4-65-3. H. Poincaré to Salvatore Pincherle

Paris, le 15 juin 1882

Monsieur le Professeur,

Je vous remercie beaucoup de votre intéressante lettre et des aperçus nouveaux et ingénieux qu’elle renferme. C’est bien ainsi, ce me semble, qu’il convient d’exposer la théorie générale des fonctions si l’on veut bien faire comprendre le véritable sens des problèmes qu’on a à traiter.

Le problème qui consiste à reconnaître, d’après les coefficients d’un développement en séries de puissances, quelles sont les propriétés de la fonction représentée par ce développement est loin d’être résolu, comme vous le faites fort bien remarquer et il y a encore beaucoup à faire dans ce sens.

Vous citez le cas des séries récurrentes et des séries hypergéométriques; je pense que vous comprenez sous ce dernier nom, non seulement la série de Gauss, mais toutes les séries représentant des intégrales d’équations différentielles linéaires à coefficients rationnels; il y a en effet entre pp coefficients consécutifs d’une pareille série (tout à fait analogue à la série de Gauss) une relation linéaire de récurrence dans laquelle entre le rang nn du premier de ces pp coefficients. Voilà donc une condition qui permet de reconnaître d’après la loi des coefficients si la série satisfait à une équation linéaire; et par conséquent si elle représente une fonction algébrique.

Il y a aussi des cas où la loi des coefficients montre immédiatement quel est le champ de validité de la fonction; je ne parle pas seulement ici du cas simple des séries convergentes dans tous le plan; mais des séries telles que celles-ci

x3n2n  ou   ϕp(n)xn,\sum\frac{{x^{3}}^{n}}{2^{n}}\qquad\text{ou }\qquad\sum\phi_{p}(n)x^{n},

ϕp(n)\phi_{p}(n) représente la somme des puissances ppièmes des diviseurs de nn. On voit immédiatement en effet que le champ de validité est le cercle de rayon 1 et de centre 0.

Je passe au second de vos problèmes : étant donné un développement en série, ou un produit infini, ou une fraction continue, reconnaître si ce développement représente une fonction analytique. Le cas du produit infini se ramène aisément à celui de la série traité par Weierstrass; il suffit de passer aux logarithmes. Quant au cas des fractions continues, je ne crois pas qu’il ait été approfondi comme il mériterait de l’être.

Il est encore une autre classe de problèmes qui sont un peu différents de ceux dont vous parlez, ce sont ceux qui se rattachent à l’aehnliche Abbildung d’un contour sur une autre et au principe de Dirichlet.

Malheureusement beaucoup de ces problèmes ont été traités sans une rigueur suffisante, mais on en trouve une solution rigoureuse dans les Monatsberichte de l’Académie de Berlin, octobre 1870, page 767 et suivantes, dans un mémoire de M. Schwarz.11endnote: 1 Schwarz 1870; 1890, 144–171.

Oserais-je vous demander un service, ce serait de me dire ce que c’est que la Revue Universelle qui se publie à Voltri; est-ce un journal auquel un géomètre ait intérêt à s’abonner.

Veuillez agréer, Monsieur le Professeur, l’assurance de ma considération la plus distinguée.

Poincaré

PTrL. Dugac (1989, 215–216).

Time-stamp: " 6.11.2022 18:08"

Notes

Références

  • P. Dugac (1989) Henri Poincaré, la correspondance avec des mathématiciens (de J à Z). Cahiers du séminaire d’histoire des mathématiques 10, pp. 83–229. link1 Cited by: 4-65-3. H. Poincaré to Salvatore Pincherle.
  • H. A. Schwarz (1870) Ueber die Integration der partiellen Differentialgleichung 2ux22uy2=0\frac{\partial^{2}u}{\partial x^{2}}{\partial^{2}u}{\partial y^{2}}=0 unter vorgeschriebenen Grenz- und Unstetigkeitsbedingungen. Monatsberichte der königliche Akademie der Wissenschaften zu Berlin, pp. 767–795. link1 Cited by: endnote 1.
  • H. A. Schwarz (1890) Gesammelte mathematische Abhandlungen von H. A. Schwarz, Volume 2. Springer, Berlin. link1 Cited by: endnote 1.