6-1-567. Georges Lûhr à H. Poincaré
Bruxelles le 13 Novembre 09
82 Rue du Marais
Bruxelles
A Monsieur H. Poincaré — Paris
Monsieur le Professeur,
Par un effet du hasard j’ai lu dans le “Soir” de Bruxelles du 6 Août écoulé, le compte-rendu d’une conférence sur la mécanique nouvelle, que Monsieur le Professeur a donné à Lille, le 3 août écoulé, à l’association française pour l’avancement des sciences, laquelle a été pour moi, comme vous pourrez le juger par la suite de cette lettre, une véritable révélation. Je ne suis qu’un simple employé aux écritures, mes connaissances en mathématiques et mécanique sont à peu près nulles et cependant je viens vous entretenir au sujet du problème le plus ardu de la mécanique, d’ailleurs considéré erronément comme insoluble. Peut-être vous intéresserez vous à mon problème ou me tracerez vous la marche à suivre pour découvrir les mille francs qui me sont indispensables pour réaliser mon projet.
Je prétends avoir trouvé le moyen de captiver le frottement par roulement, de la canaliser, de m’en servir automatiquement pour produire insensiblement et rapidement un mouvement giratoire constant progressif d’une puissance incommensurable.
Mon moteur se compose selon la force que je veux déployer, d’une ou de plusieurs poulies faisant office de volants, fixées à un axe commun, lequel repose sur des coussinets comme sur la figure suivante. Toutes les poulies tournent donc ensemble dans le même temps. Les autres organes se trouvent à l’intérieur des poulies et sont complètement indépendants de l’axe commun et des poulies. Il n’y a que les organes animants qui prennent contact par intermittence avec les poulies.
Chaque poulie a ses organes respectifs, qui se trouvent en regard de chacune d’elle, maintenus par un dispositif fixé à la table de support de l’appareil.
Pour la facilité de la démonstration donnons à chaque poulie un numéro d’ordre soit 1, 2, 3, 4.
Ma machine comporte trois mouvements qui se produisent et se reproduisent indéfiniment dans l’ordre suivant :
1° le mouvement animant qui s’effectue par l’intermédiaire d’un piston circulaire dont la force initiale réside dans le poids même des organes
2° le mouvement de rotation de l’équipage des poulies
3° " " de rétablissement des organes à leur point de départ primitif.
Le 2d mouvement est continu tandis que les 1er et 3e sont intermittents et se succèdent l’un à l’autre sans interruption
Le 3e est uniforme (toujours de même allure) tandis que les 1er et 2nd s’accélèrent mutuellement.
J’ai expérimenté les 1er et 2nd mouvements, ils sont rigoureusement impeccables. Le 3ème est encore à contrôler mais il n’est pas plus à contester que le trébuchement du fléau d’une balance sensible sur le plateau de laquelle vous déposeriez un poids.
Le temps de rétablissement aura un minimum et un maximum suivant un réglage spécial, une fois établi il restera uniforme. Plus le temps de ce minimum sera long plus l’intensité du mouvement giratoire de l’équipage pourra être accélérer.
Ayant l’intention de construire un appareil d’un équipage à 4 poulies, mon moteur (ab - combusto à force constante progressive par frottement de roulement) avec 4 batteries de mouvements avec ses 4 freins respectifs.
Fixons en égard aux dimensions de mon appareil (diamètre de la poulie 0m50) le temps minimum du rétablissement à 1 seconde (cela se pourrait qu’il mis d’avantage ou moins, c’est encore l’inconnu pour moi, mais il se produira fatalement).
Pour le mettre en marche, je décale la batterie de la 1ère poulie, aussitôt selon l’ordre connu des mouvements, le piston parcourt sa course et communique pour le temps de sa durée à l’équipage un mouvement de rotation, lequel se prolonge en vertu et en rapport de l’impulsion donnée par le piston, son temps expiré, je décale la 3ème batterie et enfin la 4ème. En ne tenant pas compte de l’accélération et les 4 pistons se succédant immédiatement l’un après l’autre, si nous fixons l’heure du départ à 10 heures et le temps de durée de la course du piston à 1/3 de seconde, la course du piston (4ème batterie) parcourue, il sera 10 heures 4/3 s.
Or le rétablissement (1ère batterie) ayant commencé à 10 h 4/3 s la course de son piston va donc immédiatement lui succéder fonctionnant pour la 2nde fois et il sera 10 h 5/3 s, tandis que le rétablissement (2ème batterie) qui avait commencé à 10 h 2/3 s sera terminé à 10 h 5/3 s, son piston recommencera sa course pour la 2nde fois dès ce moment c-à-d tout juste après le fonctionnement du piston de la 1ère batterie savoir a 10 h 5/3 s et ainsi de suite. On peut constater qu’en ne tenant pas compte de l’accélération et en reliant les batteries entre elles automatiquement, en sorte que la établisse le mouvement de la 2nde et ainsi de suite, en tenant compte de la perte de temps par suite des déclenchements, le poids des organes étant connu, on pourrait dire sans réserve que l’appareil établirait le contrôle absolu sur le résultat de l’effet d’une force sur un corps mobile ayant une vitesse antérieure.
