2-9-11. René Blondlot à H. Poincaré
Nancy Novembre 1901
Mon cher ami,
Les projets d’expérience de M. Crémieu sont assurément ingénieux, mais je les crois difficiles à exécuter.11endnote: 1 Sur les expériences de Victor Crémieu, voir (§ 2-17). Je craindrais de faire moi-même une telle entreprise, d’autant plus que me voici de nouveau dans un état de détraquement abominable, sans que j’en sache la raison, à moins que ce soit le travail de laboratoire, auquel je ne me suis pourtant livré que bien modérément. N’est-ce pas à M. Crémieu lui-même d’entreprendre ces essais : l’habileté qu’il a acquise dans le maniement des appareils les plus délicats le met plus que personne à même de les mener à bonne fin.
Cet été j’avais fait une expérience du même genre : Un condensateur cylindrique très long est fixé horizontalement; vers le milieu de la longueur, on dépose en un peu de poudre de plombagine. Lorsque le condensateur est chargé, la poudre fait la danse des pantins très longtemps entre les armatures.
Ayant disposé le condensateur dans un champ magnétique horizontal et normal à l’axe du condensateur, j’ai cherché si la tache de plombagine ne se déplaçait pas peu-à-peu vers l’un des bouts du tube. Je n’ai rien vu, mais l’expérience n’est pas concluante, parce que le débit est extrêmement faible, & que la poudre était dispersée en 10 minutes environ avant que les déplacements longitudinaux qui, d’après Rowland, doivent avoir lieu à chaque va-&-vient, eussent pu s’accumuler suffisamment pour donner un résultat sensible.22endnote: 2 Henry Augustus Rowland (1848–1901).
Autre chose : je viens de faire une expérience pour essayer de répondre quelque peu à cette question : peut-on faire intervenir l’éther pour retrouver la réaction qui fait défaut d’après plusieurs théories électromagnétiques ?33endnote: 3 Les théories de l’électron de Lorentz et de Larmor ne respectent pas le principe de réaction, comme Poincaré (1900) l’a souligné.
Soit un condensateur dont les armatures sont disposées verticalement dans le champ vertical d’un électro-aimant . Lorsque le condensateur se charge (ou se décharge), le courant de déplacement entre les armatures agit sur l’aimant; dans le cas où le diélectrique est le vide ou l’air, la réaction fait défaut, au moins de la part de la matière ordinaire. On peut, comme vous le dites, se demander si ce n’est pas l’éther qui subit cette réaction. S’il en est ainsi, l’éther doit être poussé entre les armatures en avant (ou en arrière) du papier & acquérir une vitesse en rapport avec sa faible densité & son indépendance vis-à-vis des gaz. Alors si on fait interférer deux rayons de lumière, dont l’un passe à droite & l’autre à gauche de l’une des armatures, les franges seront déplacées à chaque charge (ou décharge) du condensateur. J’ai fait l’expérience, en prenant comme source de lumière une étincelle qui se produisait pendant les décharges, afin d’éviter la superposition des franges déplacées & des franges non déplacées. Or il n’y a pas le plus petit changement lorsque l’électro-aimant était en activité ou non. Pour sûr l’effet en question n’existe pas.
Je me demande si cette expérience vaut la peine d’être publiée.44endnote: 4 Cette expérience n’a pas été publiée. D’une part, elle est négative, mais d’autre part, il me semble que c’est un document; car je l’ai faite avec le plus grand soin.
Fidèlement à vous,
R. Blondlot
ALS 5p. Collection particulière, Paris 75017.
Time-stamp: "30.08.2020 00:24"