1-1-9. Gösta Mittag-Leffler à H. Poincaré

Helsingfors, 9 Août 1881

Mon cher ami,

Recevez mes remerciements chaleureux de vos deux lettres datées le 26 Juillet et le 1 Août. Je me suis mal exprimé dans ma dernière lettre. J’ai voulu dire que vous vous exprimez dans votre travail de telle manière qu’on s’imagine que l’équation

u1F1dzdu1++unFndzdun=zu_{1}F_{1}\frac{{dz}}{{du_{1}}}+\quad\ldots\quad+u_{n}F_{n}\frac{{dz}}{{du_{n}% }}=z

F1FnF_{1}\quad\ldots\quad F_{n} se réduisent respectivement à

1,xα2,,xαn1,\;x-\alpha_{2},\quad\ldots{\kern 1.0pt}\quad,\;x-\alpha_{n}

a toujours une intégrale holomorphe en xx et présentant une espace lacunaire. Ce n’est pas le cas comme vous m’avez montré vous-même par l’exemple que vous me donnez dans votre lettre datée le 26 Juillet. Mais enfin c’est une chose qui n’est pas de grande importance et vos lecteurs doivent toujours être en état de vous comprendre.11endnote: 1 Mittag-Leffler est nettement moins indulgent dans sa lettre adressée à Hermite du 20 août 1881. En effet, après avoir exprimé sans réserve son admiration sur les résultats concernant les fonctions fuchsiennes, il revient sur la question des corrections de l’article sur les fonctions lacunaires : Mais je reviens au mémoire “Sur les fonctions à espace lacunaire” que je vous envoie sous bande. M. Poincaré a bien voulu faire quelques corrections mais je trouve pourtant qu’il soit injuste envers Weierstrass. C’est trop peu dit «  une conception nouvelle des fonctions analytiques qui a son origine dans les travaux de Cauchy et que M. Weierstrass a si clairement exposée dans son mémoire Zur Functionenlehre   »—voir page 3 — Je ne crois pas que Cauchy a jamais eu l’idée de définir une fonction analytique de la manière de Weierstrass expliquée par M. Poincaré. Et dans tous les cas les recherches de Weierstrass là-dessus sont antérieures à ceux de Cauchy. On a toute raison de dire que les travaux de l’école de Riemann ont leur source chez Cauchy mais ce n’est pas vrai quant à la théorie des fonctions de Weierstrass. C’est ce qu’on peut voir déjà par ses publications et qu’on verra bien plus clairement encore quand le cours qu’il a fait depuis presque 30 années sera enfin publié.
C’est un autre point où je trouve que M. Poincaré a tort. Il s’exprime d’une manière à faire croire que l’équation
u1F1dzdu1+u2F2dzdu2++unFndzdun=zu_{1}\,F_{1}\,\frac{{dz}}{{du_{1}}}\;+\;u_{2}\,F_{2}\,\frac{{dz}}{{du_{2}}}\;+% \;\ldots\;+u_{n}\,F_{n}\,\frac{{dz}}{{du_{n}}}\;=\;z\; dans le cas mentionné par lui a toujours une intégrale holomorphe à espace lacunaire. Mais ce n’est pas ainsi. Il est très facile à former de telles équations dont l’intégrale holomorphe n’a pas d’espace lacunaire. Le vrai est qu’il existe des équations de ce type qui ont une intégrale à espace lacunaire mais que cette qualité n’appartient nullement à toutes les équations du type.
Je n’ai pas fait ces remarques qui me paraissent être justes pourtant dans la note que je me permets de vous envoyer. J’ai taché au contraire de faire valoir les grands et réels mérites du travail de Monsieur Poincaré. (AS)

Je vous ai envoyé, il y a quelques jours, 50 exemplaires de votre travail. Je vous enverrai de même demain ou après-demain quelques exemplaires d’une note de moi22endnote: 2 Mittag-Leffler 1880, 1881. où je cherche de faire valoir votre travail.33endnote: 3 Dans cette note, après avoir cité les diverses démonstrations (Weierstrass, Dini, Hermite et Schering) de son théorème de représentation des fonctions méromorphes, Mittag-Leffler cite les résultats obtenus par Weierstrass dans Zur Functionenlehre et en particulier, celui concernant les séries qui peuvent représenter des fonctions différentes dans des domaines différents. Puis, il signale les résultats de Poincaré annoncés par Hermite (1881; Picard (1917, 48–74)) et ceux de l’article sur les fonctions à espace lacunaire (Poincaré 1883; Valiron (1950, 28–35)) : Dans un mémoire que m’a envoyé M. Poincaré, […], cette question [des fonctions à espace lacunaire] trouve une explication aussi complète qu’ingénieuse. M. Poincaré montre comment la formule dont il s’agit est en réalité, une expression d’une seule fonction analytique, pour laquelle le polygone P est un véritable “espace lacunaire”, et, par cette remarque, il est le premier qui, après Weierstrass, ait donné un exemple concret de fonctions de cette nature. M. Poincaré étudie également, en partant de la conception de la théorie des fonctions, propre à M. Weierstrass, certaines autres fonctions de même nature, ayant des “espaces lacunaires”. (Mittag-Leffler 1880, 1881, 392) . J’ai écrit en suédois mais je tacherai de traduire en français la partie qui vous concerne.

