2-37-2. Tullio Levi-Civita à H. Poincaré

Padoue le 11 décembre 1901

(Université-Padoue)

Illustre Monsieur,

Je viens de lire votre brillant article dans la Revue générale des Sciences.11endnote: 1 Poincaré 1901. Levi-Civita publiera une étude du champ électrique engendré par la translation d’une charge électrique (Levi-Civita 1902b), dont certains résultats sont communiqués dans cette lettre. Il étudiera, en outre (Levi-Civita 1902a), l’effet de l’écran utilisé par Victor Crémieu, effet remarqué également par Alfred Potier (§ 2-48-6) et Augusto Righi (1902).

Permettez moi une petite remarque à propos de la dernière expérience de M. Crémieu.

Il s’agit là substantiellement d’une charge mm, qui va de BB en BB^{\prime} par convection et revient de BB^{\prime} en BB par conduction.

[Uncaptioned image]

La trajectoire de la charge pourra être assimilée au segment rectiligne BBBB^{\prime}, de longueur \ell.

Soit PP un point quelconque à la distance PQ¯=d\overline{PQ}=d de BBBB^{\prime}.

D’après la théorie ordinaire*, la force magnétique, due à la convection, atteint sa valeur maximum FF lorsque la charge mobile passe en QQ, et est alors

F=α1α2md2**F=\frac{\alpha}{\sqrt{1-\alpha^{2}}}\frac{m}{d^{2}}\text{**}

où l’on suppose mm exprimé en unités électrostatiques et α=vV\alpha=\frac{v}{V} est le rapport entre la vitesse de convection vv et celle de la lumière VV.

Nous en concluons :
a) L’effet magnétique de l’allée (courant de convection) au point PP ne peut dépasser celui d’une force

F=α1α2md2F=\frac{\alpha}{\sqrt{1-\alpha^{2}}}\frac{m}{d^{2}}

agissante pendant un temps τ=v\tau=\frac{\ell}{v}.

Cherchons maintenant à évaluer la force magnétique F1F_{1}, due au courant de retour.

Si PP est assez éloigné des extrémités B,BB,B^{\prime}, on pourra traiter le courant en question (dans le très petit intervalle de temps τ1\tau_{1}, pendant lequel il se produit) comme un courant constant ayant son siège sur la droite indéfinie BBBB^{\prime} : L’intensité serait, en unités électrostatiques, mτ1\frac{m}{\tau_{1}} ; elle est donc, en unités électromagnétiques, mVτ1\frac{m}{V\tau_{1}}, ce qui donne pour la force magnétique F1F_{1} au point PP :

F1=2mVτ11dF_{1}=\frac{2m}{V\tau_{1}}\frac{1}{d}

On peut bien admettre que la vitesse de la décharge soit de l’ordre de VV et par suite que le rapport de τ1\frac{\ell}{\tau_{1}} à VV soit un nombre kk assez peu différent de 1. Il vient donc pour expression de la force :

F1=2kmd=2kdmd2;F_{1}=\frac{2k}{\ell}\frac{m}{d}=2k\frac{d}{\ell}\frac{m}{d^{2}}\text{;}

pour sa durée τ1=kV\tau_{1}=\frac{\ell}{kV}.

En somme :
b) L’effet magnétique du retour (courant de conduction) au point PP est à fort peu près celui d’une force

F1=2kdmd2,F_{1}=2k\frac{d}{\ell}\frac{m}{d^{2}},

agissante pendant un temps τ1=kV\tau_{1}=\frac{\ell}{kV}. La force F1F_{1} est bien plus grande que FF : En supposant par exemple que dd soit un centième de \ell, v=3v=3Km par seconde, 2k=12k=1, ce qui est peut-être déjà assez exagéré, nous aurons

α=33.105=105,F1F=1000,\begin{array}[]{cc}\alpha=\frac{3}{3.10^{5}}=10^{-5},&\frac{F_{1}}{F}=1000,% \end{array}

à fort peu près.

