Sur la stabilité du système solaire

Henri Poincaré
(Annuaire du Bureau des longitudes, 1898, B1–B16; Revue scientifique 9(20), 1898, 609–613.)

Les personnes qui s’intéressent aux progrès de la Mécanique céleste, mais qui ne peuvent les suivre que de loin, doivent éprouver quelque étonnement en voyant combien de fois on a démontré la stabilité du système solaire.

Lagrange l’a établie d’abord, Poisson l’a démontrée de nouveau, d’autres démonstrations sont venues depuis, d’autres viendront encore. Les démonstrations anciennes étaient-elles insuffisantes, ou sont-ce les nouvelles qui sont superflues ?

L’étonnement de ces personnes redoublerait sans doute, si on leur disait qu’un jour peut-être un mathématicien fera voir, par un raisonnement rigoureux, que le système planétaire est instable.

Cela pourra arriver cependant ; il n’y aura là rien de contradictoire, et cependant les démonstrations anciennes conserveront leur valeur.

C’est qu’en effet elles ne sont que des approximations successives ; elles n’ont donc pas la prétention d’enfermer rigoureusement les éléments des orbites entre des limites étroites que jamais elles ne pourront franchir, mais elles nous apprennent du moins que certaines causes, qui semblaient d’abord devoir faire varier ces éléments assez rapidement, ne produisent en réalité que des variations beaucoup plus lentes.

L’attraction de Jupiter, à distance égale, est mille fois plus petite que celle du Soleil ; la force perturbatrice est donc petite, et cependant, si elle agissait toujours dans le même sens, elle ne tarderait pas à produire des effets très appréciables.

Il n’en est pas ainsi, et c’est là le point qu’a établi Lagrange. Au bout d’un petit nombre d’années, deux planètes qui agissent l’une sur l’autre ont occupé sur leurs orbites toutes les positions possibles ; dans ces diverses positions leur action mutuelle était dirigée, tantôt dans un sens, tantôt dans le sens opposé, et cela de telle façon qu’au bout de peu de temps il y ait compensation presque exacte. Les grands axes des orbites ne sont pas absolument invariables, mais leurs variations se réduisent à des oscillations de faible amplitude de part et d’autre d’une valeur moyenne.

Cette valeur moyenne, il est vrai, n’est pas rigoureusement fixe, mais les changements qu’elle éprouve sont extrêmement lents, comme si la force qui les produisait était non plus mille fois, mais un million de fois plus petite que l’attraction solaire. On peut donc négliger ces changements qui sont, comme on dit, de l’ordre du carré des masses.

Quant aux autres éléments des orbites, tels que les excentricités et les inclinaisons, ils peuvent éprouver, autour de leurs valeurs moyennes, des oscillations plus amples et plus lentes, mais auxquelles on peut facilement assigner des limites.

Voilà ce qu’ont montré Lagrange et Laplace  ; mais Poisson est allé plus loin. Il a voulu étudier les lents changements éprouvés par les valeurs moyennes, changements dont j’ai parlé plus haut et que ses devanciers avaient d’abord négligés.

Il montra que ces changements se réduisaient encore à des oscillations périodiques autour d’une valeur moyenne qui n’éprouvait que des variations mille fois plus lentes encore.

C’était un pas de plus, mais ce n’était encore qu’une approximation ; depuis on a fait d’autres pas en avant, mais sans arriver à une démonstration complète, définitive et rigoureuse.

Il y a un cas qui paraissait échapper à l’analyse de Lagrange et de Poisson. Si les deux moyens mouvements sont commensurables entre eux, au bout d’un certain nombre de révolutions, les deux planètes et le Soleil se retrouveront dans la même situation relative et la force perturbatrice agira dans le même sens qu’au début. La compensation dont j’ai parlé plus haut ne se produit plus alors, et l’on peut craindre que les effets des perturbations ne finissent par s’accumuler et devenir considérables. Des travaux plus récents, entre autres ceux de Delaunay, de Tisserand, de Gyldén, ont fait voir que cette accumulation ne se produit pas. L’amplitude des oscillations est un peu augmentée, mais reste pourtant très petite. Ce cas particulier n’échappe donc pas à la règle générale.

