5-1-221. H. Poincaré à Eugénie Launois

[Ca. 17–18 Décembre 1875]

Ma chère Maman,

Tu ne connais pas Laure? Quant à Noël je vous avais demandé de vous décider, vous n’avez pas répondu. Puisqu’il en est ainsi je viens à Noël pour me débarrasser de toutes les scies inséparables du jour de l’An. D’ailleurs comme tu dois venir le 15 janvier, cela vaudra mieux. À propos t’ai-je dit que j’ai été voir deux appartements. Ils ne me conviennent ni l’un, ni l’autre c’est-à-dire que j’aime mieux rester ici; l’un était rue Soufflot N°1, l’autre au coin de la rue de Vaugirard et de la rue Madame. Mercredi j’ai dîné chez Mme Olleris. En sortant, impossible de voir à deux pas. De temps en temps on rencontrait des torches qui ne servaient absolument à rien. Mais il y avait des amphis de fumistes qui avaient des lanternes vénitiennes et même des conscrits se promenaient en bandes avec un cocon éclaireur en avant. C’est grâce à ces fumistes que j’ai traversé le Boul Mich. Mais de l’autre cté, la difficulté était de trouver le kiosque pour avoir le résultat de la bataille du jour après les résultats indécis de la veille. J’y parvins pourtant et désormais aucun obstacle n’arrêta pas ma marche.

Je ne t’ai pas achevé mes impressions sur l’Op. J’y rencontrai Villiet; je changeai de fauteuil avec son voisin. L’escalier ne parut moins gigantesque que la première fois; c est qu’en effet il faut descendre  la fontaine pou en juger l’effet. De là les glaces qui sont près du foyer font une perspec. à l’infini. Le foyer est décidément trop doré; les fumoirs seuls sont épatants. Quant à la salle, elle était beaucoup mieux éclairée. Tant que nous sommes sur les splendeurs scéniques; il faut que je te cite le ballet du second acte, précédé d’un changement à vue, qui fait passer d’un jardin sombre à un immense palais, où tout le corps de ballet est réuni. Pendant ce ballet, ils jouent des tas de choses gigonnaires, entre autres la Marche Turque, comme ils jouent le menuet de Mozart pour une ouverture d’acte il y a même dans le dernier acte un bout d’aire des Noces de Figaro; je ne sais pas s’ils l’ont gigonné. Des types sont bien plus épatants que les types de l’Op. com. Faure a un talent tout à fait supérieur on voit qu’il a l’habitude de chanter sur la scène. Krauss a une voix splendide; elle remplit toute la salle. Les accents dans le 1er acte, que cepdt. je l’ai même mieux aimée que Miolhan (il est vrai que celle-ci a un rôle plus insignifiant sauf son duo avec Faure, qui est splendide, mais où Faure a le principal rôle). Elle faisait la paysanne; Krauss la fille du commandeur. Quant à la musique en elle même, elle fait énormément de plaisir sur le moment, mais il en reste peu de chose parce que c’est surtout de la musique d’ensemble.

Tu ne m’as dit pourquoi le centre droit et M. Burnouf, auxquels nous adjoindrons si tu veux Mme [Cyuija?], seraient très inférieurs dans une cristallerie.

À propos sais-tu si l’histoire d’Antonin et de M. de la Seroe est authentique.

AL 1p. Collection particulière, Paris 75017.

Time-stamp: "25.10.2020 20:53"