1-1-80. H. Poincaré à Gösta Mittag-Leffler
[05.02.1889]11endnote: 1 Date du cachet de la poste de Paris. Paris-5 février — Stockholm-8 février. Cette lettre est publiée en partie dans les Acta mathematica 39, pp. 163-164).
Mon cher ami,
Merci de votre lettre ; malheureusement je ne puis pas vous donner des renseignements plus complets au sujet de la méthode de M. Gyldén ; je ne puis démontrer la divergence de ses développements, mais je n’en puis démontrer non plus la convergence.
Pour établir cette convergence, si toutefois elle a lieu, il me faudrait d’abord avoir une idée tout à fait nette de la façon dont ces développements peuvent être obtenus. Or c’est ce que je ne puis faire sans avoir étudié à fond le mémoire de M. Gyldén en commençant par la 1re ligne et finissant par la dernière. C’est là un travail que je n’ai pas eu encore le temps de faire.
Vous avouerai-je que je trouve le style de M. Gyldén un peu
rebutant et qu’il me donne beaucoup de mal à lire.22endnote:
2
Il semblerait que les travaux de Gyldén soient à l’heure actuelle
tout aussi difficilement lisibles.
“Shortly after the prize award had been announced, but before
the mistake was discovered, another colleague and fellow editor
of Acta, the astronomer Hugo Gyldén, announced that, in
a paper published two years previously, he had anticipated Poincaré’s
(premature) claim of stability. On being informed of this by
Mittag-Leffler, Poincaré had replied that he found Gyldén’s
paper difficult to read and inconclusive, but he believed that
convergence of certain series had not been proven in it. It seems
that Gyldén’s “physical” approach was not sufficiently
rigourous to satisfy either Poincaré or Hermite, to whom Gyldén
also appealed. […]
Gyldén’s challenge led to some troublesome debates in the Swedish
Academy of Sciences, which Mittag-Leffler was not able to quell.
In fact, the controversy continued to rumble for some time. As
late as 1904, following a debate on the history of celestial
mechanics, Hugo Buchholz, a former student of Gyldén, published
a paper defending his adviser’s work. In it he acknowledges that
Poincaré did prove divergence of the asymptotic series in certain
case, but argues that this does not invalidate Gyldén’s claim
in other cases. He also admits that Gyldén’s paper is very
hard to read: a fact corroborated by Richard McGehee, who more
recently attempted to understand it, without much success.”
(Diacu & Holmes 1996, 46–47)
Il va sans dire que le commentateur est excusé de facto
de ne pas avoir essayé de lire les articles de Gyldén.
Dans le chapitre 16 des Méthodes nouvelles de la Mécanique
Céleste (1893), Poincaré semble pourtant avoir débrouillé
certains aspects de la méthode de Gyldén :
“Les méthodes de M. Gyldén sont, en effet, un composé de
plusieurs artifices qui n’ont les uns avec les autres aucun lien
nécessaire et qu’il vaut mieux étudier séparément, quitte
à en faire ensuite la synthèse, ce que le lecteur pourra
faire sans aucune peine.”
(Poincaré 1893, 202)
J’ai l’habitude, quand je lis un mémoire, de le parcourir d’abord rapidement de façon à me donner une idée de l’ensemble et de revenir ensuite sur les points qui me semblent obscurs. Je trouve plus commode de refaire des démonstrations que d’approfondir celles de l’auteur. Mes démonstrations peuvent être généralement beaucoup moins bonnes mais elles ont pour moi l’avantage d’être miennes. Or c’est ce qu’il m’est impossible de faire avec M. Gyldén, ses résultats ne sont jamais assez übersichtlich pour cela.
Tout cela soit dit pour vous expliquer comment je n’ai pas pris encore une connaissance plus approfondie du mémoire en question.
Toutefois j’en ai vu assez pour voir qu’il obtient dans certain cas une libration ;33endnote: 3 En astronomie, le terme libration est utilisée dans deux acceptions. En 1764, Lagrange reçoit le Grand Prix de l’Académie des Sciences, pour un mémoire sur la libration de la lune, c’est-à-dire l’étude du balancement apparent de la face visible de la lune de part et d’autre de sa position moyenne ; ce balancement est dû à l’ellipticité de l’orbite de la lune (libration en longitude), à l’inclinaison de l’axes de ses pôles (libration en latitude) et à la rotation de la terre (libration diurne). La libration de la lune explique en particulier pourquoi on peut en observer de la terre un peu plus de la moitié de la surface. Par extension, la libration est le phénomène qui se produit lors de petites oscillations autour des positions d’équilibre du système (par opposition aux mouvements du type rotation qui correspondent à des vitesses initiales suffisamment grandes). C’est en ce sens que Poincaré utilise, ici le terme “libration”. D’autre part, “libration” admet une autre acception. Dans le cadre du problème restreint des trois corps, il y a cinq positions, dites points de libration, où le corps sans masse est en équilibre par rapport aux deux autres corps. or ce qui fait que les développements de M. Lindstedt sont certainement divergents c’est ceci. S’ils convergeaient il n’y aurait jamais de libration, et il y en a certainement.44endnote: 4 Si les séries de Lindstedt convergeaient, le système serait alors complétement intégrable dans le sens le plus fort (feuilleté en tores lagrangiens invariants) et tous les mouvements seraient du type rotation. Plus généralement, l’apparition de la libration correspond à la brisure (générique) d’un tore résonnant (de feuilleté en sous-tores invariants de dimension inférieure) en la réunion d’un nombre fini de tores de dimension inférieure et de leurs variétés stables et instables. Bien entendu, cet argument [de Poincaré] est insuffisant car il n’exclut pas l’existence de séries de Lindstedt convergentes à fréquences fixées. (Alain Chenciner — Communication privée — 1997)
Les mêmes raisons n’existent donc pas pour conclure à la divergence des séries de M. Gyldén. Maintenant il reste bien entendu que jusqu’à nouvel ordre je regarde la divergence comme plus probable.