Non seulement on s’est débarrassé de ces exceptions apparentes, mais on s’est mieux rendu compte des raisons profondes de ces compensations qu’avaient remarquées les fondateurs de la mécanique céleste. On a poussé plus loin que Poisson l’approximation, mais on n’en est encore qu’à une approximation.

On peut démontrer, dans certains cas particuliers, que les éléments de l’orbite d’une planète redeviendront une infinité de fois très voisins des éléments initiaux, et cela est probablement vrai aussi dans le cas général, mais cela ne suffit pas ; il faudrait faire voir que non seulement ces éléments finiront par reprendre leurs valeurs primitives, mais qu’ils ne s’en écarteront jamais beaucoup.

Cette dernière démonstration, on ne l’a jamais donnée d’une manière rigoureuse, et il est même probable que la proposition n’est pas rigoureusement vraie. Ce qui est vrai seulement, c’est que les éléments ne pourront s’écarter sensiblement de leur valeur primitive qu’avec une extrême lenteur et au bout d’un temps tout à fait énorme.

Aller plus loin, affirmer que ces éléments resteront non pas très longtemps, mais toujours, compris entre des limites étroites, c’est ce que nous ne pouvons faire.

Mais ce n’est pas ainsi que le problème se pose.

Le mathématicien ne considère que des astres fictifs, réduits à de simples points matériels, et soumis à l’action exclusive de leurs attractions mutuelles qui suit rigoureusement la loi de Newton.

Comment se comporterait un pareil système : serait-il stable ? C’est là un problème aussi difficile qu’intéressant pour l’analyste. Mais ce n’est pas celui qui correspond au cas de la nature.

Les astres réels ne sont pas des points matériels, et ils sont soumis à d’autres forces que l’attraction newtonienne.

Ces forces complémentaires devraient avoir pour effet de modifier peu à peu les orbites, alors même que les astres fictifs envisagés par le mathématicien jouiraient de la stabilité absolue.

Ce que nous devons nous demander alors, c’est si cette stabilité sera plus vite détruite par le simple jeu de l’attraction newtonienne, ou par ces forces complémentaires.

Quand l’approximation sera poussée assez loin pour que nous soyons certains que les variations très lentes, que l’attraction newtonienne fait subir aux orbites des astres fictifs, ne peuvent être que très petites pendant le temps qui suffit aux forces complémentaires pour achever la destruction du système ; quand, dis-je, l’approximation sera poussée jusque-là, il sera inutile d’aller plus loin, du moins au point de vue des applications, et nous devrons nous considérer comme satisfaits.

Or il semble bien que ce point soit atteint ; sans vouloir citer de chiffres, je crois que les effets de ces forces complémentaires sont beaucoup plus grands que ceux des termes négligés par les analystes dans les démonstrations les plus récentes de la stabilité.

Voyons en effet quelles sont les plus importantes de ces forces complémentaires.

La première idée qui vient à l’esprit, c’est que la loi de Newton n’est sans doute pas absolument exacte ; que l’attraction n’est pas rigoureusement proportionnelle à l’inverse du carré des distances, mais à quelque autre fonction des distances. C’est ainsi que M. Newcomb a dernièrement cherché à expliquer le mouvement du périhélie de Mercure.

Mais on voit bien vite que cela ne saurait influer sur la stabilité. Il est vrai que, d’après un théorème de Jacobi, il y aurait instabilité si l’attraction était en raison inverse du cube de la distance.

Il est aisé, par un raisonnement grossier, de se rendre compte pourquoi : avec une pareille loi, l’attraction serait considérable aux petites distances et extrêmement faible aux grandes distances. Si donc, pour une raison quelconque, la distance d’une des planètes au corps central venait à augmenter, l’attraction diminuerait rapidement et ne serait plus capable de la retenir.

Mais cela n’a lieu que pour des lois très différentes de celle du carré des distances. Toutes les lois, assez voisines de celle de Newton pour être acceptables, sont équivalentes au point de vue de la stabilité.

Mais il y a une autre raison qui s’oppose à ce que les astres se meuvent sans s’écarter jamais beaucoup de leur orbite primitive.

