2-30-1. H. Poincaré à Heinrich Hertz

[Ca. 15.08.1890]

Monsieur et cher Collègue,

J’envoie à l’Académie des Sciences de Paris une note qui contient une rectification à l’un des calculs qui accompagnent vos admirables expériences.11endnote: 1 Poincaré (1890) signale une erreur de Hertz dans la définition de la capacité de l’excitateur. Cette erreur avait déjà été remarquée par Oliver Lodge and Howard (1889, 65). Comme cette rectification porte sur un point important et est de nature à remettre bien des choses en question, je crois devoir vous la communiquer, parce que vous êtes mieux à même que personne de résoudre les problèmes qu’elle soulève.22endnote: 2 A propos de la rectification de l’erreur, voir Whittaker (1951, 324, note 4) et Darrigol (2000, 251). Croyez d’ailleurs, Monsieur, que je n’en demeure pas moins un admirateur de votre génie, et que si le but que l’on croyait si proche semble s’éloigner, je ne crois pas que la valeur de vos recherches s’en trouve diminuée en quoi que ce soit. Ces protestations devraient être inutiles et elles le seraient en effet si les savants de nos deux nations avaient toujours montré les uns pour les autres une parfaite bienveillance.33endnote: 3 Parmi les savants critiques des travaux de Hertz se trouvait Alfred Cornu; voir ses remarques (Cornu, 1890) par rapport à la note qu’il a communiquée à l’Académie des sciences de Paris de Sarasin et de la Rive (1890) à propos de la résonance multiple.

Pardonnez moi ce long préambule, je viens au fait : Dans le Tome 31 de Wiedemann pour calculer la période d’un excitateur, vous appliquez une formule d’après laquelle cette période (entière) est égale à

2πLC2\pi\sqrt{LC}

CC étant la capacité d’un condensateur et LL la self-induction du fil qui en relie les deux plateaux.44endnote: 4 Hertz (1887). L’analyse du phénomène à l’excitateur est conduite par Hertz dans le cadre de la théorie de W. Thomson (1853) : il s’agit d’un circuit classique contenant une résistance RR, une bobine de self-induction LL et un condensateur CC. Selon les notations de Poincaré, CC^{\prime} est la capacité de chaque sphère, CC celle du condensateur formé de ces deux sphères, LL la self-induction du circuit et RR la résistance électrique du circuit. Si l’effet de la résistance est très faible, et si les oscillations sont très rapides, ce qui est le cas dans ce circuit, on obtiendra des oscillations pseudo-périodiques dont la période TT s’exprime selon la formule connue T=2πLCT=2\pi\sqrt{LC}. Le montage expérimental de Hertz rentre dans ce cadre théorique. Le calcul, corrigé ici par Poincaré, consiste à déterminer par des lois connues, d’une part le coefficient de self-induction LL et d’autre part la capacité CC. Le calcul de l’inductance LL est conduit par Hertz en considérant l’oscillateur comme un fil rectiligne et sans tenir compte des deux sphères. Poincaré, suivant la théorie de W. Thomson sur les courants oscillant rapidement, considère une propagation de ce courant en surface, ce qui conduit à la formule : L=2(ln4d1),L=2\ell\left(\ln{\frac{4\ell}{d}-1}\right), \ell est la longueur du fil et dd son diamètre, alors que Hertz admet une distribution de courant uniforme du centre à la surface du conducteur, selon la formule: L=2(ln4d0.75).L=2\ell\left(\ln{\frac{4\ell}{d}-0.75}\right). Poincaré admet cependant que “la différence entre les deux formules est très petite”. Dans cette formule, on désigne par CC le rapport de la charge de l’une des armatures par la différence de potentiel des deux armatures.

Il est aisé de s’en assurer en refaisant le calcul. Soient +q+q et q-q les charges des deux armatures V1V_{1} et V2V_{2} leurs potentiels. On a en négligeant comme il convient la résistance des conducteurs :

Ldidt=V2V1=qCL\frac{di}{dt}=V_{2}-V_{1}=-\frac{q}{C}

ou puisque i=dqdti=\frac{dq}{dt} :

Ld2qdt2+qC=0.L\frac{d^{2}q}{dt^{2}}+\frac{q}{C}=0.

