7-3-7. H. Poincaré: Rapport sur la thèse de Justin Perchot

[Avant le 25 novembre 1892]11endnote: 1 Ancien élève de l’École normale supérieure où il entra en 1887, Justin Perchot (1847–1946) soutint sa thèse à la Faculté des sciences de Paris le 25 novembre, 1892, devant un jury composé de Poincaré (rapporteur), Paul Appell, et Félix Tisserand (Perchot, 1892, 1893). Tisserand rédigea le rapport de soutenance, en soulignant la maîtrise des méthodes présentées par Poincaré dans son mémoire couronné par le prix du Roi Oscar II (Poincaré, 1890): “M. Perchot avait, comme seconde thèse, à étudier l’important Mémoire de M. Poincaré sur le Problème des trois corps. La soutenance a montré qu’il possédait bien tout ce qui se rapporte à cette question, l’une des plus difficiles de la Mécanique Céleste. La Faculté lui a conféré le grade de docteur avec toutes boules blanches.” Après sa soutenance de thèse, Perchot fut admis en 1893 comme élève libre à l’Observatoire de Paris, où il se fit nommer astronome adjoint à le 1er mars, 1897, avec l’appui de Raymond Poincaré. Perchot fit paraître un compte-rendu du premier tome des Méthodes nouvelles de la mécanique céleste (Poincaré, 1892); voir Perchot (1899b, a). Il publia aussi des leçons de Tisserand, pour lesquelles Poincaré rédigea une préface (Poincaré, 1899b), dont une version légèrement différente fut publiée dans le Bulletin des sciences mathématiques en tant que compte-rendu (Poincaré, 1899a). A partir du 1er novembre, 1899, Perchot était en congé de santé, et il démissionna en 1902. Par la suite, Justin Perchot devint entrepreneur de travaux publics, homme politique, et directeur du journal Le Radical (Véron et al., 2016).

Le travail de M. Perchot se divise en deux parties bien distinctes. La première a pour objet l’étude des grandes inégalités périodique du mouvement du périgée et du nœud de la lune. Pour en obtenir les coefficients, l’auteur fait usage de la théorie des solutions périodiques en profitant de la quasi-commensurabilité des moyens mouvements du noeud et du périgée. Il commence par mettre les équations du mouvement sous la forme canonique. La fonction perturbatrice dépend alors des éléments du Soleil et des six éléments lunaires. M. Perchot regarde le grand axe de l’orbite lunaire comme constant et remplace les éléments du Soleil et l’anomalie moyenne de la Lune par leurs valeurs déduites des observations. Il n’a plus alors comme variables que le temps et quatre des éléments lunaire. Par un artifice ingénieux, l’auteur ramène encore une fois les équations à la forme canonique de manière à pouvoir leur appliquer les méthodes connues.

Vient ensuite une discussion destinée à reconnaître quels sont les termes que l’on dit conserver dans la fonction perturbatrice ; M. Perchot veut pousser l’approximation jusqu’au 5e ordre et déterminer les inégalités qui ont même période que l’évection, la variation et l’équation annuelle. Je signalerai à la fin de cette discussion un résultat très curieux. L’inégalité produite par les termes +i\ell+i\ell^{\prime} (\ell est l’anomalie moyenne de la Lune et du Soleil), et celle qui est produite par le terme en i\ell-i\ell^{\prime} est d’ordre ii, mais la somme algébrique est beaucoup plus petite et d’ordre i+2i+2.

M. Perchot arrive pour les coefficients des inégalités qu’il considère à des valeurs peu différentes de celles que donnent les autres méthodes ; remarquons toutefois que dans la solution périodique qu’il est conduit à envisager, l’inclinaison est notablement plus grande que celle de la véritable orbite lunaire.

La seconde partie de sa thèse a pour objet l’étude de l’équation dont dépendent les variations séculaires des inclinaisons et des excentricités des planètes. L’auteur lui applique la méthode des invariants intégraux et parvient ainsi à des résultats intéressants au point de vue de la stabilité du système solaire.

M. Perchot dans le chapitre suivant de sa thèse, cherche une limite inférieure du rayon de convergence des séries obtenues en développant suivant les puissances croissantes les intégrales des équations auxquelles satisfont les variations séculaires des éléments des planètes. Pour cela il lui fallait connaître d’abord les conditions de convergence du développement de la fonction perturbatrice suivant les puissances des excentricités et des inclinaisons. Cette question exigeait une connaissance sérieuse de la théorie générale des fonctions et présentait des difficultés dont l’auteur s’est heureusement tiré en s’aidant d’un mémoire peu connu de Cauchy.22endnote: 2 Perchot précisa qu’il se servit de notes prises par Tisserand d’un mémoire de Cauchy publié à Turin (Perchot, 1893, 57n). La technique en question est la méthode des majorantes, ou ce que Cauchy appelait le “calcul des limites” dans un mémoire lithographié à Turin en 1833. Ce mémoire a été réédité avec modifications à Paris (Cauchy, 1841), ainsi que dans les Oeuvres de Cauchy (Académie des sciences de Paris, 1916, 58–112). A propos de la méthode de Cauchy, voir Smithies (1997, chap. 6).

Ce travail nous paraît dénoter de solides qualités d’esprit et nous sommes d’avis qu’il y a lieu d’autoriser M. Perchot à imprimer sa thèse et à la soutenir.

