3-42-1. Martial Simonin à H. Poincaré
Nice 4 Décembre 1895
Cher Monsieur,
Je vous prie de vouloir bien m’excuser si je n’ai pas répondu plus tôt
à votre aimable lettre.11endnote:
1
Nous n’avons pas retrouvé cette
lettre de Poincaré, qui suit la thèse de Simonin, lui donne des
conseils dans ce cadre. Dans l’introduction de sa thèse, Simonin précise que
Tisserand lui a proposé le sujet (Simonin 1897, 4):
“[L]e problème d’Hécube ne peut être traité
par les procédés ordinaires, si on ne leur fait subir, au préalable,
d’importantes modifications. Il a semblé à M. Tisserand que l’étude
complète des méthodes employées et des résultats obtenus par les
divers géomètres qui se sont occupés de cette question, devait
conduire à une solution simple qui n’entraînât pas avec elle le
recours aux fonctions elliptiques.
C’est ce problème que M. Tisserand a bien voulu nous proposer de
résoudre.”
Simonin signale au même endroit qu’il s’est inspiré des
Méthodes nouvelles de la mécanique céleste de Poincaré pour son travail;
il applique la méthode proposée par Poincaré afin d’obtenir une
première approximation périodique. Après avoir expliqué que l’approche
de Le Verrier ne peut s’appliquer au cas de la trajectoire d’Hécube,
il présente rapidement la méthode qu’il va mettre en œuvre en se
référant à Poincaré (Simonin 1897, 6–7):
“Si l’on remarque, avec M. Poincaré, qu’en négligeant d’abord la
masse de Jupiter ainsi que les excentricités et les inclinaisons des
orbites, Hécube et Jupiter décrivent autour du Soleil deux
circonférences avec les vitesses angulaires qu’on peut désigner par
et , on voit que, après chaque intervalle de temps égal à
, ces deux planètes se retrouvent dans la même
position relative par rapport au Soleil. Si l’on rapporte le système
à des axes mobiles tournant d’un mouvement uniforme avec la vitesse
angulaire , les coordonnées d’Hécube sont des fonctions
périodique du temps ; la période est . Le
problème ainsi simplifié comporte une infinité de solutions
périodiques. Ces solutions, dans lesquelles l’excentricité est très
petite, sont appelées par l’auteur : solutions périodiques de la
première sorte.
M. Poincaré a, en outre, démontré que le problème des trois corps
comporte encore des solutions périodiques de la première sorte, si
la masse Jupiter est assez petite, pourvu que et ne soient
pas commensurables. Considérons l’une d’entre elles, prenons pour
origine du temps l’époque d’une conjonction d’Hécube et de Jupiter ;
les coordonnées d’Hécube, rapportées à des axes mobiles comme plus
haut, sont des fonctions périodiques du temps, et la vitesse de cet
astéroïde est, à l’origine des temps, normale à son rayon vecteur.
M. Poincaré recommande, surtout pour le cas particulier qui nous
occupe ici, l’usage de ces solutions périodiques, quoique les
conditions initiales du mouvement ne soient pas exactement celles
qui correspondent à une solution périodique ; mais, si elles
diffèrent peu de la réalité, la grande inégalité, provenant de ce
que est petit par rapport à et , introduit des
grands coefficients qui varient peu si l’on passe des conditions
véritables du mouvement à celles qui correspondent à une solution
périodique ; il est donc avantageux de déterminer ainsi la valeur
approchée de ces grands coefficients.
En outre, si l’on peut choisir, comme première approximation, une
solution assez voisine de l’orbite réelle, la différence entre les
coordonnées calculées et réelles d’Hécube peut rester assez petite
pour qu’on puisse, pendant assez longtemps, négliger le carré de
cette différence. C’est à ce propos que M. Poincaré introduit les
équations qu’il appelle équations aux variations. On verra
plus loin avec quelle approximation on peut ainsi représenter les
diverses positions d’hécube, et quelle modification on peut apporter
à ces méthodes pour obtenir des résultats plus exacts.”
Je vous remercie beaucoup de vos excellents
conseils et je profite de votre bienveillance pour vous donner
quelques détails sur mes recherches.