Dans le cas où les deux plateaux sont remplacés par deux sphères de 150mm placées à une grande distance l’une de l’autre on a :

V1=q150mmV2=q150mmV_{1}=\frac{q}{150^{\text{mm}}}\qquad V_{2}=-\frac{q}{150^{\text{mm}}}

d’où :

C=qV1V2=75mmC=\frac{q}{V_{1}-V_{2}}=75^{\text{mm}}

et non pas 150mm.55endnote: 5 Les unités employées sont celles de Gauss (CGS), telles que la capacité d’une sphère de rayon RR s’exprime en centimètres, en utilisant la variante électrostatique des unités CGS, selon la formule C=RC=R. La formule T=2πLCT=2\pi\sqrt{LC} suppose l’emploi de la variante électromagnétique; or, Hertz utilise λ=πLC\lambda=\pi\sqrt{LC}, ce qui signifie que la racine est homogène à une longueur et non plus à un temps comme dans la relation de définition de la période TT. Hertz utilise en effet les deux variantes d’unités CGS, électromagnétique pour l’inductance LL, électrostatique pour la capacité CC. La longueur d’onde du phénomène doit donc s’exprimer sous la forme λ=2πLC\lambda=2\pi\sqrt{LC}, comme le veut Poincaré.

Il résulte de là que la longueur d’onde calculée doit être multipliée par 12\frac{1}{\sqrt{2}} et que la comparaison du calcul avec l’observation fournirait pour la vitesse de propagation

300000 Kilomètres ×2.300000\text{ Kilomètres }\times\sqrt{2}.

Cela toutefois si le calcul est exact d’autre part et si l’influence des circonstances négligées est réellement négligeable.66endnote: 6 Connaissant la loi reliant longueur d’onde, période et vitesse : λ=VT\lambda=VT.

Il est évident que les hypothèses sur lesquelles repose la formule 2πLC2\pi\sqrt{LC} sont loin d’être réalisées, qu’il existe dans le diélectrique autour de l’excitateur des courants de déplacement dont cette formule ne tient aucun compte et qui ont peut-être une influence.77endnote: 7 Selon la théorie de Maxwell, il ne peut y avoir que des courants fermés.

Que pensez-vous de cela; croyez-vous que les circonstances ainsi négligées suffisent pour expliquer la divergence que je vous ai signalée ? Ou bien estimez-vous qu’on doive modifier la théorie et par exemple renoncer à supposer que si les conducteurs sont parfaits ou les oscillations très rapides, les lignes de force électrique sont normales à la surface des conducteurs.88endnote: 8 Cette propriété du champ électrique est une conséquence de la localisation à la surface des conducteurs des courants de conduction dans le cas de fréquences très élevées ; elle n’est admise que si les fils ont une section infiniment petite (fil assimilé à une droite). Poincaré précise qu’il faut que les conducteurs soient parfaits, ce qui est une propriété acquise des conducteurs parcourus par des courants de très haute fréquence. Dès que le diamètre du fil n’est plus infiniment petit, en revanche, la direction de la force électrique fera avec la surface du conducteur un angle voisin de π/2\pi/2 (Poincaré 1894, 146).

Permettez-moi en terminant de me féliciter d’avoir trouvé ainsi une occasion d’entrer en rapport avec un homme de votre valeur.

Veuillez agréer, Monsieur et cher Collègue, l’assurance de ma considération la plus distinguée.

Poincaré

Mon adresse actuelle jusqu’au 30 Août est M. Poincaré aux Petites Dalles, Seine Inférieure

à partir de 30 Août : rue de Serre 9 Nancy, Meurthe et Moselle.

ALS 4p. HS 03001, Archiv, Deutsches Museum.

Time-stamp: " 4.04.2024 14:54"