Il va sans dire que F1F_{1} agit pendant un temps presque d’autant plus court, mais les expérimentateurs savent bien que le produit force ×\times durée étant constant, on obtient des effets appréciables, seulement lorsque le premier facteur est assez grand : C’est évident qu’il en doit être ainsi, au point de vue mécanique, car le frottement au repos maintient l’équilibre, jusqu’à ce que la force n’atteint pas une certaine limite.

Dans notre cas FF et F1F_{1} sont dans le rapport de 1 à 1000. Rien d’étonnant donc que F1F_{1} soit supérieure à la dite limite, pendant que FF en reste au dessous.

Si je ne me trompe pas, on a ici une justification théorique des résultats observés par M. Crémieu.

Je comprends bien que c’est très indiscret de mon côté de vous avoir entretenu avec une remarque si peu originale. Votre temps est si précieux pour la Science ! Fort heureusement que le Princeps Mathematicorum est à nos jours un souverain constitutionnel et qu’il ne nie pas une audience bienveillante au plus humble de ses sujets.

Veuillez agréer les sentiments de mon profond respect.

Votre bien dévoué,

T. Levi-Civita

* Comme vous le remarquez, il n’est pas nécessaire d’expliciter laquelle. Les théories de Hertz et de Lorentz s’accordent sur ce point ; et il en est de même pour celle de Helmholtz, aux termes du second ordre en 1V\frac{1}{V} près. (Nuovo Cimento, Août 1897)22endnote: 2 Levi-Civita 1897.
** Voir par exemple Righi, «   Sui campi elettromagnetici, ecc.   », Memorie dell’Academia di Bologna, 24 Février 1901 ; ou Nuovo Cimento, Août 1901.33endnote: 3 Righi 1901a, 1901b.

ALS 5p. Collection particulière, Paris 75017.

Time-stamp: " 2.11.2023 19:58"

Notes

  • 1 Poincaré 1901. Levi-Civita publiera une étude du champ électrique engendré par la translation d’une charge électrique (Levi-Civita 1902b), dont certains résultats sont communiqués dans cette lettre. Il étudiera, en outre (Levi-Civita 1902a), l’effet de l’écran utilisé par Victor Crémieu, effet remarqué également par Alfred Potier (§ 2-48-6) et Augusto Righi (1902).
  • 2 Levi-Civita 1897.
  • 3 Righi 1901a, 1901b.

Références

  • T. Levi-Civita (1897) Sulla riducibilità delle equazioni elettrodinamiche di Helmholtz alla forma Hertziana. Nuovo Cimento 6, pp. 93–108. link1 Cited by: endnote 2.
  • T. Levi-Civita (1902a) Influenza di uno schermo conduttore sul campo elettro-magnetico di una corrente alternativa parallela allo schermo. Nuovo Cimento 3, pp. 442–455. link1 Cited by: endnote 1.
  • T. Levi-Civita (1902b) Sur le champ électromagnétique engendré par la translation uniforme d’une charge électrique parallèlement à un plan conducteur infini. Annales de la faculté des sciences de Toulouse 4, pp. 5–44. link1 Cited by: endnote 1.
  • H. Poincaré (1901) A propos des expériences de M. Crémieu. Revue générale des sciences pures et appliquées 12, pp. 994–1007. link1 Cited by: endnote 1.
  • A. Righi (1901a) Sui campi elettromagnetici e particolarmente su quelli creati da cariche elettriche o da poli magnetici in movimento. Memorie dell’Academia di Bologna. link1 Cited by: endnote 3.
  • A. Righi (1901b) Sulla questione del campo magnetico generato dalla convezione elettrica, e su altre questioni. Nuovo Cimento 2, pp. 233–256. link1 Cited by: endnote 3.
  • A. Righi (1902) Ancora sulla questione del campo magnetico generato dalla convezione elettrica. Nuovo Cimento 3, pp. 71–80. link1 Cited by: endnote 1.