Si j’ai tardé à vous écrire, c’est que je comptais pouvoir tenir compte des termes du 2e ordre par rapport à l’excentricité ; les calculs sont longs et difficiles; au lieu de les continuer, je crois préférable d’appliquer de suite les formules que vous m’avez indiquées dans votre dernière lettre; je reviens à la valeur adoptée dès le début pour le moyen mouvement.
Quant aux procédés d’identification de Delaunay, voici une remarque que je me permets de vous soumettre.22endnote: 2 Simonin fait allusion aux techniques de développements par appoximation successives de Delaunay. Delaunay propose une série d’opérations et de formules qui permettent d’identifier les coefficients des séries décrivant les trajectoires des planètes (Delaunay 1860, ix–x): “Il s’ensuit qu’on ne peut tirer des équations différentielles du mouvement de tous ces corps les diverses conséquences qui s’y trouvent contenues implicitement, qu’en ayant recours aux méthodes d’intégration par approximation. Heureusement l’état de notre système planétaire se prête à merveille à l’emploi de ce mode d’intégration, en ce que, abstraction faite du Soleil, chacun des corps qu’il renferme est sous l’influence prédominante d’un corps principal qui produit à lui seul les circonstances les plus saillantes de son mouvement, les autres corps n’ayant pour effet que de modifier ce mouvement dans d’étroites limites. Pour les planètes, ce corps principal est le Soleil ; pour les satellites, en tant que l’on considère leur mouvement par rapport à la planète dont chacun d’eux dépend, c’est cette planète même qui joue le rôle principal dont il est question. Il est naturel d’après cela de considérer d’abord uniquement le mouvement des planètes et de leurs satellites, tel qu’il résulte de la seule action du corps principal correspondant à chacun d’eux, mouvement qui n’est autre chose que le mouvement elliptique ; puis de partir de là, comme d’une première approximation, pour arriver par une suite d’approximations successives à satisfaire de mieux en mieux aux équations différentielles du mouvement de ces divers corps. Telle est la marche que l’on suit en effet. Les approximations que l’on effectue ainsi les unes après les autres introduisent successivement dans les expressions des coordonnées de chacun des mobiles, des parties nouvelles que l’on obtient sous forme de développements en séries de quantités périodiques ; et l’on s’arrête lorsque l’on juge que les approximations suivantes ne fourniraient plus aucun terme d’une valeur sensible. Les divers termes périodiques qui se trouvent ainsi introduits dans les expressions des coordonnées d’une planète ou d’un satellite constituent ce qu’on nomme les inégalités de cette planète ou de ce satellite.” Tisserand, dans le troisième volume de son Traité de mécanique céleste, tout en reconnaissant la valeur de la théorie de Delaunay a souligné qu’elle conduisait à des calculs longs et difficiles (Tisserand 1894, 232): “Cette théorie est très intéressante au point de vue analytique ; dans la pratique, elle atteint le but poursuivi, mais au prix de calculs algébriques effrayants. C’est comme une machine aux rouages savamment combinés qu’on appliquerait presque indéfiniment pour broyer un obstacle, fragments par fragments. On ne saurait trop admirer la patience de l’auteur qui a consacré plus de vingt années de sa vie à l’exécution des calculs algébriques qu’il a effectué tout seul.” Tisserand déplore surtout que pour les séries qui apparaissent avec la méthode de Delaunay pour déterminer les mouvements moyens du nœud et du périgée ainsi que les coefficients des inégalités convergent très lentement. Il évoque une amélioration possible de la méthode en utilisant une remarque de Poincaré (Tisserand 1894, 237): “Or il serait possible, ainsi que l’a remarqué M. Poincaré, d’introduire un autre système d’éléments canoniques, susceptible d’être employé en même temps au développement de la fonction perturbatrice.”
Si l’on se borne aux termes du 1er ordre par rapport à la masse,
les calculs sont faciles; mais pour obtenir une plus grande précision,
j’ai été amené, à l’imitation de Mr Harzer, à considérer des
termes du 2e ordre par rapport à la masse
troublante.33endnote:
3
Paul Harzer, astronome à Kiel, avait publié en
1886 un mémoire sur un cas spécial du problème des trois
corps dans lequel il a traité de la
trajectoire de Hécube (Harzer 1888, 3):
“Le problème dont il s’agit ici concerne le mouvement d’une planète
“troublée” qui est assujettie à l’attraction du soleil
et d’ailleurs à celle d’une planète “troublante”, dont
le moyen mouvement serait à peu près la moitié de celui de la
planète troublée, comme dans le cas de Jupiter vis-à-vis d’un
certain nombre de planétoides, parmi lesquelles la planète Hécuba
(108) semble s’approcher le plus près dans son moyen mouvement du
moyen mouvement double de Jupiter ….
