2-9-1. René Blondlot à H. Poincaré

Nancy 29 Nov. 1891

Cher Monsieur,

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Une indisposition m’a empêché de vous répondre plus tôt; voici les éclaircissements que je puis vous donner : Dans la recherche des nœuds, le résonateur reste fixe; c’est le pont que je déplace jusqu’à ce que l’étincelle du résonateur soit éteinte : ce pont est mobile le long des fils, et c’est la seule partie mobile de l’appareil.11endnote: 1 L’expérience décrite par Blondlot se proposait de déterminer la vitesse de propagation des ondes électromagnétiques. Reprenant les conclusions de Sarasin et de la Rive sur la résonance multiple, il bâtit sa démarche expérimentale uniquement sur le résonateur et applique la relation entre la longueur d’onde λ\lambda, la période TT et la vitesse de propagation des ondes VV : λ=VT\lambda=VT. Il construit un résonateur qui lui permet de déterminer aisément par le calcul la période propre des oscillations dans le résonateur, en appliquant la formule de William Thomson; voir la discussion de Poincaré (1894, 51–67). La longueur d’onde λ\lambda est celle de la propagation le long des fils. Il parvint à la valeur suivante de la vitesse des ondes électromagnétiques : 297600 km/s. Les nœuds en question sont des nœuds de courant ou de champ magnétique. Sur la figure, le résonateur est bien placé pour être sensible au champ magnétique. Le principe de ces mesures est que les effets produits par les courants circulant dans les deux fils parallèles se superposent dans l’espace qui les sépare. Le pont permet de produire la réflexion de l’onde électromagnétique et de créer des ondes stationnaires. Il provoque, à l’endroit où il se trouve, la formation d’un nœud de potentiel (ou de champ électrique) ou d’un ventre de courant. En le déplaçant, on fait varier la période des oscillations propres du circuit et on peut le mettre ainsi en résonance avec les oscillations primaires. (Je n’ai pu indiquer cette disposition dans ma Note des Comptes Rendus, faute d’espace).22endnote: 2 Blondlot (1891b), note présentée par Poincaré le 09.11.1891. À ce propos, voir aussi Blondlot (1891a).

Dans l’expérience où l’on intercale une boucle BMB′′B^{\prime}MB^{\prime\prime}, non seulement l’internœud ne se trouve pas modifié, mais, puisque la position du pont reste la même, la position absolue des nœuds reste la même, on a toujours un ventre au pont. Quant à l’influence de la boucle BMB′′B^{\prime}MB^{\prime\prime} sur la netteté des nœuds, sur l’intensité maximum aux ventres, je n’ai rien remarqué, mais je dois dire que mon attention ne s’était pas portée sur ce point, et que de nouvelles expériences sont nécessaires : je vais le faire avec l’aide de M. Dufour, mon élève de l’école normale, qui a eu l’idée de l’expérience de la boucle.33endnote: 3 Marcel Dufour (1868–1946) entre à l’École normale supérieure en 1888. Au début des années 1900 il traduit des livres d’Ernst Mach en français; en 1907 il est engagé comme professeur agrégé à la faculté de médecine de Nancy, où il terminera sa carrière comme professeur de physique médicale; voir Association amicale des anciens élèves de l’École normale supérieure 1964, 184, et Legras (2006, 132–133). Je vous écrirai les résultats de l’expérience.

Voici les idées théoriques fort simples que je me fais sur la production de la résonance dans mes expériences; ces idées sont du reste conformes à celles de V. Bjerknes.44endnote: 4 Blondlot voit une analogie entre les mécanismes de production des ventres et des nœuds dans ses expériences et les idées de V. Bjerknes (1891) dans le cas de la réflexion contre une surface plane dans un milieu indéfini.

Considérons une protubérance d’onde partant de AA et voyageant vers PPBPP^{\prime}B …; elle agit deux fois sur le résonateur, une fois en RR avant d’avoir franchi le pont, une seconde fois en RR^{\prime} après.55endnote: 5 Poincaré (1894) reprend l’explication et le schéma; il s’agit de la formation d’ondes stationnaires. Si l’intervalle de temps entre ces deux actions est un nombre impair de fois le T/2T/2 du résonateur, il y a destruction de l’effet; si cet intervalle de temps est un nombre pair de fois le T/2T/2 du résonateur, il y a renforcement. Il y aura donc suppression ou maximum d’étincelle selon que la longueur du fil RPPRRPP^{\prime}R^{\prime} sera un multiple impair ou pair de λ/2\lambda/2.

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On peut dire la même chose de l’onde qui va de BB vers PPAP^{\prime}PA …, ou même de toute autre onde.

