vitesse en (O) =2gh=\sqrt{2gh}
Vitesse en (B) =2g(h+h)=\sqrt{2g(h+h^{\prime})}
Chute COBCOB^{\prime} Vitesse en (O) =2g=\sqrt{2g^{\prime}\ell} mais g=ghlg^{\prime}=g\frac{h}{l}
donc Vitesse en (O) =2gh=2gh=\sqrt{2g\frac{h}{\ell}\ell}=\sqrt{2gh}
De même : Vitesse en B=2g(+)=2g(h+h)B^{\prime}=\sqrt{2g^{\prime}(\ell+\ell^{\prime})}=\sqrt{2g(h+h^{\prime})}

Si le corps tombe de (CC^{\prime}) c’est la même chose, puisqu’il arrive en (O) avec la vitesse 2gh\sqrt{2gh} comme dans les cas précédents.

Ainsi, sous la seule action de la pesanteur, un corps qui passe du niveau supérieur (AC) au niveau inférieur (BB’) arrive à ce dernier niveau animé d’une vitesse 2g(AB)\sqrt{2g(AB)}, quel que soit le chemin qu’il ait suivi.

De l’équation (1) je tire

dt=dx2gx=12gx12dxdt=\frac{dx}{\sqrt{2gx}}=\frac{1}{\sqrt{2g}}x^{-\frac{1}{2}}dx

et

𝑑t=12gx12𝑑x\int{dt}=\frac{1}{\sqrt{2g}}\int x^{\frac{1}{2}}dx (2)

Il s’agit de faire la somme de zéro à (hh) de tous mes produits variables x12dxx^{\frac{1}{2}}dx

Or,

𝑑α𝑑x=αhou𝑑α=αh𝑑x\frac{\int{d\alpha}}{\int{dx}}=\frac{\alpha}{h}\qquad\text{ou}\qquad\int d% \alpha=\frac{\alpha}{h}\int dx

Je multiplie par x12x^{-\frac{1}{2}} chaque membre de l’égalité qui précède :

x12𝑑α=αh𝑑xx12x^{-\frac{1}{2}}\int d\alpha=\frac{\alpha}{h}\int dxx^{-\frac{1}{2}}

Pour multiplier 𝑑α\int d\alpha par un nombre, il suffit de multiplier chacun des termes de cette somme par ce nombre

x12𝑑α\displaystyle x^{-\frac{1}{2}}\int{d\alpha} =x12dα+x12dα+x12dα etc.\displaystyle=x^{-\frac{1}{2}}d\alpha+x^{-\frac{1}{2}}d\alpha+x^{-\frac{1}{2}}% d\alpha\ldots\text{ etc.}
=x12𝑑α=αhx12𝑑x\displaystyle=\int{x^{-\frac{1}{2}}d\alpha}=\frac{\alpha}{h}{\int x^{-\frac{1}% {2}}dx}

Je porte cette valeur dans l’équation (2) qui devient :

𝑑t=12gαhx12𝑑x\int dt=\frac{1}{\sqrt{2g}}\frac{\alpha}{h}\int{x^{-\frac{1}{2}}}dx

Or,

0hx12𝑑x\displaystyle\int_{0}^{h}x^{-\frac{1}{2}}dx =h12+112+1=h1212=2h\displaystyle=\frac{h^{-\frac{1}{2}+1}}{-\frac{1}{2}+1}=\frac{h^{\frac{1}{2}}}% {\frac{1}{2}}=2\sqrt{h}
𝑑t\displaystyle\int dt =t=12gαh2h=2α2gh\displaystyle=t=\frac{1}{\sqrt{2g}}\frac{\alpha}{h}2\sqrt{h}=\frac{2\alpha}{% \sqrt{2gh}}

Mais α=2πA\alpha=2\pi\ell A et h=l(1cosA)h=l(1-\cos A)

donc

t=4πA2g(1cosA)=πg22A1cosAt=\frac{4\pi\ell A}{\sqrt{2g\ell(1-\cos A)}}=\pi\sqrt{\frac{\ell}{g}}\frac{2% \sqrt{2}A}{\sqrt{1-\cos A}}

1° pour une chute α=90\alpha=90^{\circ}

22A1cosA=221014=22=1,4142\frac{2\sqrt{2}A}{\sqrt{1-\cos A}}=\frac{2\sqrt{2}}{\sqrt{1-0}}\cdot\frac{1}{4% }=\frac{\sqrt{2}}{2}=\frac{1,414}{2}

2° Pour une chute α=36\alpha=36^{\circ}

22A1cosA=2210,809036360=1,2942\frac{2\sqrt{2}A}{\sqrt{1-\cos A}}=\frac{2\sqrt{2}}{\sqrt{1-0,8090}}\cdot\frac% {36}{360}=\frac{1,294}{2}

3° Pour une chute α=1\alpha=1^{\circ}

22A1cosA=2210,99981360=1,1112\frac{2\sqrt{2}A}{\sqrt{1-\cos A}}=\frac{2\sqrt{2}}{\sqrt{1-0,9998}}\cdot\frac% {1}{360}=\frac{1,111}{2}

Pour (2t)(2t) ou une oscillation composée d’une chute et d’une ascension

2t=π1,414lg=4,44lg2t=\pi\cdot 1,414\sqrt{\frac{l}{g}}=4,44\sqrt{\frac{l}{g}}

2t=π1,294lg=4,01lg2t=\pi\cdot 1,294\sqrt{\frac{l}{g}}=4,01\sqrt{\frac{l}{g}}

2t=π1,111lg=3,49lg2t=\pi\cdot 1,111\sqrt{\frac{l}{g}}=3,49\sqrt{\frac{l}{g}}

Il faut donc que l’amplitude descende encore bien au dessous de 1° de part et d’autre du diamètre vertical pour obtenir la formule de Galilée qui fixe la valeur de (gg).

Tout porte à croire que cette valeur découle plutôt de l’observation d’une oscillation d’amplitude sensible et que 9,80889,8088 est trop faible.

Je vous adresse l’étude de mon pauvre et intéressant camarade Goudin ex Commis des Ponts et Chaussées. Si vous aviez un emploi de correcteur d’épreuves de mathématiques ou de calculateur à lui donner, je pense que votre confiance serait bien placée.

Recevez Monsieur Poincarré le nouveau témoignage de ma profonde reconnaissance,

Delsaux

ALS 4p. Collection particulière, Paris 75017.

Time-stamp: " 3.05.2019 01:36"

Notes

  • 1 Édouard Lagout (1820–1884), ancien élève de l’école des ponts et chaussées, et auteur d’ouvrages de calcul graphique, dont Takitechnie (Lagout 1881).

Références

  • É. Lagout (1881) Takitechnie, mathématiques élémentaires ou des arts, assimilées par la takimétrie. Librairies scolaires, Paris. Cited by: endnote 1.