Pour obtenir une solution du problème des trois corps qui puisse
représenter le mouvement sinon pendant un temps illimité au moins
pour un temps incomparablement long vis-à-vis de la période de
révolution de la planète, il faut, déjà dans la première
approximation, ajouter – et non seulement dans le cas qui nous
occupe, mais généralement – aux parties du mouvement, résultant de
l’attraction du soleil et données par le mouvement elliptique de
certaines parties dues à l’action de la planète troublante.”
Soit la valeur de où on a supposé , posons:
si dans l’équation qui donne , on remplace par: , et que pour les identifications, on remplace les inconnues par des expressions ayant l’une des deux formes ou , la valeur de indépendante de est
le 2e terme est plus important que le 1er; il semble donc utile, comme le recommande Mr Harzer, de ne pas négliger certains termes du 2e ordre par rapport à la masse.
Mais si l’on pose
on trouve , , alors n’est plus nul en même temps que ; la différence entre et provient d’un terme
j’ai cru devoir négliger le terme en , quoiqu’il soit tout à fait comparable au terme en ; l’un des deux l’emporte alternativement sur l’autre suivant les diverses valeurs que j’ai successivement adoptées pour le moyen mouvement.
J’espérais que les formules de Mr Tisserand me permettraient de résoudre cette difficulté, aussi n’avais-je pas cru utile de vous la signaler. Malheureusement, je me suis aperçu, depuis mon retour à Nice, que j’avais, il y a quelques années, abandonné les formules que Mr Tisserand avait données dans le tome IV (année 1887) du Bulletin astronomique; je n’avais pu appliquer au cas actuel les formules (14) de la page 188;44endnote: 4 Dans son article sur la commensurabilité des moyens mouvements dans le système solaire, Tisserand (1887) s’intéresse au mouvement d’une planète de masse nulle “se mouvant dans le plan même de l’orbite regardée comme invariable d’une planète (Jupiter par exemple) de masse ”. L’objectif de Tisserand est d’adapter à ce cas particulier du problème des trois corps les méthodes de Delaunay (Tisserand 1887, 186): “Nous nous proposons maintenant d’appliquer la méthode que Delaunay a employée avec succès dans sa Théorie de la Lune ; les conditions sont les mêmes d’un côté, en ce sens que, dans les deux cas, est supposé nul ; elles diffèrent notablement à un autre point de vue, parce que la quantité , qui est très petite dans le cas de la Lune, ne l’est plus ici ; en outre, la quantité peut être voisine d’un nombre entier tel que ou d’un nombre commensurable simple.” Dans les formules précédentes, et désignent selon les notations traditionnelles, le demi-grand axe et la vitesse de l’astre. Les formules (14) de Tisserand donnent des développements de l’excentricité en fonction d’un paramètre tel que qui est petit dans le cas étudié : désigne l’excentricité à l’origine des temps et le rapport des inclinaisons. si on y remplace par 2, et qu’on néglige devant l’unité, on trouve
d’où
est de l’ordre de la masse; on a donc à peu près comme valeur maxima; pour Hécube peut devenir ; la série qui donne est divergente.
Mr Tisserand, lui aussi, s’est toujours montré si bienveillant pour moi que j’ai craint de lui déplaire en lui signalant cette difficulté. En outre sur la même question, tome III (année 1886), Mr Tisserand a publié une note bien remarquable, page 424 et suiv.,55endnote: 5 Tisserand (1886) étudie le mouvement de deux planètes autour du soleil dans le cas où “les moyens mouvements et offrent un rapport de commensurabilité très approchée, représenté par une fraction irréductible de la forme , étant un entier positif”. La conclusion de Tisserand est que dans ce cas il se crée une excentricité non négligeable par les perturbations (Tisserand 1886, 428): “De là cette conséquence : alors même que l’excentricité propre , indépendante des perturbations, serait nulle, il y aura une excentricité , produite par les perturbations, contenant en facteur la masse , et dont la valeur …pourra être très sensible, en raison du petit diviseur ; autrement dit : Si le mouvement de était primitivement circulaire et uniforme, les perturbations causées par la planètes auront pour principal effet de le transformer en un mouvement très voisin d’un mouvement elliptique képlérien, avec une rotation uniforme du grand axe.” où il introduit une solution périodique identique à celle qui me sert de point de départ; une application numérique (page 432) montre que: « l’excentricité produite par les perturbations …peut à un moment donné être beaucoup plus grande que l’excentricité indépendante des perturbations ».66endnote: 6 Tisserand applique les formules qu’il a obtenues au cas de Hilda (153) et Jupiter. Sa conclusion est “l’excentricité produite par les perturbations est ici considérable et peut, à un moment donné, être beaucoup plus grande que l’excentricité indépendante des perturbations”. Il souligne que ces calculs mettent en évidence une orbite intermédiaire au sens de Gyldén et qu’il y a une analogie certaine entre ses résultats et ceux de Herzer dont le travail “se rapporte aux petites planètes dont le moyen mouvement est voisin du double de celui de Jupiter”.
