Paul Painlevé à H. Poincaré

Jeudi 24 mai [24.05.1900]

Monsieur et cher Maître,

Permettez-moi de préciser les explications que je vous ai données hier sous une forme obscure, encore que trop longuement.

Nous considérons l’équation :

y′′=6y2+x;y^{\prime\prime}=6y^{2}+x;

soit y=f(x)y=f(x) une intégrale, définie pour les conditions initiales régulières x0x_{0}, y0y_{0}, y0y_{0}^{\prime} ; soit LL une demi-droite du plan des xx, issue de x0x_{0}, et soit aa le premier point singulier transcendant de f(x)f(x) qu’on rencontre sur LL. Il faut montrer qu’un tel point ne saurait exister.

Je remarque immédiatement que la transformation

(1)x=a+μX,y=Yμ2(1)x=a+\mu X,\qquad y=\frac{Y}{\mu^{2}}

change l’équation (e) en

d2YdX2=6Y2+μ4(a+μX).\frac{d^{2}Y}{dX^{2}}=6Y^{2}+\mu^{4}(a+\mu X).

Ceci posé, j’établis 2 lemmes.

Lemme 1. Soit DD un domaine fermé donné dans le plan des xx (d’ailleurs quelconque), et X0X_{0}, Y0Y_{0}, Y0Y_{0}^{\prime} les valeurs données : pour les valeurs de μ\mu suffisamment petites (|μ|<ε)(|\mu|<\varepsilon), l’intégrale Y(X)Y(X), définie pour X0X_{0}, Y0Y_{0}, Y0Y_{0}^{\prime} est méromorphe dans DD.*{}^{*}

Le lemme subsiste si on suppose que X0X_{0}, Y0Y_{0}, Y0Y_{0}^{\prime}, au lieu d’être donnés, sont assujettis à la seule condition d’être moindres en module qu’une quantité donnée AA. Il est en défaut dès que le coefficient de μ4\mu^{4} dans (E) n’est pas une fonction linéaire de XX.

Lemme 2. Soit M(x)M(x) le plus grand module des deux quantités u(x)=(xa)2f(x)u(x)=(x-a)^{2}f(x), v(x)=(xa)3f(x)v(x)=(x-a)^{3}f^{\prime}(x). Quand xx tend vers a¯\bar{a} sur LL, il est impossible que M(x)M(x) tende constamment vers l’infini.

Du second lemme il résulte qu’on peut trouver des valeurs de xx, aussi voisine de qu’on veut, et pour lesquelles u(x1)u(x_{1}) ou (x1a2)f(x1)(x_{1}-a^{2})f(x_{1}), et v(x1)v(x_{1}) ou (x1a)3f(x1)(x_{1}-a)^{3}f^{\prime}(x_{1}) ont des valeurs inférieures en module à une certaine quantité fixe AA. Soit x1x_{1} un de ces points : posons μ=x1a\mu=x_{1}-a, et faisons le changement de variables :

(1)x=a+μX,y=Yμ2,y2=Yxμ3.(1)x=a+\mu X,\qquad y=\frac{Y}{\mu^{2}},\qquad y_{2}^{\prime}=\frac{Y_{x}^{% \prime}}{\mu^{3}}.

Aux valeurs x1x_{1}, y1=f(x1)y_{1}=f(x_{1}), y1=f(x1)y_{1}^{\prime}=f^{\prime}(x_{1}), correspondent les valeurs X1=2X_{1}=2, Y1=u2Y_{1}=u_{2}, Y1=v1Y_{1}^{\prime}=v_{1}, où |u1||u_{1}| et |v1||v_{1}| sont <A<A. L’intégrale Y(X)Y(X) de (E), définie par X1X_{1}, Y1Y_{1}, Y1Y_{1}^{\prime}, doit admettre X=0X=0 comme point transcendant : d’où contradiction avec le premier lemme, puisque ou peut être pris aussi petit qu’on veut. C.Q.F.D.

Excusez-moi de vous avoir fait perdre tant de temps hier matin, et croyez moi, je vous prie, Monsieur et cher Maître, votre respectueusement dévoué et reconnaissant.

Paul Painlevé

*{}^{*} La quantité aa est donnée.

ALS 4p. Collection particulière, 75017 Paris.

Time-stamp: " 4.05.2019 00:55"