2-62-9. H. Poincaré et al. to Physics Nobel Committee

[Ca. 24.01.1903]11endnote: 1 Le manuscrit porte un cachet : “K. Vetenskapsakademiens, Nobelkomitéer, Inkom den 27.1.1903”.

L’une des découvertes les plus importantes qui aient été faites en Physique dans ces dernières années est celle de la radio-activité de la matière. Il s’agit en effet d’un fait absolument nouveau et qui touche à la fois aux propriétés les plus intimes de la matière et à celle de l’éther. Ce qu’il conserve encore de mystérieux n’est qu’une raison de plus d’espérer qu’on en tirera encore des découvertes intéressantes et inattendues.

Cette découverte est due à MM. Becquerel et Curie.

A la suite de la découverte des rayons X, M. Becquerel eut l’idée de rechercher si les corps phosphorescents n’émettraient pas des radiations analogues; il opéra sur les sels d’urane et reconnut en effet qu’ils émettaient des rayons susceptibles d’impressionner les plaques photographiques à travers les corps opaques. Mais tandis que la lumière ordinaire émise par ces sels ne prend jamais naissance que sous l’influence d’une lumière excitatrice extérieure, les radiations nouvelles se produisent au contraire spontanément et sans cause excitatrice connue; cette propriété semble se conserver indéfiniment, sans affaiblissement appréciable.

Les rayons Becquerel peuvent se manifester par l’action sur la plaque photographique et par la décharge des corps électrisés.

M. Becquerel se servit de ces deux moyens d’investigation pour étudier le phénomène nouveau; il ne tarda pas à constater l’hétérogénéité du rayonnement.

Un autre fait important c’est que tous les sels d’uranium jouissent de cette même propriété qui semble ainsi avoir un caractère moléculaire; cette constatation conduisit M. Becquerel à essayer l’uranium métallique qui se montra plus actif que ses sels.

En 1898, M. Curie s’occupa à son tour de cette question et étudia différents minerais d’uranium et de thorium dont quelques-uns leur parurent doués d’une radioactivité particulièrement intense.

Il fut ainsi conduit à isoler deux corps nouveaux, le polonium 400 fois plus actif que l’uranium et le radium 900 fois plus actif que l’uranium et dont les radiations étaient susceptibles, comme les rayons X, d’exciter la fluorescence du platinocyanure de baryum.

Cette découverte donna une nouvelle impulsion aux recherches sur la radioactivité. Malheureusement, dès que l’importante propriété reconnue par M. Curie eut été publiée, le minerai d’où le radium peut être extrait fut immédiatement accaparé de sorte que MM. Becquerel et Curie faillirent être privés du fruit de leur travail. Néanmoins s’étant procuré à grand peine quelques décigrammes de cette précieuse matière, ils ne se découragèrent pas et poursuivirent leurs études, tantôt ensemble, tantot séparément. Souvent ils hésitaient à entreprendre une expérience dans la crainte de perdre une parcelle de cette substance qu’ils n’auraient pu renouveler facilement. Bien que leurs concurrents, favorisés par l’accaparement, n’eussent pas à compter avec cette difficulté, les deux savants ne se laissèrent pas devancer.

Ils reconnurent d’abord que les rayons nouveaux possèdent, comme les rayons X, la propriété d’exciter des rayons secondaires en frappant des corps solides, ce qui donne lieu à des phénomènes que l’on pourrait d’abord être tenté d’assimiler à une réflexion ou à une réfraction.

En décembre 1899, M. Becquerel observa l’action du champ magnétique sur les rayons du radium; cette même action avait été constatée peu de temps auparavant par M. Giesel, mais les deux recherches sont tout à fait indépendantes l’une de l’autre.22endnote: 2 Henri Becquerel (1899), Friedrich Giesel (1899).

MM. Becquerel et Curie entreprirent alors l’étude détaillée du nouveau phénomène et mirent en évidence les lois de la déviation qui sont les mêmes que celles des rayons cathodiques. Cela fournissait un nouveau moyen de discerner les différentes sortes de rayons qui se distinguent par leur déviabilité magnétique, par leur pénétration plus ou moins grandes et aussi par la persistance du rayonnement; car si les radiations du radium et de l’uranium subsistent indéfiniment sans s’affaiblir, il n’en est pas de même de celles du polonium.

Le radium émet d’ailleurs des radiations de toutes sortes, les unes non déviables et très pénétrantes, les autres déviables et moins pénétrantes, les autres enfin, non déviables et très peu pénétrantes.