J’ai cru bien faire en vous signalant les seules difficultés que je rencontre encore; si je me permets de vous les soumettre, c’est que j’en ai cherché la solution sans la trouver.
Daignez agréer, cher Monsieur, avec l’assurance de toute ma gratitude, l’expression de mes sentiments les plus dévoués et les plus respectueux.
M. Simonin
ALS 2p. Collection particulière, Paris 75017.
Time-stamp: " 8.06.2019 17:16"
Notes
- 1 Nous n’avons pas retrouvé cette lettre de Poincaré, qui suit la thèse de Simonin, lui donne des conseils dans ce cadre. Dans l’introduction de sa thèse, Simonin précise que Tisserand lui a proposé le sujet (Simonin 1897, 4): “[L]e problème d’Hécube ne peut être traité par les procédés ordinaires, si on ne leur fait subir, au préalable, d’importantes modifications. Il a semblé à M. Tisserand que l’étude complète des méthodes employées et des résultats obtenus par les divers géomètres qui se sont occupés de cette question, devait conduire à une solution simple qui n’entraînât pas avec elle le recours aux fonctions elliptiques. C’est ce problème que M. Tisserand a bien voulu nous proposer de résoudre.” Simonin signale au même endroit qu’il s’est inspiré des Méthodes nouvelles de la mécanique céleste de Poincaré pour son travail; il applique la méthode proposée par Poincaré afin d’obtenir une première approximation périodique. Après avoir expliqué que l’approche de Le Verrier ne peut s’appliquer au cas de la trajectoire d’Hécube, il présente rapidement la méthode qu’il va mettre en œuvre en se référant à Poincaré (Simonin 1897, 6–7): “Si l’on remarque, avec M. Poincaré, qu’en négligeant d’abord la masse de Jupiter ainsi que les excentricités et les inclinaisons des orbites, Hécube et Jupiter décrivent autour du Soleil deux circonférences avec les vitesses angulaires qu’on peut désigner par et , on voit que, après chaque intervalle de temps égal à , ces deux planètes se retrouvent dans la même position relative par rapport au Soleil. Si l’on rapporte le système à des axes mobiles tournant d’un mouvement uniforme avec la vitesse angulaire , les coordonnées d’Hécube sont des fonctions périodique du temps ; la période est . Le problème ainsi simplifié comporte une infinité de solutions périodiques. Ces solutions, dans lesquelles l’excentricité est très petite, sont appelées par l’auteur : solutions périodiques de la première sorte. M. Poincaré a, en outre, démontré que le problème des trois corps comporte encore des solutions périodiques de la première sorte, si la masse Jupiter est assez petite, pourvu que et ne soient pas commensurables. Considérons l’une d’entre elles, prenons pour origine du temps l’époque d’une conjonction d’Hécube et de Jupiter ; les coordonnées d’Hécube, rapportées à des axes mobiles comme plus haut, sont des fonctions périodiques du temps, et la vitesse de cet astéroïde est, à l’origine des temps, normale à son rayon vecteur. M. Poincaré recommande, surtout pour le cas particulier qui nous occupe ici, l’usage de ces solutions périodiques, quoique les conditions initiales du mouvement ne soient pas exactement celles qui correspondent à une solution périodique ; mais, si elles diffèrent peu de la réalité, la grande inégalité, provenant de ce que est petit par rapport à et , introduit des grands coefficients qui varient peu si l’on passe des conditions véritables du mouvement à celles qui correspondent à une solution périodique ; il est donc avantageux de déterminer ainsi la valeur approchée de ces grands coefficients. En outre, si l’on peut choisir, comme première approximation, une solution assez voisine de l’orbite réelle, la différence entre les coordonnées calculées et réelles d’Hécube peut rester assez petite pour qu’on puisse, pendant assez longtemps, négliger le carré de cette différence. C’est à ce propos que M. Poincaré introduit les équations qu’il appelle équations aux variations. On verra plus loin avec quelle approximation on peut ainsi représenter les diverses positions d’hécube, et quelle modification on peut apporter à ces méthodes pour obtenir des résultats plus exacts.”