Il est évident que Newton n’a pas présenté une démonstration concluante du principe fondamental de sa dynamique puisque d’après le compte-rendu de la conférence de Monsieur le Professeur, auquel j’adresse par la même occasion de journal en question, son principe est révoqué en doute.
En prenant en considération l’accélération, il y aurait moyen d’arriver à une approximation toute voisine de l’exactitude, car au fur et a mesure que la rotation s’accélérait et que la somme totale des temps de durée de la courbe des pistons n’atteindrait pas le temps de rétablissement de la première batterie, il serait loisible de combler cette différence par la mise e action de 1, 2, 3, etc pistons, selon le besoin. Par l’observation on pourrait arriver à connaître le moment d’action de chaque piston c-à-d l’instant ou chacun de ceux-ci devrait d’entrer en jeu afin d’éviter la suspension de passagère de l’effet du poids sur le mobile.
De toutes façons il y aura toujours moyen d’obtenir un contrôle rigoureusement exacte pendant un temps de 10 à 12 secondes par un grand appareil le temps maximum de rétablissement de celui-ci pouvant être porté peut-être à cette limite. Tout dépend des poulies que l’industrie pourrait fournir et non de mon appareil. Que l’on me prouve théoriquement que ce que l’on est convenu d’appeler mouvement perpétuel avec progression est impossible, cela se peut, mais moi, je prouverai pratiquement que non seulement c’est possible, mais qu’il constitue la force motrice la plus formidable que l’on puisse imaginer. Je veux atteindre des vitesses jusqu’à nos jours inaccessibles, je veux en fonder la limite en pratique, fondre les coussinets puis éclater la machine. Je veux actionner des volants de 5, 10, 15 mètres de diamètre en un mot les plus grands que l’industrie sait fournir, leur communiquer dans les quelques minutes une rotation vertigineuse.
Et n’oubliez pas, Monsieur le Professeur, que mon moteur est d’une belle simplicité, qu’un enfant de 12 ans en comprendrait le mécanisme - mais - il fallait le trouver.
Peut-être me prendrez-vous comme tant d’autres pour un illuminé, et bien je me permettrai de vous dire Monsieur le professeur, que vous avez eu tort comme les autres, car si j’ai la chance de trouver ces malheureux mille francs, en moins de 6 mois en 4 mois peut-être j’aurai édifié le monde. Je n’ai pas eu de suite la conception exacte de ce que j’avais trouvé, car il y a 20 ans que j’ai pressenti cette force et il n’y a guère qu’un an que je suis parvenu à l’appliquer sans toutefois en détacher le principe tel qu’aujourd’hui.
A cet effet voici le problème que je m’étais posé et que j’avais résolu : Étant donné le plan X - Y, trouver une force mécanique sous la forme d’un véhicule dont la disposition des organes entraînent entre eux un jeu établissant un mouvement de rotation indéfinie progressive. C’était une mauvaise application de mon moteur actuel. En déplaçant simplement le centre de gravité du locomobile, j’ai dégagé du coup le principe de la force motrice qui l’animait et laquelle n’est autre chose que mon moteur actuel. Un mécanicien de profession l’aurait peut-être vu du premier coup d’oeil, mais je n’étais qu’un élève et n’ai eu d’autres maîtres que ma patience et mon esprit d’observation.
Il m’aurait fallu 1 an 1/2 pour construire ce locomobile, il aurait certainement fonctionner à une allure prodigieuse, mais sur plan seulement tandis qu’aujourd’hui je construis un locomobile gravissant les côtes les plus accentuées, je veux actionner les plus grands navires, les plus grandes usines où à présent par le moteur dont je voudrais construire le type. Son avènement ouvrira à l’aviation la seule voie pratique et l’hélicoptère deviendra la reine des airs.
Mon appareil est pourtant loin d’être impeccable, il pêche par plus d’un côté, je dirai même en quantité d’endroits, je le fais et le sens d’ailleurs, mais il est parfait parce qu’il est accompli et réunit toutes les qualités, puisqu’il pourra dès sa première évolution, élliminer par sa puissance tout ce qui est connu de nos jours en fait de force motrice.
Aussi en songeant au bouleversement que cette invention apporterait dans l’économie politique, au rôle infernal, que la haine ou l’ambition [illisible] pourrait tirer de sa redoutable prépondérance, elle m’est apparue déployant l’immensité de son manteau civilisateur comme un bouclier sur l’humanité toute entière.
C’est pourquoi aussitôt que j’aurai construit ma machine, je la présenterai a la France, parce qu’elle est république, à l’expresse condition qu’elle en garde le secret d’état, qu’elle s’en entoure pour s’assurer suprématie sur l’univers et qu’elle veille à la paix du monde.
C’est dans cette expectative, Monsieur le professeur, que j’ai l’honneur de vous présenter mes respectueuses salutations
Georges Lühr
ALS 6p. Collection particulière, Paris 75017.
Time-stamp: "29.10.2020 18:54"