Notes

  • 1 Poincaré (1890) signale une erreur de Hertz dans la définition de la capacité de l’excitateur. Cette erreur avait déjà été remarquée par Oliver Lodge and Howard (1889, 65).
  • 2 A propos de la rectification de l’erreur, voir Whittaker (1951, 324, note 4) et Darrigol (2000, 251).
  • 3 Parmi les savants critiques des travaux de Hertz se trouvait Alfred Cornu; voir ses remarques (Cornu, 1890) par rapport à la note qu’il a communiquée à l’Académie des sciences de Paris de Sarasin et de la Rive (1890) à propos de la résonance multiple.
  • 4 Hertz (1887). L’analyse du phénomène à l’excitateur est conduite par Hertz dans le cadre de la théorie de W. Thomson (1853) : il s’agit d’un circuit classique contenant une résistance RR, une bobine de self-induction LL et un condensateur CC. Selon les notations de Poincaré, CC^{\prime} est la capacité de chaque sphère, CC celle du condensateur formé de ces deux sphères, LL la self-induction du circuit et RR la résistance électrique du circuit. Si l’effet de la résistance est très faible, et si les oscillations sont très rapides, ce qui est le cas dans ce circuit, on obtiendra des oscillations pseudo-périodiques dont la période TT s’exprime selon la formule connue T=2πLCT=2\pi\sqrt{LC}. Le montage expérimental de Hertz rentre dans ce cadre théorique. Le calcul, corrigé ici par Poincaré, consiste à déterminer par des lois connues, d’une part le coefficient de self-induction LL et d’autre part la capacité CC. Le calcul de l’inductance LL est conduit par Hertz en considérant l’oscillateur comme un fil rectiligne et sans tenir compte des deux sphères. Poincaré, suivant la théorie de W. Thomson sur les courants oscillant rapidement, considère une propagation de ce courant en surface, ce qui conduit à la formule : L=2(ln4d1),L=2\ell\left(\ln{\frac{4\ell}{d}-1}\right), \ell est la longueur du fil et dd son diamètre, alors que Hertz admet une distribution de courant uniforme du centre à la surface du conducteur, selon la formule: L=2(ln4d0.75).L=2\ell\left(\ln{\frac{4\ell}{d}-0.75}\right). Poincaré admet cependant que “la différence entre les deux formules est très petite”.
  • 5 Les unités employées sont celles de Gauss (CGS), telles que la capacité d’une sphère de rayon RR s’exprime en centimètres, en utilisant la variante électrostatique des unités CGS, selon la formule C=RC=R. La formule T=2πLCT=2\pi\sqrt{LC} suppose l’emploi de la variante électromagnétique; or, Hertz utilise λ=πLC\lambda=\pi\sqrt{LC}, ce qui signifie que la racine est homogène à une longueur et non plus à un temps comme dans la relation de définition de la période TT. Hertz utilise en effet les deux variantes d’unités CGS, électromagnétique pour l’inductance LL, électrostatique pour la capacité CC. La longueur d’onde du phénomène doit donc s’exprimer sous la forme λ=2πLC\lambda=2\pi\sqrt{LC}, comme le veut Poincaré.
  • 6 Connaissant la loi reliant longueur d’onde, période et vitesse : λ=VT\lambda=VT.
  • 7 Selon la théorie de Maxwell, il ne peut y avoir que des courants fermés.
  • 8 Cette propriété du champ électrique est une conséquence de la localisation à la surface des conducteurs des courants de conduction dans le cas de fréquences très élevées ; elle n’est admise que si les fils ont une section infiniment petite (fil assimilé à une droite). Poincaré précise qu’il faut que les conducteurs soient parfaits, ce qui est une propriété acquise des conducteurs parcourus par des courants de très haute fréquence. Dès que le diamètre du fil n’est plus infiniment petit, en revanche, la direction de la force électrique fera avec la surface du conducteur un angle voisin de π/2\pi/2 (Poincaré 1894, 146).

Références

  • A. Cornu (1890) Observations relatives à la Communication précédente. Comptes rendus hebdomadaires des séances de l’Académie des sciences de Paris 110, pp. 75–76. link1 Cited by: endnote 3.
  • O. Darrigol (2000) Electrodynamics from Ampère to Einstein. Oxford University Press, Oxford. link1 Cited by: endnote 2.
  • H. Hertz (1887) Ueber sehr schnelle elektrische Schwingungen. Annalen der Physik und Chemie 31, pp. 421–448. link1 Cited by: endnote 4.
  • O. Lodge and J. L. Howard (1889) On electric radiation and its concentration by lenses. Philosophical Magazine 28, pp. 48–65. link1 Cited by: endnote 1.
  • H. Poincaré (1890) Contribution à la théorie des expériences de M. Hertz. Comptes rendus hebdomadaires des séances de l’Académie des sciences de Paris 111, pp. 322–326. link1 Cited by: endnote 1.
  • H. Poincaré (1894) Les oscillations électriques. Carré et Naud, Paris. link1 Cited by: endnote 8.
  • É. Sarasin and L. d. La Rive (1890) Résonance multiple des ondulations électriques. Comptes rendus hebdomadaires des séances de l’Académie des sciences de Paris 110 (2), pp. 72–75. link1 Cited by: endnote 3.
  • W. Thomson (1853) On transient electric currents. Philosophical Magazine 5 (34), pp. 393–405. link1, link2 Cited by: endnote 4.
  • E. T. Whittaker (1951) A History of the Theories of Aether and Electricity, Volume 1: The Classical Theories. T. Nelson, London. Cited by: endnote 2.