Agréez, cher ami, l’expression de la haute considération avec laquelle je suis votre ami dévoué

Gösta Mittag-Leffler

ALS 1p. IML-27, Mittag-Leffler Archives, Djursholm.

Time-stamp: "11.04.2023 22:02"

Notes

  • 1 Mittag-Leffler est nettement moins indulgent dans sa lettre adressée à Hermite du 20 août 1881. En effet, après avoir exprimé sans réserve son admiration sur les résultats concernant les fonctions fuchsiennes, il revient sur la question des corrections de l’article sur les fonctions lacunaires : Mais je reviens au mémoire “Sur les fonctions à espace lacunaire” que je vous envoie sous bande. M. Poincaré a bien voulu faire quelques corrections mais je trouve pourtant qu’il soit injuste envers Weierstrass. C’est trop peu dit «  une conception nouvelle des fonctions analytiques qui a son origine dans les travaux de Cauchy et que M. Weierstrass a si clairement exposée dans son mémoire Zur Functionenlehre   »—voir page 3 — Je ne crois pas que Cauchy a jamais eu l’idée de définir une fonction analytique de la manière de Weierstrass expliquée par M. Poincaré. Et dans tous les cas les recherches de Weierstrass là-dessus sont antérieures à ceux de Cauchy. On a toute raison de dire que les travaux de l’école de Riemann ont leur source chez Cauchy mais ce n’est pas vrai quant à la théorie des fonctions de Weierstrass. C’est ce qu’on peut voir déjà par ses publications et qu’on verra bien plus clairement encore quand le cours qu’il a fait depuis presque 30 années sera enfin publié. C’est un autre point où je trouve que M. Poincaré a tort. Il s’exprime d’une manière à faire croire que l’équation u1F1dzdu1+u2F2dzdu2++unFndzdun=zu_{1}\,F_{1}\,\frac{{dz}}{{du_{1}}}\;+\;u_{2}\,F_{2}\,\frac{{dz}}{{du_{2}}}\;+% \;\ldots\;+u_{n}\,F_{n}\,\frac{{dz}}{{du_{n}}}\;=\;z\; dans le cas mentionné par lui a toujours une intégrale holomorphe à espace lacunaire. Mais ce n’est pas ainsi. Il est très facile à former de telles équations dont l’intégrale holomorphe n’a pas d’espace lacunaire. Le vrai est qu’il existe des équations de ce type qui ont une intégrale à espace lacunaire mais que cette qualité n’appartient nullement à toutes les équations du type. Je n’ai pas fait ces remarques qui me paraissent être justes pourtant dans la note que je me permets de vous envoyer. J’ai taché au contraire de faire valoir les grands et réels mérites du travail de Monsieur Poincaré. (AS)
  • 2 Mittag-Leffler 1880, 1881.
  • 3 Dans cette note, après avoir cité les diverses démonstrations (Weierstrass, Dini, Hermite et Schering) de son théorème de représentation des fonctions méromorphes, Mittag-Leffler cite les résultats obtenus par Weierstrass dans Zur Functionenlehre et en particulier, celui concernant les séries qui peuvent représenter des fonctions différentes dans des domaines différents. Puis, il signale les résultats de Poincaré annoncés par Hermite (1881; Picard (1917, 48–74)) et ceux de l’article sur les fonctions à espace lacunaire (Poincaré 1883; Valiron (1950, 28–35)) : Dans un mémoire que m’a envoyé M. Poincaré, […], cette question [des fonctions à espace lacunaire] trouve une explication aussi complète qu’ingénieuse. M. Poincaré montre comment la formule dont il s’agit est en réalité, une expression d’une seule fonction analytique, pour laquelle le polygone P est un véritable “espace lacunaire”, et, par cette remarque, il est le premier qui, après Weierstrass, ait donné un exemple concret de fonctions de cette nature. M. Poincaré étudie également, en partant de la conception de la théorie des fonctions, propre à M. Weierstrass, certaines autres fonctions de même nature, ayant des “espaces lacunaires”. (Mittag-Leffler 1880, 1881, 392)

Références

  • C. Hermite (1881) Sur quelques points de la théorie des fonctions, extrait d’une lettre de C.Hermite à G. Mittag-Leffler. Journal für die reine und angewandte Mathematik 91, pp. 53–78. link1 Cited by: endnote 3.
  • G. Mittag-Leffler (1880) Nagra funktionsteoretiska undersökningar. Öfversigt af Finska Vetenskaps-Societetens Föhaldlingar, pp. 95–99. link1 Cited by: endnote 2, endnote 3.
  • G. Mittag-Leffler (1881) Recherches sur la théorie des fonctions. Bulletin des Sciences mathématiques et astronomiques 5 (II) (1), pp. 388–392. link1 Cited by: endnote 2, endnote 3.
  • É. Picard (Ed.) (1917) Œuvres de Charles Hermite, Volume 4. Gauthier-Villars, Paris. link1 Cited by: endnote 3.
  • H. Poincaré (1883) Sur les fonctions à espaces lacunaires. Acta Societatis scientiarum Fennicae 12, pp. 343–350. link1 Cited by: endnote 3.
  • G. Valiron (Ed.) (1950) Œuvres d’Henri Poincaré, Volume 4. Gauthier-Villars, Paris. link1 Cited by: endnote 3.