2-9-17. René Blondlot à H. Poincaré

Nancy 26 Janvier 1903

Mon Cher ami,

Les résultats que je vous ai annoncés concernant la polarisation des rayons X ont été confirmés de tous points par la répétition des expériences.11endnote: 1 Voir Blondlot à Poincaré, 07.01.1903 (§ 2-9-15).

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J’ai alors cherché, comme vous me le suggériez, s’il y a action quand la petite étincelle est orientée parallèlement aux rayons X, et j’ai trouvé qu’une telle action n’existe pas. Le tube étant disposé horizontalement suivant OyOy, les rayons cathodiques orientés par conséquent suivant OyOy,* et l’étincelle étant placée en abab suivant l’axe des xx, l’action est nulle; si l’on fait tourner abab dans le plan xOzxOz autour d’un axe parallèle à OyOy, de façon à le rendre parallèle à OzOz, l’action reste nulle dans cette rotation : l’éclat est faible et invariable. Maintenant, plaçons le tube de façon que, l’anticathode étant vers l’origine, les rayons cathodiques soient orientés parallèlement à l’axe OzOz. L’étincelle abab étant d’abord dirigée suivant l’axe des zz, on n’a pas d’action, mais si l’on rend cette étincelle verticale, l’action augmente pendant cette rotation et l’étincelle devient maximum lorsqu’elle est parallèle à OzOz ou aux rayons cathodiques.

Afin de réaliser ces expériences, il a été nécessaire d’altérer un peu l’orientation de l’étincelle dans le cas où elle aurait dû coïncider avec les rayons X, car, sans cela, les rayons n’auraient pu atteindre la coupure à cause de l’ombre de l’une des pointes entre lesquelles elle éclate. Cette petite altération dans l’orientation n’eût pu qu’être favorable à la production d’un effet; malgré cela, il n’y en a aucun.

La vibration est donc bien transversale; la polarisation semble d’ailleurs complète puisque l’action est nulle quand l’étincelle est normale aux rayons cathodiques : l’interposition d’un plomb ne diminue en rien l’étincelle.

Voici une autre expérience : un rayon X et le rayon cathodique qui l’a engendré ne déterminent un plan que s’ils sont distincts l’un de l’autre. Or il y a des rayons X dont la direction est la même, ou à peu près, que celle des rayons cathodiques générateurs : ce sont ceux qui reviennent de l’anticathode vers la cathode. Il y en a qui, comme ABAB, sortent du tube en rasant la cathode et qui coïncident presque en direction avec les rayons cathodiques générateurs. On doit donc s’attendre à les trouver non polarisés ou très peu polarisés.

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J’ai en effet reconnu qu’ils ne sont pas polarisés; ils agissent toutefois sur l’étincelle, mais faiblement et cette action ne dépend pas de l’azimuth de l’étincelle par rapport au rayon ABAB.

Enfin, j’ai étudié les rayons S; l’appareil était déjà prêt quand j’ai reçu votre lettre.22endnote: 2 Georges Sagnac (1898) s’est intéressé aux rayons S (ou secondaires), ou ce que Blondlot (1903) appelle des rayons δ\delta. Ils sont émis par un corps quelconque frappé par les rayons X et seraient constitués d’un “mélange” de rayons cathodiques (des électrons) et de rayons X émis par la substance frappée par les rayons X primaires. La polarisation constatée par Blondlot ne peut concerner que les rayons X secondairement émis. La situation serait de même nature pour les rayons T (tertiaires) issus d’une surface frappée par les rayons S et qui seraient surtout formés de rayons X mous.

Les rayons S sont entièrement polarisés, et leur plan d’action est le plan qui passe par les rayons X générateurs et les rayons S. La loi est la même que pour les rayons X. Elle est continue sans doute pour les rayons T, & ainsi de suite. C’est ce que je veux essayer dès demain. Le plan d’action des rayons S est toujours celui du rayon S et du rayon X générateur, quelque soit l’azimuth de la polarisation des rayons X : il reste le même si l’on fait tourner le tube autour du rayon X incident comme axe.

Quand à l’action de la lumière ultraviolette polarisée sur l’étincelle, je suis obligé de faire toutes réserves. Les expériences sont rendues difficiles et même incertaines par la présence de la lumière même; on ne parvient à s’en débarrasser qu’imparfaitement en observant la petite étincelle avec un Nicol éteignant ces rayons pour l’œil.33endnote: 3 Le Nicol est un polariseur, construit sur le même modèle que le Foucault (voir § 2-9-15, note 4). La différence réside dans la couche de séparation des deux prismes qui est ici constituée par du baume de Canada dont l’indice est élevé.

Ces expériences doivent être refaites. Je m’y mettrai incessamment. Seulement je suis souffrant pour le moment et fatigué, et je suis loin de pouvoir travailler comme je le voudrais et comme il le faudrait pour mener à bien l’étude de ces curieux phénomènes.

Cordialement à vous,

R. Blondlot

* l’anticathode vers l’origine

ALS 7p. Collection particulière, Paris 75017.

Time-stamp: " 3.05.2019 02:18"

Notes

  • 1 Voir Blondlot à Poincaré, 07.01.1903 (§ 2-9-15).
  • 2 Georges Sagnac (1898) s’est intéressé aux rayons S (ou secondaires), ou ce que Blondlot (1903) appelle des rayons δ\delta. Ils sont émis par un corps quelconque frappé par les rayons X et seraient constitués d’un “mélange” de rayons cathodiques (des électrons) et de rayons X émis par la substance frappée par les rayons X primaires. La polarisation constatée par Blondlot ne peut concerner que les rayons X secondairement émis. La situation serait de même nature pour les rayons T (tertiaires) issus d’une surface frappée par les rayons S et qui seraient surtout formés de rayons X mous.
  • 3 Le Nicol est un polariseur, construit sur le même modèle que le Foucault (voir § 2-9-15, note 4). La différence réside dans la couche de séparation des deux prismes qui est ici constituée par du baume de Canada dont l’indice est élevé.

Références

  • R. Blondlot (1903) Sur la polarisation des rayons X. Comptes rendus hebdomadaires des séances de l’Académie des sciences de Paris 136, pp. 284–286. link1 Cited by: endnote 2.
  • G. Sagnac (1898) Émission de rayons secondaires par l’air sous l’influence des rayons X. Comptes rendus hebdomadaires des séances de l’Académie des sciences de Paris 126, pp. 521–523. link1 Cited by: endnote 2.