6-1-719. Henry Mornard à H. Poincaré

Paris (2°), le 30 mars 1904

Henry Mornard

Docteur en Droit – Avocat au Conseil d’État

& à la Cour de Cassation – 17, Rue Monsigny

Monsieur,

Je vous prie d’excuser une démarche indiscrète, que je fais près de vous dans l’intérêt de la justice et de la vérité.

M. Bertillon a fait du bordereau, base de l’accusation dirigée contre le Capitaine Dreyfus, une étude qui m’apparaît comme l’oeuvre d’un insensé. Cette étude a été magistralement réfutée à Rennes, où une lettre de vous a été produite à cet effet.

Aujourd’hui l’oeuvre de Bertillon est reprise dans une brochure, signée courageusement “un ancien élève de l’École polytechnique”.

Les planches qui accompagnent cette étude sont, d’après les vérifications que j’ai pu faire, dressées pour tromper la justice: tout y est erroné ou à peu près.

Mais je n’ai ni compétence, ni autorité pour redresser des raisonnements qui prétendent se couvrir de l’égide de la science.

Je viens donc en toute humilité faire appel à votre haute autorité, et à votre esprit de justice.

Pourriez-vous m’écrire une lettre dont vous m’autoriseriez à faire usage en justice, lettre qui montrerait l’inanité des raisonnements scientifiques contenus dans cette élucubration?

Pardonnez-moi de vous demander de dérober à vos travaux des moments précieux. Mais ce ne serait pas faire oeuvre inutile que de démolir, d’une façon complète, cette étude „d’un ancien élève de l’école polytechnique“, qui n’est pas seulement à mes yeux une mauvaise étude, mais même, je le crains, une mauvaise action.

Veuillez agréer, Monsieur, l’assurance de mes sentiments les plus distingués.

Henry Mornard

ALS 3p. Collection particulière, Paris 75017.

Time-stamp: " 4.05.2019 02:25"