- 2 Simonin fait allusion aux techniques de développements par appoximation successives de Delaunay. Delaunay propose une série d’opérations et de formules qui permettent d’identifier les coefficients des séries décrivant les trajectoires des planètes (Delaunay 1860, ix–x): “Il s’ensuit qu’on ne peut tirer des équations différentielles du mouvement de tous ces corps les diverses conséquences qui s’y trouvent contenues implicitement, qu’en ayant recours aux méthodes d’intégration par approximation. Heureusement l’état de notre système planétaire se prête à merveille à l’emploi de ce mode d’intégration, en ce que, abstraction faite du Soleil, chacun des corps qu’il renferme est sous l’influence prédominante d’un corps principal qui produit à lui seul les circonstances les plus saillantes de son mouvement, les autres corps n’ayant pour effet que de modifier ce mouvement dans d’étroites limites. Pour les planètes, ce corps principal est le Soleil ; pour les satellites, en tant que l’on considère leur mouvement par rapport à la planète dont chacun d’eux dépend, c’est cette planète même qui joue le rôle principal dont il est question. Il est naturel d’après cela de considérer d’abord uniquement le mouvement des planètes et de leurs satellites, tel qu’il résulte de la seule action du corps principal correspondant à chacun d’eux, mouvement qui n’est autre chose que le mouvement elliptique ; puis de partir de là, comme d’une première approximation, pour arriver par une suite d’approximations successives à satisfaire de mieux en mieux aux équations différentielles du mouvement de ces divers corps. Telle est la marche que l’on suit en effet. Les approximations que l’on effectue ainsi les unes après les autres introduisent successivement dans les expressions des coordonnées de chacun des mobiles, des parties nouvelles que l’on obtient sous forme de développements en séries de quantités périodiques ; et l’on s’arrête lorsque l’on juge que les approximations suivantes ne fourniraient plus aucun terme d’une valeur sensible. Les divers termes périodiques qui se trouvent ainsi introduits dans les expressions des coordonnées d’une planète ou d’un satellite constituent ce qu’on nomme les inégalités de cette planète ou de ce satellite.” Tisserand, dans le troisième volume de son Traité de mécanique céleste, tout en reconnaissant la valeur de la théorie de Delaunay a souligné qu’elle conduisait à des calculs longs et difficiles (Tisserand 1894, 232): “Cette théorie est très intéressante au point de vue analytique ; dans la pratique, elle atteint le but poursuivi, mais au prix de calculs algébriques effrayants. C’est comme une machine aux rouages savamment combinés qu’on appliquerait presque indéfiniment pour broyer un obstacle, fragments par fragments. On ne saurait trop admirer la patience de l’auteur qui a consacré plus de vingt années de sa vie à l’exécution des calculs algébriques qu’il a effectué tout seul.” Tisserand déplore surtout que pour les séries qui apparaissent avec la méthode de Delaunay pour déterminer les mouvements moyens du nœud et du périgée ainsi que les coefficients des inégalités convergent très lentement. Il évoque une amélioration possible de la méthode en utilisant une remarque de Poincaré (Tisserand 1894, 237): “Or il serait possible, ainsi que l’a remarqué M. Poincaré, d’introduire un autre système d’éléments canoniques, susceptible d’être employé en même temps au développement de la fonction perturbatrice.”
