7-2-29. Felix Klein à H. Poincaré, traduction française

Leipzig, le 2 juillet 1881

Cher Monsieur,

Laissez moi, sans tarder, répondre aux différentes questions que vous me posez dans votre lettre, qui arrive à propos, du 27 juin.

1. J’ai décrit en détail, dans le tome 14, les polygones fondamentaux des groupes de congruences

αδ1,βγ0(mod n)\alpha\equiv\delta\equiv 1,\qquad\beta\equiv\gamma\equiv 0\qquad(\text{mod }n)

pour n=5n=5 (où par déformation simultanée des arêtes on obtient l’icosaèdre) et pour n=7n=7). Le cas général n= nombre premier fait l’objet du mémoire de Dyck, actuellement sous presse.11endnote: 1 Dyck (1881). Je n’ai pas encore terminé l’étude lorsque nn est un nombre composé.

2. “Genre au sens de l’Analysis situs” est attaché à toute surface fermée. Il est égal au nombre de courbes fermées que l’on peut tracer sur la surface sans la morceler. Si l’on considère maintenant la surface en question comme image d’un ensemble de nombres ww, zz d’une équation algébrique f(w,z)=0f(w,z)=0, alors son genre est aussi celui de l’équation. Votre “genre” et mon “Geschlecht” sont donc en fait le même nombre ; on trouve seulement chez moi vraisemblablement une interprétation plus libre de la surface de Riemann et de la définition de pp qu’elle engendre.

3. Il existe, il vrai, dans le groupe des fonctions modulaires des sous-groupes qui possèdent un polygone fondamental asymétrique auxquels appartiennent, comme je le démontre dans le tome 14, en particulier les sous-groupes correspondants aux résolvantes de l’équation modulaire pour n=7n=7 et n=11n=11.

4. Je connais bien le fait que dans le cas du polygone

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les cercles, prolongés vers l’extérieur, ne doivent pas se couper, si l’on forme une fonction uniforme. C’est justement sur ce point, d’après moi, que l’on doit porter l’attention, si l’on veut démontrer que les coordonnées ww, zz du point d’une courbe algébrique quelconque peuvent être représentées par une fonction uniforme à transformation linéaire en soi. Je vais vous indiquer jusqu’où j’ai avancé dans cette question. D’après les travaux de Schwarz et ceux de Weierstrass, on peut toujours appliquer le demi-plan sur un polygone à arcs circulaires:

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de façon que les points I, II, III, IV, V qui correspondent aux points 1, 2, 3, 4, 5 de la frontière du demi-plan aient une position quelconque. Supposons maintenant que I, II, III, IV, V …soient des points de ramification d’une fonction algébrique w(z)w(z); et ces fonctions algébriques ne possèdent aucun autre point de ramification. Il est évident alors que ww et zz sont des fonctions uniformes du type considéré des variables auxiliaires dans le plan desquelles se trouve le polygone. Si donc tous les points de ramification d’une fonction algébrique w(z)w(z) sont situés sur un cercle du plan des zz, alors, indubitablement, la réponse est positive. Et si, maintenant, ce n’est pas le cas ? Alors j’arrive, en fait, à des polygones du type:

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comme je vous citais la dernière fois. Si la figure ne présente aucune symétrie, j’arrive au moins (en établissant des équations différentielles appartenant au type que j’ai traité : η′′′η32(η′′η)2=R(z)\frac{\eta^{\prime\prime\prime}}{\eta^{\prime}}-\frac{3}{2}(\frac{\eta^{\prime% \prime}}{\eta^{\prime}})^{2}=R(z)) à un espace fondamental formé d’une manière analogue, dont les arêtes pour les angles nuls se rencontrent, et qui, de plus, se groupent ensemble deux à deux par des substitutions linéaires. Mais je ne peut pas démontrer que cet espace fondamental ensemble avec ses répétitions recouvre seulement un partie du plan complexe. Et cette difficulté m’arrête déjà depuis longtemps.

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5. De plus, on obtient d’autres cas remarquables des groupes discontinus si on prend un nombre quelconque de cercles deux à deux disjoints et on les réfléchit par les rayons réciproques. Pour plus de clarté, j’ai hachuré la partie du plan extérieure à tous les cercles et qui donc représente le demi-polygone fondamental. Schottky (Journal de Borchardt, t. 38, p. 300–351) a étudié, occasionnellement, ces groupes, sans que là ait été soulevée leur signification fondamentale.22endnote: 2 Schottky (1877).