D’après la seconde loi thermodynamique, connue sous le nom de principe de Carnot, il y a une dissipation continuelle de l’énergie, qui tend à perdre la forme du travail mécanique pour prendre la forme de la chaleur ; il existe une certaine fonction, nommée entropie, dont il est inutile de rappeler ici la définition ; l’entropie, d’après cette seconde loi, peut rester constante ou diminuer, mais ne peut jamais augmenter.11 1 [NDLR. Au contraire, d’après la seconde loi, l’entropie d’un système fermé tend à augmenter, comme Poincaré l’a enseigné dans ses leçons sur la thermodynamique (Paris: Georges Carré, 1892, 422).] Dès qu’elle s’est écartée de sa valeur primitive, ce qu’elle ne peut faire qu’en diminuant, elle ne peut plus jamais y revenir, puisque pour cela il faudrait augmenter.

Le monde, par conséquent, ne pourra jamais revenir à son état primitif ou dans un état peu différent, dès que son entropie a changé. C’est le contraire de la stabilité.

Or l’entropie diminue toutes les fois que se produit un phénomène irréversible, tel que le frottement de deux solides, le mouvement d’un liquide visqueux, l’échange de chaleur entre deux corps de température différente, l’échauffement d’un conducteur par le passage d’un courant.

Si nous observons alors qu’il n’y a pas en réalité de phénomène réversible, que la réversibilité n’est qu’un cas limite, un cas idéal dont la nature peut approcher plus ou moins, mais qu’elle ne peut jamais atteindre, nous serons amenés à conclure que l’instabilité est la loi de tous les phénomènes naturels.

Les mouvements des corps célestes seraient-ils seuls à y échapper ? On pourrait le croire en voyant qu’ils se passent dans le vide et sont ainsi soustraits au frottement.

Mais le vide interplanétaire est-il absolu, ou bien les astres se meuvent-ils dans un milieu extrêmement ténu, dont la résistance est excessivement faible, mais qui est cependant résistant ?

Les astronomes n’ont pu expliquer le mouvement de la comète d’Encke qu’en supposant l’existence d’un pareil milieu. Mais le milieu résistant qui rendrait compte des anomalies de cette comète, s’il existe, se trouve confiné dans le voisinage immédiat du Soleil. Cette comète y pénétrerait, mais aux distances où sont les planètes, l’action de ce milieu cesserait de se faire sentir ou deviendrait beaucoup plus faible.

Il aurait pour effet indirect d’accélérer le mouvement des planètes ; perdant de l’énergie, elles tendraient à tomber sur le Soleil ; et, en vertu de la troisième loi de Kepler, la durée de la révolution diminuerait en même temps que la distance au corps central. Mais il est impossible de se faire idée de la rapidité avec laquelle cet effet se produirait, puisque nous n’avons aucune notion sur la densité de ce milieu hypothétique.

Une autre cause, dont je vais parler maintenant, doit avoir, semble-t-il, une action plus prompte. Soupçonnée depuis longtemps, elle a été surtout mise en lumière par Delaunay et après lui par G. Darwin.

Les marées, conséquences directes des mouvements célestes, ne s’arrêteraient que si ces mouvements cessaient eux-mêmes ; cependant les oscillations des mers sont accompagnées de frottements et par conséquent produisent de la chaleur. Cette chaleur ne peut être empruntée qu’à l’énergie qui produit les marées, c’est-à-dire à la force vive des corps célestes.

Nous pouvons donc prévoir que cette force vive se dissipe peu à peu par cette cause, et un peu de réflexion nous fera comprendre par quel mécanisme.

La surface des mers, soulevée par les marées, présente une sorte de bourrelet. Si la pleine mer avait lieu au moment du passage de la Lune au méridien, cette surface serait celle d’un ellipsoïde dont l’axe irait passer par la Lune. Tout serait symétrique par rapport à cet axe, et l’attraction de la Lune sur ce bourrelet ne pourrait ni ralentir, ni accélérer la rotation terrestre.

C’est ce qui arriverait s’il n’y avait pas de frottement ; mais, par suite des frottements, la pleine mer est en retard sur le passage de la Lune ; la symétrie cesse ; l’attraction de la Lune sur le bourrelet ne passe plus par le centre de la Terre et tend à ralentir la rotation de notre globe.

Delaunay estimait que, pour cette cause, la durée du jour sidéral augmente d’une seconde en cent mille ans. C’est ainsi qu’il voulait expliquer l’accélération séculaire du mouvement de la Lune. La lunaison nous semblerait devenir de plus en plus courte, parce que l’unité de temps à laquelle nous la rapportons, le jour, deviendrait de plus en plus longue.

