7-3-28. H. Poincaré: Rapport sur la thèse d’Armand Lambert

[05.11.1907]11endnote: 1 Le manuscrit comporte une annotation au crayon de main inconnue: “5 novembre 1907”.

Si l’on considère les développements de la fonction perturbatrice dans le cas où les excentricités sont nulles et l’inclinaison quelconque, on voit que les coefficients ne dépendent plus que de deux variables qui sont l’inclinaison JJ et le rapport des grands axes α\alpha. Mais il est naturel d’élargir le problème en posant

μ=cos2J2,ν=sin2J2\mu=\cos^{2}\frac{J}{2},\qquad\nu=\sin^{2}\frac{J}{2}

et en traitant μ\mu et ν\nu comme des variables indépendantes ; quitte à faire à la fin du calcul ν=1μ\nu=1-\mu; c’est ce qu’a fait autrefois Tisserand et c’est ainsi qu’il est arrivé à mettre en évidence le lien entre les coefficients étudiés et les polygones hypergéométriques de M. Appell.22endnote: 2 Félix Tisserand et Paul Appell.

M. Lambert commence par former les équations aux dérivées partielles auxquelles satisfont les coefficients considérés comme fonctions de 3 variables indépendantes α\alpha, μ\mu, ν\nu. La 1re équation qu’il trouve et qui est du 2d ordre n’est pas la même pour les coefficients d’un même développement, mais dépend des nombres pp et qq qui définissent le rang du coefficient étudié. La seconde équation, indépendante de ces nombres est du 1er ordre; et on en peut déduire par différentiation diverses équations du 2d ordre. Enfin une dernière équation du 2d ordre dépend comme la 1ère des nombres pp et qq ; mais l’auteur la laisse de côté et ne s’occupe que des deux premières.

Entre ces deux équations, il est possible d’éliminer ν\nu, de façon à obtenir une équation unique à laquelle doit satisfaire le coefficient Π\Pi, regardé non plus comme fonction des 3 variables indépendantes α\alpha, μ\mu, ν\nu, mais de 2 variables α\alpha et μ\mu, en supposant que ν\nu a été remplacé par sa valeur 1μ1-\mu. Nous revenons donc au problème primitif, et laissons le problème élargi par l’introduction d’une 3e variable indépendante. L’équation aux dérivées partielles du 2d ordre à laquelle arrive M. Lambert n’est pas la seule la fonction étudiée est assujettie ; elle doit satisfaire également à d’autres équations de même forme plus compliquées, mais que l’auteur laisse de côté, et il s’efforce d’appliquer à l’équation qu’il conserve toutes les ressources de la théories des équations aux dérivées partielles.

Il détermine sans difficulté les caractéristiques et il ramène l’équation à la forme de Laplace canonique

d2Πdxdy=Πf(x,y)\frac{d^{2}\Pi}{dxdy}=\Pi f(x,y)

il détermine une solution particulière simple de cette équation, ce qui permet l’application de la transformation de Moutard. Cette transformation permet de ramener les unes aux autres les équations auxquelles satisfont les différents coefficients ; elle permet par conséquent de déterminer tous ces coefficients quand on connaît deux d’entre eux, ou plus exactement d’intégrer complètement toutes les équations quand on sait intégrer deux d’entre elles.33endnote: 3 Voir Moutard (1878) et la présentation succincte de la transformation de Moutard dans l’Encyclopedia of Mathematics.

Pour arriver à ce dernier résultat l’auteur applique la méthode de Riemann qui permet de trouver l’intégrale générale d’une équation de cette forme quand on connaît une intégrale particulière d’une autre équation de même forme appelée équation adjointe. Dans le cas particulier qui nous occupe, l’équation est identique à son adjointe. Elle peut d’ailleurs s’écrire :

d2ΠdXdY=Π4(XY)2.\frac{d^{2}\Pi}{dXdY}=\frac{\Pi}{4(X-Y)^{2}}.

Les intégrales particulières cherchées qui permettent l’application de la méthode de Riemann peuvent se former aisément par le moyen de la série hypergéométrique. La méthode de Riemann est donc applicable ; il n’en est pas de même, au moins dans tous les cas, pour les équations auxquelles satisfont les autres coefficients ; on peut bien former de nombreuses solutions particulières, mais qui ne sont pas toujours celles qui conviennent à la méthode de Riemann. Heureusement les relations linéaires entre les coefficients nous permettent de revenir toujours aux cas où la méthode est applicable.

