4-56-1. Jules Molk à H. Poincaré

Nancy, 12 Décembre 1901

8 rue d’Alliance11endnote: 1 La rue d’Alliance à Nancy est devenue la rue du Maréchal Lyautey (lettre de Pierre Crépel à Pierre Dugac, citée par ce dernier, 1989, 190).

Nancy

Monsieur et cher collègue,

Je vous suis très reconnaissant de vouloir bien consentir à me donner votre appui et votre concours dans l’oeuvre que j’ai entreprise. J’ai beaucoup hésité à vous la demander, me doutant bien du peu de temps que vous avez à vous; je ne vous en remercie que plus, de vouloir bien m’accorder votre appui et de vous intéresser à l’Encyclopédie. Il est d’ailleurs bien entendu que ce sera de la façon que vous jugerez la plus avantageuse pour le développement de l’enseignement en France et que vous déciderez vous-même, au printemps prochain, quand j’aurai l’honneur et le plaisir de vous voir à Paris, sous quelle forme votre collaboration se manifestera.

Notre Encyclopédie ne sera pas une traduction de l’édition allemande; ce sera une nouvelle édition de cette encyclopédie. Nous serons libres d’intercaler de nouveaux articles, d’exposer, d’après nos habitudes françaises, les articles allemands, d’y ajouter des notes, des compléments. Chaque article sera publié avec la mention exposé par (l’auteur français) d’après (l’auteur allemand) et les Notes [ou compléments] ajoutées par l’auteur français seront, en outre, mentionnées d’une façon spéciale, afin de réserver nos droits, dans le cas où à l’édition française succéderait, ce qui est fort probable, une édition anglo-américaine, une nouvelle édition allemande, ou d’autres éditions encore.22endnote: 2 L’optimisme de Molk s’exprime ici. Il n’y aura ni édition anglo-américaine, ni deuxième édition allemande de l’Encylopédie de Klein.

L’Encyclopédie rend de grands services en Allemagne; ce qui en a paru se trouve répandu dans les Universités, dans les lycées, même dans les collèges, en sorte que, tout naturellement, elle tend à prendre un caractère plus international. Il serait bon que nous puissions mettre entre les mains des maîtres et des élèves un instrument analogue, mais bien français, rédigé d’une façon claire, lumineuse, évitant aux uns et aux autres des recherches souvent longues, fatigantes; indiquant les résultats acquis et ceux où il y a, peut être, des voies nouvelles à parcourir; en un mot permettant de gagner du temps.

Les Allemands ont des qualités d’érudition minutieuse très remarquables; nous profiterons de celles qu’ils ont mises en évidence dans leur édition allemande. Leurs qualités d’exposition sont peut-être moins remarquables; nous essayerons de faire mieux à cet égard. Nous parviendrons peut être ainsi à rendre service; c’est quelque chose. Il serait en tous cas dangereux de ne pas avoir chez nous un instrument de recherches analogue à celui qui se répand de plus en plus rapidement chez eux (Mr Teubner a dû faire un nouveau tirage des premières fascicules, après deux ans seulement).

Chaque article de notre édition française sera confié à un de nos collaborateurs, mais nous ne nous interdirons pas d’ajouter des notes, compléments, etc. Votre collaboration pourra donc avoir lieu sous plusieurs formes très différentes, d’après vos convenances personnelles et d’après ce que vous jugerez le plus avantageux pour la réussite même de l’oeuvre commune.