Quoi qu’on doive penser du chiffre donné par Delaunay et de l’explication qu’il propose pour les anomalies du mouvement lunaire, il est difficile de contester l’effet produit par les marées.

C’est même ce qui peut nous aider à comprendre un fait bien connu, mais bien surprenant. On sait que la durée de la rotation de la Lune est précisément égale à celle de sa révolution ; de telle sorte que, s’il y avait des mers sur cet astre, ces mers n’auraient pas de marées, du moins de marées dues à l’attraction de la Terre ; car pour un observateur situé en un point de la surface de la Lune, la Terre serait toujours à la même hauteur au-dessus de l’horizon.

On sait également que Laplace a cherché l’explication de cette étrange coïncidence.

Comment les deux vitesses peuvent-elles être exactement les mêmes ? La probabilité d’une égalité rigoureuse due au simple hasard est évidemment nulle.

Laplace suppose que la Lune a la forme d’un ellipsoïde allongé ; cet ellipsoïde se comporte comme un pendule qui serait en équilibre quand le grand axe est dirigé suivant la droite qui joint les centres des deux astres.

Si la vitesse initiale de rotation diffère peu de la vitesse de révolution, l’ellipsoïde oscillera de part et d’autre de sa position d’équilibre sans jamais s’en écarter beaucoup. C’est ainsi que se comporte un pendule qui a reçu une faible impulsion.

La vitesse moyenne de rotation est alors exactement la même que celle de la position d’équilibre autour de laquelle le grand axe oscille ; elle est donc la même que celle de la droite qui joint les centres des deux astres. Elle est donc rigoureusement égale à la vitesse de révolution.

Si, au contraire, la vitesse initiale diffère notablement de la vitesse de révolution, le grand axe n’oscillera plus autour de sa position d’équilibre, comme un pendule qui, sous une forte impulsion, décrit un cercle complet.

Il suffit donc que la vitesse de révolution soit à peu près égale à la vitesse initiale de rotation, pour qu’elle soit exactement égale à la vitesse moyenne de rotation. Une égalité rigoureuse n’étant plus nécessaire, le paradoxe se trouve écarté.

L’explication est incomplète cependant. Quelle est la raison de cette égalité approchée, dont la probabilité n’est plus nulle, il est vrai, mais reste assez faible ? Et surtout, pourquoi la Lune n’éprouve-t-elle d’oscillations sensibles de part et d’autre de sa position d’équilibre (si nous éliminons, bien entendu, ses diverses librations dues à d’autres causes qui sont bien connues) ? Ces oscillations devaient exister à l’origine ; il faut qu’elles se soient éteintes par une sorte de frottement ; et tout porte à croire que le mécanisme de ce frottement est celui que je viens d’analyser à propos des marées de nos océans.

Quand la Lune n’était pas encore solidifiée et formait un sphéroïde fluide, ce sphéroïde a dû subir des marées énormes, à cause de la proximité de la Terre et de sa masse. Ces marées n’ont dû cesser que quand les oscillations ont été presque complètement éteintes.

Il semble que les satellites de Jupiter et les deux planètes les plus voisines du Soleil, Mercure et Vénus, ont aussi une rotation dont la durée est la même que celle de leur révolution : c’est sans doute pour la même raison.

On pourrait croire que cette action des marées n’a aucun rapport avec notre sujet ; je n’ai encore parlé que des rotations et, dans les études relatives à la stabilité du système solaire, on ne s’occupe que des mouvements de translation. Mais un peu d’attention montre que la même action se fait sentir également sur les translations.

Nous venons de voir que l’attraction de la Lune sur la Terre ne passe pas exactement par le centre de la Terre. L’attraction de la Terre sur la Lune, qui est égale et directement opposée, ne passera pas non plus par ce centre, c’est-à-dire par le foyer de l’orbite lunaire.

Il en résulte une force perturbatrice, minime à la vérité, mais qui fait gagner de l’énergie à la Lune. La force vive de translation ainsi gagnée par la Lune est évidemment plus petite que la force vive de rotation perdue par la Terre ; puisqu’une partie de l’énergie doit se transformer en chaleur, à cause des frottements engendrés par les marées.

Un calcul très simple montre que, la révolution de la Lune durant vingt-huit jours sidéraux environ, la Lune gagne vingt-huit fois moins de force vive que la Terre n’en perd.