Dans la IV° partie, M. Lambert regarde le coefficient comme fonction d’une seule des variables α\alpha et μ\mu ; cette fonction satisfait alors à une équation du 4e ordre. L’auteur indique la manière de former cette équation, mais il ne pousse pas les calculs jusqu’au bout, et il se borne à prévoir la forme de l’équation et le degré des polynômes qui lui servent de coefficients.

On voit que M. Lambert a appliqué avec beaucoup de sagacité des méthodes connues, mais dont l’application est délicate, à une équation qui se présente comme ayant une grande importance en Mécanique Céleste. Les résultats qu’il a obtenus ainsi sont nouveaux et intéressants et nous estimons qu’il y a lieu de l’autoriser à faire imprimer sa thèse et à la soutenir.44endnote: 4 La thèse d’Armand Lambert (1880–1944) fut soutenue à Paris le 6 novembre 1907 devant un jury présidé par Paul Appell, et publiée (Lambert 1907). Lambert a obtenu la mention “très honorable” selon le rapport de soutenance rédigé par Appell (ADS 3p.). Entré à l’Observatoire de Paris comme élève libre le 18.07.1906 sous la direction de Loewy, Lambert fut nommé astronome adjoint le 1er avril 1908. En 1919 il fut chargé de conférences d’astronomie et de travaux pratiques à la Faculté des sciences de Paris, et en 1930 il fut nommé astronome titulaire. Il dirigea le Bureau international de l’heure sous l’autorité du directeur de l’Observatoire de Paris depuis 1929 jusqu’à son arrestation chez lui le 21.08.1943. En 1937, Lambert fut élu membre correspondant du Bureau des longitudes (Le Lay 2021). Persécuté en tant que juif, Lambert fut transporté au camp d’internement de Drancy, avant d’être déporté à Auschwitz, où il mourut le 15.08.1944 (Véron 2016).

Poincaré

ADS 3p. AJ16 5539, Archives nationales françaises.

Time-stamp: "15.12.2021 19:17"

Notes

  • 1 Le manuscrit comporte une annotation au crayon de main inconnue: “5 novembre 1907”.
  • 2 Félix Tisserand et Paul Appell.
  • 3 Voir Moutard (1878) et la présentation succincte de la transformation de Moutard dans l’Encyclopedia of Mathematics.
  • 4 La thèse d’Armand Lambert (1880–1944) fut soutenue à Paris le 6 novembre 1907 devant un jury présidé par Paul Appell, et publiée (Lambert 1907). Lambert a obtenu la mention “très honorable” selon le rapport de soutenance rédigé par Appell (ADS 3p.). Entré à l’Observatoire de Paris comme élève libre le 18.07.1906 sous la direction de Loewy, Lambert fut nommé astronome adjoint le 1er avril 1908. En 1919 il fut chargé de conférences d’astronomie et de travaux pratiques à la Faculté des sciences de Paris, et en 1930 il fut nommé astronome titulaire. Il dirigea le Bureau international de l’heure sous l’autorité du directeur de l’Observatoire de Paris depuis 1929 jusqu’à son arrestation chez lui le 21.08.1943. En 1937, Lambert fut élu membre correspondant du Bureau des longitudes (Le Lay 2021). Persécuté en tant que juif, Lambert fut transporté au camp d’internement de Drancy, avant d’être déporté à Auschwitz, où il mourut le 15.08.1944 (Véron 2016).

Références

  • A. Lambert (1907) Sur les coefficients du développement de la fonction perturbatrice. Ph.D. Thesis, Faculté des sciences de Paris, Paris. link1 Cited by: endnote 4.
  • T. Moutard (1878) Sur la construction des équations de la forme 1zd2zdxdy=λ(x,y)\frac{1}{z}\frac{d^{2}z}{dxdy}=\lambda(x,y) qui admettent une intégrale générale explicite. Journal de l’Ècole polytechnique 45, pp. 1–11. link1 Cited by: endnote 3.
  • P. Véron, M. Véron, and S. Ilovaisky (2016) Dictionnaire des astronomes français (1850–1950). Unpublished typescript, St. Michel l’Observatoire. link1 Cited by: endnote 4.