3-28-2. Charles Lallemand à H. Poincaré

Paris, le 25 octobre 1900

66, Boulevard Émile-Augier

Ministère des Travaux Publics — Nivellement Général de la France

Bureau : 35, Rue Capron

L’Ingénieur en Chef des Mines, Directeur du Nivellement Général de la France,
à Monsieur
H. Poincaré, Membre de l’Institut

Mon cher ami,

Je lis, dans un journal, que tu dois faire très prochainement à l’Institut une Communication, ou un discours sur la “Géodésie française”.11endnote: 1 Poincaré a prononcé un discours à la séance des cinq Académies, le 25.10.1900. Son discours fut publié (1900b, 1900a), et réédité dans Science et méthode (1908). Dans son discours, Poincaré ne reprend pas les suggestions de Lallemand, mais il reconnaît le “nivellement général de la France qui s’exécute par les méthodes ingénieuses et précises de M. Lallemand” (Poincaré 1900b, 521). Pour le cas où tu croirais devoir dire un mot d’une des branches de la géodésie actuelle, le nivellement géométrique de précision, dont le créateur, Bourdalouë, est un français, veux-tu me permettre de te signaler particulièrement deux ou trois améliorations ou résultats que la France peut incontestablement revendiquer, savoir:

1° : L’introduction effective et pratique, dans les résultats des nivellements, de corrections destinées à tenir compte de la variation normale de la pesanteur. Wiltstein et Helmert avaient bien posé, dès 1879, dans les “Astronomische Nachrichten,” le principe de ces corrections ; mais personne n’en a tenu compte avant que nous n’eussions, en 1884, trouvé un moyen graphique très simple et très commode de calculer ces corrections. À notre exemple, depuis cette époque, la correction orthométrique est partout appliquée aux nivellements de précision.

J’ai inséré, dans les Procès-verbaux de l’Association géodésique de 1887 une note assez étendue sur cette question ;

2° : Le “médimarémètre”, que j’ai présenté cette même année à l’Académie et l’Association géodésique, qui est aujourd’hui en service sur presque toutes les mers du globe et qui a permis une détermination économique et sûre du niveau moyen de la mer ;

3° : La démonstration faite par moi en 1890, de l’uniformité de niveau des mers baignant l’Europe.22endnote: 2 Lallemand 1890. Cette démonstration, à l’époque, allait tellement à l’encontre des idées reçues que M. Maurice Lévy, en la présentant à l’Académie des Sciences, croyait devoir faire des réserves formelles et que la Conférence de Fribourg de l’Association géodésique (1890) confiait au bureau central de Berlin le soin de vérifier mes calculs.33endnote: 3 Maurice Lévy (1838–1910) fut élu en 1883 à l’Académie des sciences de Paris dans la section de mécanique; il présida l’Académie en 1900. Lévy fit savoir dans une note de bas de page qu’il gardait une distance critique par rapport aux propos de Lallemand (Comptes rendus 110, 1123) : “En présentant cette Note, M. Maurice Lévy n’entend pas prendre parti dans la question mais seulement soumettre à la discussion les chiffres et les observations de l’auteur.” L’année suivante, en 1891, M. Helmert nous apportait à Florence un mémoire très complet,(1) confirmant tout à fait mes résultats sans toutefois y faire qu’une faible allusion, de sorte que, depuis lors, en Allemagne, le mérite de cette découverte est universellement attribué à l’Institut géodésique prussien.

Tu voudras bien, j’espère, excuser cette trop longue lettre.

Bien cordialement à toi,

Ch. Lallemand

(1) “Die Mittelwasser der Europa umspülenden Meere” von Dr. Börsch. Berlin 1891.44endnote: 4 Börsch 1891.

ALS 3p. Collection particulière, Paris 75017.

Time-stamp: "10.05.2019 22:10"

Notes

  • 1 Poincaré a prononcé un discours à la séance des cinq Académies, le 25.10.1900. Son discours fut publié (1900b, 1900a), et réédité dans Science et méthode (1908). Dans son discours, Poincaré ne reprend pas les suggestions de Lallemand, mais il reconnaît le “nivellement général de la France qui s’exécute par les méthodes ingénieuses et précises de M. Lallemand” (Poincaré 1900b, 521).
  • 2 Lallemand 1890.
  • 3 Maurice Lévy (1838–1910) fut élu en 1883 à l’Académie des sciences de Paris dans la section de mécanique; il présida l’Académie en 1900. Lévy fit savoir dans une note de bas de page qu’il gardait une distance critique par rapport aux propos de Lallemand (Comptes rendus 110, 1123) : “En présentant cette Note, M. Maurice Lévy n’entend pas prendre parti dans la question mais seulement soumettre à la discussion les chiffres et les observations de l’auteur.”
  • 4 Börsch 1891.

Références

  • A. Börsch (1891) Vergleichung der Mittelwasser der Ostsee und Nordsee, des Atlantischen Oceans und des Mittelmeeres auf Grund einer Ausgleichung von 48 Nivellementspolygonen in Central- und Westeuropa. P. Stankeiwicz, Berlin. Cited by: endnote 4.
  • C. Lallemand (1890) Sur le zéro international des altitudes. Comptes rendus hebdomadaires des séances de l’Académie des sciences de Paris 110, pp. 1323–1326. Cited by: endnote 2.
  • H. Poincaré (1900a) La géodésie française (discours prononcé à la séance des cinq Académies le 25 octobre 1900). Mémoires de l’Institut 20, pp. 13–25. Cited by: endnote 1.
  • H. Poincaré (1900b) La mesure de la terre et la géodésie française. Bulletin de la Société astronomique de France 14, pp. 513–521. link1 Cited by: endnote 1.
  • H. Poincaré (1908) Science et méthode. Flammarion, Paris. link1 Cited by: endnote 1.