Les recherches des deux savants allaient bientôt faire ressortir de nouvelles analogies entre les rayons cathodiques et les rayons Becquerel.33endnote: 3 Variante : “…de nouvelles analogies entre les rayons Becquerel et les rayons cathodiques”. Ceux-ci en effet sont, comme les premiers, déviables par un champ électrique, et transportent avec eux de l’électricité négative. La comparaison de ces phénomènes permettait de calculer la vitesse dans l’hypothèse de l’émission. Cette vitesse fut trouvée comparable à celle de la lumière; et d’autre part on reconnut que la quantité de matière enlevée par l’émission n’était que d’un milligramme en un milliard d’années.

Je ne parlerai pas d’une foule d’autres expériences de détail, mais il est nécessaire de signaler le phénomène de la radioactivité induite, qui présente un caractère très mystérieux; le radium semble capable de transmettre sa radioactivité à d’autres corps voisins, même à travers des espaces capillaires.

En résumé, la radioactivité est un phénomène physique entièrement nouveau, que rien ne pouvait faire prévoir il y a quelques années et dont l’importance est considérable. La découverte première appartient incontestablement à MM. Becquerel et Curie et c’est à eux également que nous devons la connaissance de la plupart des propriétés des radiations nouvelles, malgré les difficultés que leur causait la rareté de la matière première.

Il nous paraît impossible de séparer les noms des deux physiciens et en conséquence nous n’hésitons pas à vous proposer de partager le prix Nobel entre MM. Becquerel et Curie.44endnote: 4 Le 25.01.1903, Pierre Curie écrit à Poincaré (§ 2-19-1) afin d’exprimer sa “solidarité” avec son épouse Marie Curie. Le prix Nobel de physique sera finalement décerné par moitié à Henri Becquerel, et par moitié au couple Curie. A ce propos, voir Crawford (1984, 141). Voir également la lettre de Pierre Curie à Gösta Mittag-Leffler, 06.08.1903 (§ 1-1-205, note 3).

Poincaré de l’Institut É. Mascart de l’Institut C. Wolf de l’Institut M. Levy de l’Institut Gal Bassot de l’Institut G. Lippmann O. Callandreau de l’Institut A. Haller de l’Institut G. Lemoine de l’Institut É. Picard de l’Institut R. Radau de l’Institut A. de Lapparent de l’Institut E.H. Amagat de l’Institut L. Cailletet de l’Institut G. Humbert de l’Institut Paul Appell de l’Institut J. Violle de l’Institut G. Darboux H. Deslandres de l’Institut M. Loewy

ADS 3p. Nobel Archives of the Royal Swedish Academy of Sciences. Transcrite dans Nabonnand, dir (1999, § 205, note 3).

Time-stamp: " 3.05.2019 01:30"

Notes

  • 1 Le manuscrit porte un cachet : “K. Vetenskapsakademiens, Nobelkomitéer, Inkom den 27.1.1903”.
  • 2 Henri Becquerel (1899), Friedrich Giesel (1899).
  • 3 Variante : “…de nouvelles analogies entre les rayons Becquerel et les rayons cathodiques”.
  • 4 Le 25.01.1903, Pierre Curie écrit à Poincaré (§ 2-19-1) afin d’exprimer sa “solidarité” avec son épouse Marie Curie. Le prix Nobel de physique sera finalement décerné par moitié à Henri Becquerel, et par moitié au couple Curie. A ce propos, voir Crawford (1984, 141). Voir également la lettre de Pierre Curie à Gösta Mittag-Leffler, 06.08.1903 (§ 1-1-205, note 3).

Références

  • H. Becquerel (1899) Influence d’un champ magnétique sur le rayonnement des corps radio-actifs. Comptes rendus hebdomadaires des séances de l’Académie des sciences de Paris 129, pp. 996–1001. link1 Cited by: endnote 2.
  • E. Crawford (1984) The Beginnings of the Nobel Institution: the Science Prizes, 1901–1915. Cambridge University Press, Cambridge. Cited by: endnote 4.
  • F. Giesel (1899) Ueber die Ablenkbarkeit der Becquerelstrahlen im magnetischen Felde. Annalen der Physik und Chemie 69, pp. 834–836. link1 Cited by: endnote 2.
  • P. Nabonnand (Ed.) (1999) La correspondance d’Henri Poincaré, Volume 1: La correspondance entre Henri Poincaré et Gösta Mittag-Leffler. Birkhäuser, Basel. link1 Cited by: 2-62-9. H. Poincaré et al. to Physics Nobel Committee.