2-17-13. Victor Crémieu à H. Poincaré

4 juin 1902

Cher Maître,

Voici les passages de votre article à la revue générale des Sciences du 30 Nov. 1901 auquel je faisais allusion ce matin :11endnote: 1 Poincaré 1901.

1° (Page 1003, 1re Colonne) « Si nous avions un écran derrière lequel des charges positives se déplaceraient par convection, dans un mouvement rectiligne de translation, il est clair qu’elles induiraient sur l’écran des charges de nom contraire, qui se déplaceraient parallèlement, mais par conduction, de sorte qu’il y aurait compensation entre les deux sortes de courants.

Mais si l’écran est circulaire et si les charges mobiles sont entraînées dans un mouvement de rotation, voici ce qui arrive : les charges induites sur l’écran restent toujours vis à vis des charges mobiles et se déplacent avec elles; ce déplacement se fait par conduction; mais ici ces charges induites peuvent aller d’une position à une autre par deux chemins, par le plus court, et en faisant le tour de la circonférence. Cela fera deux courants de conduction, l’un direct, l’autre inverse. »

2° (Page 1004) 1re tentative. « Dans un premier dispositif, on fait tourner un disque doré, dont la dorure est interrompue par une série de rainures circulaires ; ces rainures sont en communication avec le sol ….

Vis à vis de ce disque tournant on place un secteur métallique fixe en communication avec une batterie d’accumulateurs. Ce secteur et la dorure du disque tournant vont former les deux armatures d’un condensateur. Le secteur fixe va se charger positivement, par exemple, et le disque mobile se chargera négativement par influence. Seulement, ces charges négatives resteront toujours dans la partie du disque qui est vis à vis du secteur fixe ; elles seront donc fixes dans l’espace ; mais comme le disque qui les porte est en mouvement, elles seront en mouvement relatif par rapport à ce disque.

Les charges positives, étant fixes dans l’espace, et fixes par rapport au conducteur qui les porte, ne produiront aucune action magnétique. Qu’arrive-t-il maintenant dans le disque mobile ?

Si les charges négatives étaient invariablement fixées au disque, elles seraient entraînées ce qui constituerait un courant de convection ….

Il se produira donc des différences de potentiel entre les petits conducteurs et si l’isolement n’est pas parfait, des courants de conduction qui tendront à diminuer la différence de potentiel.

Les différences de potentiel qui pourront se maintenir ainsi seront évidemment d’autant plus grandes que l’isolement sera meilleur; dans le cas de notre disque doré ces différences seront extrêmement petites.

Les charges négatives sont donc soumises d’une part à un courant de convection qui tend à les écarter de leur position normale vis à vis du secteur fixe, et, d’autre part, à des courants de conduction qui les y ramènent sans cesse. »

[Uncaptioned image]

Vous montrez ensuite que ces courants se distribueront dans les couronnes d’après les résistances relatives des parties de ces couronnes couvertes et non couvertes par le secteur fixe.

Je n’ai rien obtenu avec cette expérience, pas plus derrière le secteur fixe que près des autres parties du disque.

Or l’expérience que j’ai faite ces jours-ci est la suivante : Des secteurs mobiles, chargés et isolés SSSS se déplacent devant une nappe conductrice plane ABCDABCD, divisée en couronnes circulaires par des rainures, et reliée au sol par l’intermédiaire d’un galvanomètre.

Si j’ai bien compris les raisonnements que vous avez appliqués à l’expérience que je viens de rappeler, voici ce que je trouve en les appliquant au cas actuel : Sur la nappe fixe, en face d’un secteur mobile SS supposé positif, il y a une charge négative développée par influence, qui va suivre la charge de SS dans son mouvement. Mais sur le secteur mobile SS il y a convection seulement. Sur la nappe fixe il y a d’une part une convection qui donne un mouvement relatif aux charges négatives par rapport à la matière ; il en résultera des différences de potentiel qui donneront des courants et ceux-ci se distribueront entre le chemin le plus court, c’est-à-dire la partie sous le secteur mobile, et le plus long, c’est-à-dire le galvanomètre.

Ou bien, si comme dans la 1re citation vous admettez qu’il y a simplement déplacement des charges négatives par conduction sur la nappe, il est impossible d’après les lois d’Ohm et de Kirschoff, que cette conduction ne se retrouve pas en tous les points du conducteur fermé, et par conséquent dans le galvanomètre.22endnote: 2 Il s’agit des lois d’Ohm et de Kirchhoff.

Si donc je ne me trompe pas, comme d’une part je connais la valeur des charges transportées par les secteurs mobiles, d’autre part la valeur relative de la résistance des différentes parties du circuit fixe, je puis calculer ce qui passera au galvanomètre.

Or dans les 2 essais que j’ai fait, les données étaient les suivantes :

1re Nappe : résistance par unité de longueur

0ω,010\omega,01 environ.

2e —

0ω,40\omega,4 environ.

Longueur moyenne des nappes

22 centimètres

Largeur des secteurs fixes

5 centimètres (environ).

Résistance du galvanomètre et des fils

29 ω\omegahms.

Quantités d’électricité transportées par seconde, par les secteurs fixes

1/15.0001/15.000 de coulomb.

Or je n’ai absolument rien observé au galvanomètre ; sa sensibilité était d’abord 1 mm pour 1/3×1061/3\times 10^{-6} ampère, puis 1 mm pour 1/2×1071/2\times 10^{-7} ampère.

Je crois vraiment que les impulsions que j’observe sont dues aux courants de charge dans le tube; ces courants peuvent être beaucoup plus fort que je le pensais d’abord, à cause de la pénétration des charges dans le mica paraffiné qui protège l’extrémité du tube contre les aigrettes.

D’ailleurs ces charges doivent pénétrer d’une façon irrégulière, et ne pas s’inverser tout de suite, ce qui s’accorderait assez bien avec le fait que si on renverse le sens de rotation on ne retrouve pas de suite des effets nets, et qu’il faut un certain temps.

Je vais faire qq essais dans ce sens.

Très respectueusement à vous,

V. Crémieu

ALS 5p. Collection particulière, Paris 75017.

Time-stamp: " 3.05.2019 01:30"

Notes

  • 1 Poincaré 1901.
  • 2 Il s’agit des lois d’Ohm et de Kirchhoff.

Références

  • H. Poincaré (1901) A propos des expériences de M. Crémieu. Revue générale des sciences pures et appliquées 12, pp. 994–1007. link1 Cited by: endnote 1.