Poincaré

Tisserand

Appell

ADS 2p. AJ16 5535, Archives nationales françaises.

Time-stamp: " 9.08.2023 13:58"

Notes

  • 1 Ancien élève de l’École normale supérieure où il entra en 1887, Justin Perchot (1847–1946) soutint sa thèse à la Faculté des sciences de Paris le 25 novembre, 1892, devant un jury composé de Poincaré (rapporteur), Paul Appell, et Félix Tisserand (Perchot, 1892, 1893). Tisserand rédigea le rapport de soutenance, en soulignant la maîtrise des méthodes présentées par Poincaré dans son mémoire couronné par le prix du Roi Oscar II (Poincaré, 1890): “M. Perchot avait, comme seconde thèse, à étudier l’important Mémoire de M. Poincaré sur le Problème des trois corps. La soutenance a montré qu’il possédait bien tout ce qui se rapporte à cette question, l’une des plus difficiles de la Mécanique Céleste. La Faculté lui a conféré le grade de docteur avec toutes boules blanches.” Après sa soutenance de thèse, Perchot fut admis en 1893 comme élève libre à l’Observatoire de Paris, où il se fit nommer astronome adjoint à le 1er mars, 1897, avec l’appui de Raymond Poincaré. Perchot fit paraître un compte-rendu du premier tome des Méthodes nouvelles de la mécanique céleste (Poincaré, 1892); voir Perchot (1899b, a). Il publia aussi des leçons de Tisserand, pour lesquelles Poincaré rédigea une préface (Poincaré, 1899b), dont une version légèrement différente fut publiée dans le Bulletin des sciences mathématiques en tant que compte-rendu (Poincaré, 1899a). A partir du 1er novembre, 1899, Perchot était en congé de santé, et il démissionna en 1902. Par la suite, Justin Perchot devint entrepreneur de travaux publics, homme politique, et directeur du journal Le Radical (Véron et al., 2016).
  • 2 Perchot précisa qu’il se servit de notes prises par Tisserand d’un mémoire de Cauchy publié à Turin (Perchot, 1893, 57n). La technique en question est la méthode des majorantes, ou ce que Cauchy appelait le “calcul des limites” dans un mémoire lithographié à Turin en 1833. Ce mémoire a été réédité avec modifications à Paris (Cauchy, 1841), ainsi que dans les Oeuvres de Cauchy (Académie des sciences de Paris, 1916, 58–112). A propos de la méthode de Cauchy, voir Smithies (1997, chap. 6).

Références

  • Académie des sciences de Paris (Ed.) (1916) Œuvres complètes d’Augustin Cauchy, Série 2, Volume 12, Mémoires publiés en corps d’ouvrage : Exercises d’analyse et de physique mathématique. Gauthier-Villars, Paris. Cited by: endnote 2.
  • A. Cauchy (1841) Exercises d’analyse et de physique mathématique, Volume 2. De Bure Frères, Paris. Cited by: endnote 2.
  • J. Perchot (1892) Sur les mouvements des noeuds et du périgée de la lune et sur les variations séculaires des excentricités et des inclinaisons . Ph.D. Thesis, Faculté des sciences de Paris, Paris. Cited by: endnote 1.
  • J. Perchot (1893) Sur les mouvements des noeuds et du périgée de la Lune et sur les variations séculaires des excentricités et des inclinaisons. Annales scientifiques de l’École normale supérieure 10, pp. 3–94. link1 Cited by: endnote 1, endnote 2.
  • J. Perchot (1899a) H. Poincaré, Les nouvelles méthodes de la mécanique céleste, t. 1 (suite et fin). Bulletin des sciences mathématiques 23, pp. 245–260. link1 Cited by: endnote 1.
  • J. Perchot (1899b) H. Poincaré, Les nouvelles méthodes de la mécanique céleste, t. 1. Bulletin des sciences mathématiques 23, pp. 213–242. link1 Cited by: endnote 1.
  • J. Perchot (Ed.) (1899c) Leçons sur la détermination des orbites professées à la Faculté des sciences de Paris par F. Tisserand. Gauthier-Villars, Paris. link1 Cited by: H. Poincaré (1899b).
  • H. Poincaré (1890) Sur le problème des trois corps et les équations de la dynamique. Acta mathematica 13, pp. 1–270. link1 Cited by: endnote 1.
  • H. Poincaré (1892) Les méthodes nouvelles de la mécanique céleste, Volume 1. Gauthier-Villars, Paris. link1 Cited by: endnote 1.
  • H. Poincaré (1899a) F. Tisserand: Leçons sur la détermination des orbites, professées à la Faculté des sciences de Paris. Bulletin des sciences mathématiques 23, pp. 107–117. link1 Cited by: endnote 1.
  • H. Poincaré (1899b) Préface. See Leçons sur la détermination des orbites professées à la Faculté des sciences de Paris par F. Tisserand, Perchot, pp. v–xiv. link1 Cited by: endnote 1.
  • F. Smithies (1997) Cauchy and the Creation of Complex Function Theory. Cambridge University Press, Cambridge. Cited by: endnote 2.
  • P. Véron, M. Véron, and S. Ilovaisky (2016) Dictionnaire des astronomes français (1850–1950). Unpublished typescript, St. Michel l’Observatoire. link1 Cited by: endnote 1.