Ce raisonnement est absolument indépendant des phases : il suffit qu’il n’y ait pas destruction réciproque complète des deux ondes, or cela est impossible à cause de la rapidité de l’amortissement. On peut toutefois s’attendre à une influence de la boucle sur la netteté des phénomènes, et aussi à constater, comme vous le dites, que si, laissant le résonateur fixe ainsi que le pont, on fait varier la longueur de la boucle, on aura une série de maxima et de minima.

La longueur totale du circuit doit avoir une influence de même genre.

En réalité il n’y a pas une distribution de nœuds et de ventres sur le circuit, mais deux points distants de λ/2\lambda/2 et agissant concurremment sur un résonateur ont une action résultante nulle, en quelque région que soit pris ce λ/2\lambda/2, tandis que si la distance est λ\lambda on a concordance d’action : tel est le fait expérimental. J’ai répondu la même chose à M. Cornu.66endnote: 6 Voir la lettre du 18.02.1891 d’Alfred Cornu à Poincaré (§ 2-16-1).

Je suis, Cher Monsieur, à votre entière disposition pour tous les renseignements que je pourrais vous donner, ou pour l’exécution d’expériences que vous voudriez m’indiquer. Je vous prie d’agréer l’expression de mon cordial et entier dévouement.

R. Blondlot

ALS 7p. Collection particulière, Paris 75017.

Time-stamp: "22.02.2023 15:55"

Notes

  • 1 L’expérience décrite par Blondlot se proposait de déterminer la vitesse de propagation des ondes électromagnétiques. Reprenant les conclusions de Sarasin et de la Rive sur la résonance multiple, il bâtit sa démarche expérimentale uniquement sur le résonateur et applique la relation entre la longueur d’onde λ\lambda, la période TT et la vitesse de propagation des ondes VV : λ=VT\lambda=VT. Il construit un résonateur qui lui permet de déterminer aisément par le calcul la période propre des oscillations dans le résonateur, en appliquant la formule de William Thomson; voir la discussion de Poincaré (1894, 51–67). La longueur d’onde λ\lambda est celle de la propagation le long des fils. Il parvint à la valeur suivante de la vitesse des ondes électromagnétiques : 297600 km/s. Les nœuds en question sont des nœuds de courant ou de champ magnétique. Sur la figure, le résonateur est bien placé pour être sensible au champ magnétique. Le principe de ces mesures est que les effets produits par les courants circulant dans les deux fils parallèles se superposent dans l’espace qui les sépare. Le pont permet de produire la réflexion de l’onde électromagnétique et de créer des ondes stationnaires. Il provoque, à l’endroit où il se trouve, la formation d’un nœud de potentiel (ou de champ électrique) ou d’un ventre de courant. En le déplaçant, on fait varier la période des oscillations propres du circuit et on peut le mettre ainsi en résonance avec les oscillations primaires.
  • 2 Blondlot (1891b), note présentée par Poincaré le 09.11.1891. À ce propos, voir aussi Blondlot (1891a).
  • 3 Marcel Dufour (1868–1946) entre à l’École normale supérieure en 1888. Au début des années 1900 il traduit des livres d’Ernst Mach en français; en 1907 il est engagé comme professeur agrégé à la faculté de médecine de Nancy, où il terminera sa carrière comme professeur de physique médicale; voir Association amicale des anciens élèves de l’École normale supérieure 1964, 184, et Legras (2006, 132–133).
  • 4 Blondlot voit une analogie entre les mécanismes de production des ventres et des nœuds dans ses expériences et les idées de V. Bjerknes (1891) dans le cas de la réflexion contre une surface plane dans un milieu indéfini.
  • 5 Poincaré (1894) reprend l’explication et le schéma; il s’agit de la formation d’ondes stationnaires.
  • 6 Voir la lettre du 18.02.1891 d’Alfred Cornu à Poincaré (§ 2-16-1).

Références

  • V. F. K. Bjerknes (1891) Sur le mouvement de l’électricité dans l’excitateur de Hertz. Archives des sciences physiques et naturelles 26, pp. 229–249. link1 Cited by: endnote 4.
  • R. Blondlot (1891a) Détermination expérimentale de la vitesse de propagation des ondes électromagnétiques. Journal de physique théorique et appliquée 10, pp. 549–561. link1 Cited by: endnote 2.
  • R. Blondlot (1891b) Détermination expérimentale de la vitesse de propagation des ondes électromagnétiques. Comptes rendus hebdomadaires des séances de l’Académie des sciences de Paris 113, pp. 628–631. link1 Cited by: endnote 2.
  • B. Legras (2006) Les professeurs de la faculté de médecine de Nancy, 1872–2005 : ceux qui nous ont quittés. Bernard Legras, Nancy. Cited by: endnote 3.
  • H. Poincaré (1894) Les oscillations électriques. Carré et Naud, Paris. link1 Cited by: endnote 1, endnote 5.