- 3 Paul Harzer, astronome à Kiel, avait publié en 1886 un mémoire sur un cas spécial du problème des trois corps dans lequel il a traité de la trajectoire de Hécube (Harzer 1888, 3): “Le problème dont il s’agit ici concerne le mouvement d’une planète “troublée” qui est assujettie à l’attraction du soleil et d’ailleurs à celle d’une planète “troublante”, dont le moyen mouvement serait à peu près la moitié de celui de la planète troublée, comme dans le cas de Jupiter vis-à-vis d’un certain nombre de planétoides, parmi lesquelles la planète Hécuba (108) semble s’approcher le plus près dans son moyen mouvement du moyen mouvement double de Jupiter …. Pour obtenir une solution du problème des trois corps qui puisse représenter le mouvement sinon pendant un temps illimité au moins pour un temps incomparablement long vis-à-vis de la période de révolution de la planète, il faut, déjà dans la première approximation, ajouter – et non seulement dans le cas qui nous occupe, mais généralement – aux parties du mouvement, résultant de l’attraction du soleil et données par le mouvement elliptique de certaines parties dues à l’action de la planète troublante.”
- 4 Dans son article sur la commensurabilité des moyens mouvements dans le système solaire, Tisserand (1887) s’intéresse au mouvement d’une planète de masse nulle “se mouvant dans le plan même de l’orbite regardée comme invariable d’une planète (Jupiter par exemple) de masse ”. L’objectif de Tisserand est d’adapter à ce cas particulier du problème des trois corps les méthodes de Delaunay (Tisserand 1887, 186): “Nous nous proposons maintenant d’appliquer la méthode que Delaunay a employée avec succès dans sa Théorie de la Lune ; les conditions sont les mêmes d’un côté, en ce sens que, dans les deux cas, est supposé nul ; elles diffèrent notablement à un autre point de vue, parce que la quantité , qui est très petite dans le cas de la Lune, ne l’est plus ici ; en outre, la quantité peut être voisine d’un nombre entier tel que ou d’un nombre commensurable simple.” Dans les formules précédentes, et désignent selon les notations traditionnelles, le demi-grand axe et la vitesse de l’astre. Les formules (14) de Tisserand donnent des développements de l’excentricité en fonction d’un paramètre tel que qui est petit dans le cas étudié : désigne l’excentricité à l’origine des temps et le rapport des inclinaisons.
- 5 Tisserand (1886) étudie le mouvement de deux planètes autour du soleil dans le cas où “les moyens mouvements et offrent un rapport de commensurabilité très approchée, représenté par une fraction irréductible de la forme , étant un entier positif”. La conclusion de Tisserand est que dans ce cas il se crée une excentricité non négligeable par les perturbations (Tisserand 1886, 428): “De là cette conséquence : alors même que l’excentricité propre , indépendante des perturbations, serait nulle, il y aura une excentricité , produite par les perturbations, contenant en facteur la masse , et dont la valeur …pourra être très sensible, en raison du petit diviseur ; autrement dit : Si le mouvement de était primitivement circulaire et uniforme, les perturbations causées par la planètes auront pour principal effet de le transformer en un mouvement très voisin d’un mouvement elliptique képlérien, avec une rotation uniforme du grand axe.”
- 6 Tisserand applique les formules qu’il a obtenues au cas de Hilda (153) et Jupiter. Sa conclusion est “l’excentricité produite par les perturbations est ici considérable et peut, à un moment donné, être beaucoup plus grande que l’excentricité indépendante des perturbations”. Il souligne que ces calculs mettent en évidence une orbite intermédiaire au sens de Gyldén et qu’il y a une analogie certaine entre ses résultats et ceux de Herzer dont le travail “se rapporte aux petites planètes dont le moyen mouvement est voisin du double de celui de Jupiter”.
Références
- Théorie du mouvement de la lune, Volume 1. Mallet-Bachelier, Paris. Cited by: endnote 2.
- Quelques remarques sur un cas spécial du problème des trois corps; application à Hécube (108). Stockholms Observatoriums Annaler 3 (4), pp. 1–28. link1 Cited by: endnote 3.
- Sur l’orbite de (108) Hécube. Ph.D. Thesis, Faculté des sciences de Paris, Paris. link1 Cited by: endnote 1.
- Sur un cas remarquable du problème des perturbations. Bulletin astronomique 3, pp. 425–433. link1 Cited by: endnote 5.
- Sur la commensurabilité des moyens mouvements dans le système solaire. Bulletin astronomique 4, pp. 183–192. link1 Cited by: endnote 4.
- Traité de mécanique céleste, Volume 3. Gauthier-Villars, Paris. link1 Cited by: endnote 2.