Il y a par exemple un article de M. Fricke sur les fonctions automorphes (mettons automorphes si vous voulez); vous pouvez, si vous le jugez bon et si cela ne vous ennuie pas trop, exposer de la façon que vous voudrez, en profitant de la rédaction et des notes bibliographiques de M. Fricke, cet article dans l’édition française.33endnote: 3 Molk suggère que Poincaré prenne en charge l’article de Robert Fricke (1861–1930) sur les fonctions automorphes (Fricke, 1913). Or, Fricke fut un collaborateur de Felix Klein, celui même qui essaya, en 1881, de convaincre Poincaré à choisir un nom autre que “fonctions fuchsiennes” pour la classe de fonctions automorphes qu’il venait de mettre en évidence. A ce propos, voir la correspondance Klein-Poincaré, et les notes de la lettre de Potier à Poincaré (§ 2-48-19). C’est ce que Messieurs Tannery et Appell ont bien voulu faire pour divers articles; c’est aussi ce que Monsieur Picard a bien voulu faire pour un article de M. Sommerfeld sur les équations aux dérivées partielles d’ordre supérieur au second.

Vous pouvez aussi, si vous jugez que cet article peut être rédigé par un M. A., me dire que vous décidez que cet article sera exposé par Mr A et que vous vous contenterez d’ajouter une Note sur un point ayant trait à cet article et vous intéressant.

Mais il y a aussi des articles qui manquent manifestement dans l’édition allemande. C’est à peine si l’on mentionne, par exemple, les recherches sur les lois des grands nombres. Là un article additionnel semblerait peut être indiqué; les recherches de Monsieur Darboux, les vôtres, celles d’Hadamard devraient trouver place dans notre édition. Vous me direz s’il vous convient d’en parler vous-même, ou si vous croyez bon de confier à d’autres cet article.44endnote: 4 Alors qu’aucun article ne fut publié par Poincaré dans l’Encyclopédie, il prît en charge un article intitulé “Notes sur les principes de la Mécanique”, qui aurait dû paraître dans le quatrième tome (la mécanique) édité par Paul Appell. Cet article fut annoncé dans la fascicule 2 du tome 1, volume 1 de l’Encyclopédie, parue le 30.05.1907.

Je vous donnerai des détails au printemps prochain, en venant vous voir à Paris, puisque vous voulez bien m’y autoriser. Aujourd’hui je voudrais encore vous remercier; je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour réduire au minimum la partie ennuyeuse de votre si aimable collaboration.

Jules Molk

ALS 4p. Collection particulière, Paris 75017. Transcrite et annotée dans Dugac (1989, 188–191).

Time-stamp: "16.04.2021 21:43"

Notes

  • 1 La rue d’Alliance à Nancy est devenue la rue du Maréchal Lyautey (lettre de Pierre Crépel à Pierre Dugac, citée par ce dernier, 1989, 190).
  • 2 L’optimisme de Molk s’exprime ici. Il n’y aura ni édition anglo-américaine, ni deuxième édition allemande de l’Encylopédie de Klein.
  • 3 Molk suggère que Poincaré prenne en charge l’article de Robert Fricke (1861–1930) sur les fonctions automorphes (Fricke, 1913). Or, Fricke fut un collaborateur de Felix Klein, celui même qui essaya, en 1881, de convaincre Poincaré à choisir un nom autre que “fonctions fuchsiennes” pour la classe de fonctions automorphes qu’il venait de mettre en évidence. A ce propos, voir la correspondance Klein-Poincaré, et les notes de la lettre de Potier à Poincaré (§ 2-48-19).
  • 4 Alors qu’aucun article ne fut publié par Poincaré dans l’Encyclopédie, il prît en charge un article intitulé “Notes sur les principes de la Mécanique”, qui aurait dû paraître dans le quatrième tome (la mécanique) édité par Paul Appell. Cet article fut annoncé dans la fascicule 2 du tome 1, volume 1 de l’Encyclopédie, parue le 30.05.1907.

Références

  • P. Dugac (1989) Henri Poincaré, la correspondance avec des mathématiciens (de J à Z). Cahiers du séminaire d’histoire des mathématiques 10, pp. 83–229. link1 Cited by: 4-56-1. Jules Molk à H. Poincaré, endnote 1.
  • R. Fricke (1913) Automorphe Funktionen mit Einschluß der elliptischen Modulfunktionen. See BurH1900, pp. 349–470. Cited by: endnote 3.