6. Les principes de Riemann ne donnent d’abord aucun moyen pour construire effectivement une fonction dont on démontre l’existence. On a donc tendance à les considérer comme peu sûrs, bien que l’on puisse être certain que les résultats qui en découlent soient exacts. Par contre, au sujet du problème que j’avais mentionné de l’application des polygones à arcs circulaires, Weierstrass et Schwarz ont une détermination effective des constantes considérées par des procédés convergents. Si on veut utiliser les principes de Riemann, alors on peut établir le théorème très général suivant. Soit donné un polygone ayant un ou aussi plusieurs contours séparés. Le polygone peut être à plusieurs feuillets, dont les feuillets sont reliés par des points de ramification. Chaque contour est composé de plusieurs morceaux ; chaque morceau se transforme en un autre par une substitution linéaire déterminée. On peut, alors, toujours construire une fonction, qui possède à l’intérieur du polygone des discontinuités arbitraires, et dont la partie réelle prend certains modules de périodicité donnés, lorsqu’on passe d’un morceau de la frontière au morceau correspondant en traversant l’intérieur d’un polygone. A ces fonctions appartiennent, en particulier, celles qui, à l’intérieur du polygone, sont constamment uniformes et qui prennent la même valeur pour deux points correspondants quelconques de la frontière. La démonstration est exactement semblable à celle donnée par Riemann dans le § 12 de la première partie des ses Fonctions abéliennes pour le polygone particulier constitué par pp parallélogrammes empilés les uns sur les autres, reliés par 2p22p-2 points de ramification. Ce théorème, que je n’ai d’ailleurs mis en forme qu’au cours des derniers jours, englobe, me semble-t-il, toutes les preuves d’existence, dont vous parlez dans vos notes, comme des cas particuliers ou déductions faciles. Du reste, mon théorème, comme bon nombre de ce que j’écris aujourd’hui, n’est pas encore formulé d’une façon précise ; il me faudrait être beaucoup plus complet si je voulais l’éviter ; vous discernerez facilement ma pensée.

7. Laissez moi encore ajouter une remarque sur une autre de vos publications. Vous mentionnez que les fonctions θ\theta, qui résultent de l’inversion des intégrales algébriques sur les courbes de genre p, ne sont pas les fonctions θ\theta générales. Vous ne pouvez pas savoir que justement ces raisonnements sont généralement connus : un grand nombre de jeunes mathématiciens travaillent sur ce sujet, pour trouver les conditions permettant de distinguer les fonctions 0 dites de Riemann des fonctions θ\theta générales. Par contre, je suis étonné que vous indiquiez que la constante des fonctions θ\theta de Riemann soit égale à 4p+24p+2, alors qu’elle doit être égale à 3p33p-3. N’avez-vous pas lu les explications correspondantes de Riemann ? Ne connaissez vous pas toute la discussion que Brill et Nöther ont achevée dans le tome 7 des Math. Annalen p. 300–307 ?

Dans l’espoir d’avoir bientôt de vos nouvelles, je suis votre sincèrement dévoué,

F. Klein

PTrL. Traduction de S.A. Walter de la transcription allemande (§ 4-47-7) Une traduction de F. Poincaré fut publiée dans Dugac (1989, 97–100). Voir aussi la traduction anglaise (§ 7-2-52).

Time-stamp: "28.04.2021 16:40"

Notes

Références

  • P. Dugac (1989) Henri Poincaré, la correspondance avec des mathématiciens (de J à Z). Cahiers du séminaire d’histoire des mathématiques 10, pp. 83–229. link1 Cited by: 7-2-29. Felix Klein à H. Poincaré, traduction française.
  • W. Dyck (1881) Versuch einer übersichtlichen Darstellung der Riemann’schen Fläche, welche der Galois’schen Resolvente der Modulargleichung für Primzahltransformation der elliptischen Functionen entspricht. Mathematische Annalen 18, pp. 507–527. link1 Cited by: endnote 1.
  • F. Schottky (1877) Ueber die conforme Abbildung mehrfach zusammenhängender ebener Flächen. Journal für die reine und angewandte Mathematik 83, pp. 300–351. Cited by: endnote 2.