J’ai expliqué plus haut l’action d’un milieu résistant ; j’ai montré comment, en faisant perdre de l’énergie aux planètes, elle accélère leur mouvement ; au contraire, l’action des marées, en faisant gagner de l’énergie à la Lune, ralentit son mouvement ; le mois s’allonge donc en même temps que le jour.

Quel est l’état final vers lequel tendrait le système si cette cause agissait seule ? Évidemment cette action ne s’arrêterait que quand les marées auraient cessé, c’est-à-dire quand la rotation de la Terre aurait même durée que la révolution lunaire.

Ce n’est pas tout, dans l’état final, l’orbite de la Lune devrait être devenue circulaire. S’il en était autrement, les variations de la distance de la Lune à la Terre suffiraient pour produire des marées.

Comme le mouvement de rotation n’aurait pas changé, il serait aisé de calculer quelle serait la vitesse angulaire commune de la Terre et de la Lune. On trouve que, dans cet état limite, le mois comme le jour durerait environ 65 de nos jours actuels.

Tel serait l’état final s’il n’y avait pas de milieu résistant et si la Terre et la Lune existaient seules.

Mais le Soleil produit aussi des marées, l’attraction des planètes en produit également sur le Soleil.

Le système solaire tendrait donc vers un état limite où le Soleil, toutes les planètes et leurs satellites tourneraient, avec une même vitesse, autour d’un même axe, comme s’ils étaient des parties d’un même corps solide invariable. La vitesse angulaire finale différerait, d’ailleurs, peu de la vitesse de révolution de Jupiter.

Ce serait là l’état final du système solaire, s’il n’y avait pas de milieu résistant, mais l’action de ce milieu, s’il existe, ne permettrait pas à cet état de subsister et finirait par précipiter toutes les planètes dans le Soleil.

Il ne faudrait pas croire qu’un globe solide, qui ne serait pas recouvert par des mers, se trouverait, grâce à l’absence des marées, soustrait à des actions analogues à celles dont nous venons de parler. Et cela, en admettant même que la solidification ait atteint le centre de ce globe.

Cet astre, que nous supposons solide, ne serait pas pour cela un corps solide invariable : de pareils corps n’existent que dans les traités de mécanique rationnelle.

Il serait élastique et subirait, sous l’attraction des corps célestes voisins, des déformations analogues aux marées et du même ordre de grandeur.

Si l’élasticité était parfaite, ces déformations se passeraient sans perte de travail et sans production de chaleur. Mais il n’y a pas de corps parfaitement élastique. Il y aura donc encore là développement de chaleur, qui aura lieu aux dépens de l’énergie de rotation et de translation des astres et qui produira absolument les mêmes effets que la chaleur engendrée par le frottement des marées.

Ce n’est pas tout ; la Terre est magnétique, et il en est probablement de même des autres planètes et du Soleil. On connaît l’expérience du disque de Foucault  ; un disque en cuivre, tournant en présence d’un électro-aimant, éprouve une grande résistance et s’échauffe dès que l’électro-aimant entre en action. Un conducteur en mouvement dans un champ magnétique est parcouru par des courants d’induction qui l’échauffent ; la chaleur engendrée ne peut être empruntée qu’à la force vive du conducteur. On peut donc prévoir que les actions électrodynamiques de l’électro-aimant sur les courants d’induction doivent s’opposer au mouvement du conducteur. Ainsi s’explique l’expérience de Foucault.

Les astres doivent éprouver une résistance analogue, car ils sont magnétiques et conducteurs.

Le même phénomène se produira donc, bien qu’extrêmement atténué par la distance ; mais les effets, se produisant toujours dans le même sens, finiront par s’accumuler ; ils s’ajoutent, d’ailleurs, à ceux des marées, et tendent à amener le système au même état final.

Ainsi les corps célestes n’échappent pas à cette loi de Carnot, d’après laquelle le monde tend vers un état de repos final. Ils n’y échapperaient même pas s’ils étaient séparés par le vide absolu.

Leur énergie se dissipe, et, bien que cette dissipation n’ait lieu qu’avec une extrême lenteur, elle est assez rapide pour que l’on n’ait pas à se préoccuper des termes négligés dans les démonstrations actuelles de la stabilité du système solaire.

Time-stamp: " 4.07.2019 01:07"