5-1-243. H. Poincaré à Eugénie Launois

[Ca. juin 1876]

Ma chère

Comment veux-tu que je m’informe de Bourguin puisque toute sa promoss est partie depuis un mois.11endnote: 1 Marie Georges Maxime Bourguin (1853–1926), X 1871. Mais sois tranquille on ne tardera pas à avoir de ses nouvelles. Il faut savoir, en effet, que M. Hédart tient un commerce de bouchons dans la rue du dragon, et que Mlle Hédart, sa fille unique, est très bien, a 200000 frs de dot et s’est mis en tête d’épouser un ingénieur des Ponts et Chaussées. Au commencement de l’hiver dernier les salons de ce négociant reçurent les visites assidues de deux jeunes élèves ingénieurs, MM. X. Clavenad et Maxime Bourguin.22endnote: 2 Claude Clavenad (1853–1932). La jeune fille tenait la balance égale entre ses deux soupirants mais la mère tenait beaucoup à ne pas s’éloigner de sa fille. Le problème consistait donc à choisir une résidence aussi rapprochée que possible de Paris et la solution dépendait du classement. Or les deux jeunes gens se serraient de près. De là un double mouvement de bascule. Quand Clavenad avait 19, il faisait maigre le vendredi et Bourguin s’en allait chercher des consolations rue Gay-Lussac N° 48; quand Clavenad avait 15, et Bourguin 19, Clavenad se bourrait de viande le vendredi, et Bourguin délaissait la rue Gay-Lussac pour la rue du dragon. Enfin la solution approchait le classement parut et Clavenad battit Bourguin d’une encolure. Peut-être y eut-il une tentative désespérée mais elle fut infructueuse. Enfin il y a 10 jours, M. et Mme Hédart avaient l’honneur de faire part à M. Maxime Bourguin du mariage de Mlle X Hédart, leur fille, avec M. X Clavenad. À l’heure qu’il est, le fait est accompli et la lune de miel a commencé.

6e journée (suite)

[Uncaptioned image]
A Pointe du Rozel
B Village du Rozel
C Les Pieux
N Plage du Rozel
M Schistes très anciens et filons de porphyre (coupes ci-dessous)
F Flammanville (carrières de granite et de porp.)
D Port de Diélette
H carrières des environs des Pieux

  Courbes de niveau

                Chemin parcouru

Cependant mon oeil ne me faisait plus mal du tout, mais néanmoins je conservais le torchon que j’avais mis dessus de telle sorte que je n’avais plus que l’usage d’un oeil. Or rien de plus assommant que cette situation. C’est très arrivé que cela sert à quelque chose d’avoir deux yeux. D’abord on voit des deux côtés au lieu de ne voir qu’à gauche; ensuite on se rend comptes des distances; on peut sauter un fossé au lieu d’en faire le tour de peur de rester à moitié chemin. C’est dans cette situation que j’allai visiter les carrières H. Ensuite on se met à descendre jusqu’en B où on rencontre une ferme crénelée à l’aspect châteaufortesque, puis une église, puis des maisons. Or c’est là qu’il s’agissait de déjeuner; notre matériel se réduisait à du vin et du jambon avec lequel on comptait dîner sur l’herbe; or pas d’herbe. On parlemente avec un monsieur qui consent à compléter notre matériel par des bancs, chaises, assiettes, verres, couverts et une omelette, mais se déclare incapable de nous loger. On parlemente avec le monsieur de vis-à-vis qui possède une cour et nous la prête pour nous y installer; on s’y installe, on commence à déjeuner. Mais à peine a-t-on commencé qu’on entonne un chambard et le monsieur en question se dévisse à Carca et commence à laïusser. D’abord on n’entend rien à cause du bruit; enfin on finit par distinguer, nous vous avons prêté notre maison pour y manger, pas pour y chanter parce que c’est une maison de deuil. On cesse de chanter puis de dîner et après un seul homme épatant on se remet en marche.

AL 4p. Collection particulière, Paris 75017.

Time-stamp: "26.10.2020 17:25"

Notes

  • 1 Marie Georges Maxime Bourguin (1853–1926), X 1871.
  • 2 Claude Clavenad (1853–1932).