Une autre raison qui m’empêche de rien pouvoir affirmer, c’est que dans ces développements, autant que je puis comprendre, les termes ne se déduisent pas les uns des autres par une règle inflexible. A chaque approximation il faut faire intervenir sa jugeote (comme on dit vulgairement) pour décider dans quel sens on doit aiguiller (comme on dit dans les chemins de fer).
Or c’est là un élément qu’il est difficile d’introduire dans une démonstration de convergence ou de divergence.
Votre ami dévoué,
Poincaré
ALS 3p. IML 48, Mittag-Leffler Archives, Djursholm.
Time-stamp: "31.05.2020 16:03"
Notes
- 1 Date du cachet de la poste de Paris. Paris-5 février — Stockholm-8 février. Cette lettre est publiée en partie dans les Acta mathematica 39, pp. 163-164).
- 2 Il semblerait que les travaux de Gyldén soient à l’heure actuelle tout aussi difficilement lisibles. “Shortly after the prize award had been announced, but before the mistake was discovered, another colleague and fellow editor of Acta, the astronomer Hugo Gyldén, announced that, in a paper published two years previously, he had anticipated Poincaré’s (premature) claim of stability. On being informed of this by Mittag-Leffler, Poincaré had replied that he found Gyldén’s paper difficult to read and inconclusive, but he believed that convergence of certain series had not been proven in it. It seems that Gyldén’s “physical” approach was not sufficiently rigourous to satisfy either Poincaré or Hermite, to whom Gyldén also appealed. […] Gyldén’s challenge led to some troublesome debates in the Swedish Academy of Sciences, which Mittag-Leffler was not able to quell. In fact, the controversy continued to rumble for some time. As late as 1904, following a debate on the history of celestial mechanics, Hugo Buchholz, a former student of Gyldén, published a paper defending his adviser’s work. In it he acknowledges that Poincaré did prove divergence of the asymptotic series in certain case, but argues that this does not invalidate Gyldén’s claim in other cases. He also admits that Gyldén’s paper is very hard to read: a fact corroborated by Richard McGehee, who more recently attempted to understand it, without much success.” (Diacu & Holmes 1996, 46–47) Il va sans dire que le commentateur est excusé de facto de ne pas avoir essayé de lire les articles de Gyldén. Dans le chapitre 16 des Méthodes nouvelles de la Mécanique Céleste (1893), Poincaré semble pourtant avoir débrouillé certains aspects de la méthode de Gyldén : “Les méthodes de M. Gyldén sont, en effet, un composé de plusieurs artifices qui n’ont les uns avec les autres aucun lien nécessaire et qu’il vaut mieux étudier séparément, quitte à en faire ensuite la synthèse, ce que le lecteur pourra faire sans aucune peine.” (Poincaré 1893, 202)
- 3 En astronomie, le terme libration est utilisée dans deux acceptions. En 1764, Lagrange reçoit le Grand Prix de l’Académie des Sciences, pour un mémoire sur la libration de la lune, c’est-à-dire l’étude du balancement apparent de la face visible de la lune de part et d’autre de sa position moyenne ; ce balancement est dû à l’ellipticité de l’orbite de la lune (libration en longitude), à l’inclinaison de l’axes de ses pôles (libration en latitude) et à la rotation de la terre (libration diurne). La libration de la lune explique en particulier pourquoi on peut en observer de la terre un peu plus de la moitié de la surface. Par extension, la libration est le phénomène qui se produit lors de petites oscillations autour des positions d’équilibre du système (par opposition aux mouvements du type rotation qui correspondent à des vitesses initiales suffisamment grandes). C’est en ce sens que Poincaré utilise, ici le terme “libration”. D’autre part, “libration” admet une autre acception. Dans le cadre du problème restreint des trois corps, il y a cinq positions, dites points de libration, où le corps sans masse est en équilibre par rapport aux deux autres corps.
- 4 Si les séries de Lindstedt convergeaient, le système serait alors complétement intégrable dans le sens le plus fort (feuilleté en tores lagrangiens invariants) et tous les mouvements seraient du type rotation. Plus généralement, l’apparition de la libration correspond à la brisure (générique) d’un tore résonnant (de feuilleté en sous-tores invariants de dimension inférieure) en la réunion d’un nombre fini de tores de dimension inférieure et de leurs variétés stables et instables. Bien entendu, cet argument [de Poincaré] est insuffisant car il n’exclut pas l’existence de séries de Lindstedt convergentes à fréquences fixées. (Alain Chenciner — Communication privée — 1997)