2-9-22. René Blondlot à H. Poincaré

Nancy Janvier 1904

Mon Cher ami,

J’ai eu tant à faire, & tant d’affaires, tous ces temps ci, que je suis très en retard pour vous dire que l’expérience que vous me proposez dans votre dernière lettre réussit parfaitement.11endnote: 1 La lettre de Poincaré n’a pas été retrouvée.

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Entre les deux moitiés AOAO & OBOB de l’écran phosphorescent est disposée une lame de plomb OCOC perpendiculaire à l’écran; en LL, larme batavique, en DD œil pouvant voir simultanément AOAO & OBOB. Si l’on a placé sur AOAO & sur BOBO deux objets sombres pareils : clef, papier noir découpé 2cm, cet objet se détache infiniment mieux sur le fond brillant du côté où se trouve la larme (ou toute autre source de rayon N). L’effet change de côté en même temps que la source; on peut placer les objets sombres aussi près que l’on veut de la lame de plomb. C’est une expérience frappante; le jeune J. Becquerel l’a faite dans mon laboratoire, la semaine passée, et l’a répétée à différentes reprises.22endnote: 2 Jean Becquerel (1904), note communiquée le 09.05.1904. Fils d’Henri Becquerel, Jean Becquerel fut assistant au Muséum d’Histoire naturelle de Paris depuis 1903 (Nye 1980, 152).

Maintenant, pourquoi on ne peut obtenir d’effets de contraste avec un écran percé d’une fente, je crois le savoir, au moins en gros : cela tient à l’action mutuelle des parties de l’écran; ces actions sont très fortes et se font par l’échange de rayons N. Dans l’expérience ci-dessus, cet échange était empêché par le plomb. Le sulfure est extrêmement sensible à toutes sortes d’actions (dans lesquelles les rayons N ne jouent peut-être pas toujours un rôle); par ex. les expériences de Macé de Lépinay.33endnote: 3 Macé de Lépinay 1904. Jules Macé de Lépinay (1851–1904) est professeur de physique à la faculté des sciences de Marseille. Gutton vient de faire une constatation très intéressante : l’action d’un champ magnétique sur le sulfure. Cette action est très forte, mais elle n’a pas lieu dans un champ uniforme. Une bobine, un fil unique traversé par un faible courant, les produisent manifestement. La nécessité d’un champ magnétique varié pour produire cette action n’indiquerait-elle pas qu’elle serait dûe à une action mécanique ? Ce phénomène est tout à fait distinct de l’action de l’acier, qu’il ne peut rester aucun doute sur sa réalité. Je suis bien heureux que Gutton soit arrivé à ce bon résultat, car il avait beaucoup travaillé sans arriver à grand chose. Le champ magnétique varié agit aussi fortement sur l’œil. N’est-ce pas quelque chose comme cela que Lord Kelvin attendait quand il a mis sa tête entre les pôles d’un électro-aimant ?44endnote: 4 Voir W. Thomson (1893, 171); l’expérience est mentionnée par Camille Gutton (1904) dans une note présentée par Poincaré à l’Académie des sciences de Paris le 01.02.1904.

Bien cordialement à vous,

R. Blondlot

Rubens est parvenu, me dit-on, à voir mes expériences.55endnote: 5 Blondlot était mal informé. Selon Heinrich Rubens (1865–1922), la découverte annoncée par Blondlot était insensée; voir Kangro (1970, 244).

ALS 4p. Collection particulière, Paris 75017.

Time-stamp: " 3.05.2019 01:30"

Notes

  • 1 La lettre de Poincaré n’a pas été retrouvée.
  • 2 Jean Becquerel (1904), note communiquée le 09.05.1904. Fils d’Henri Becquerel, Jean Becquerel fut assistant au Muséum d’Histoire naturelle de Paris depuis 1903 (Nye 1980, 152).
  • 3 Macé de Lépinay 1904. Jules Macé de Lépinay (1851–1904) est professeur de physique à la faculté des sciences de Marseille.
  • 4 Voir W. Thomson (1893, 171); l’expérience est mentionnée par Camille Gutton (1904) dans une note présentée par Poincaré à l’Académie des sciences de Paris le 01.02.1904.
  • 5 Blondlot était mal informé. Selon Heinrich Rubens (1865–1922), la découverte annoncée par Blondlot était insensée; voir Kangro (1970, 244).

Références

  • J. Becquerel (1904) Action des anesthésiques sur les sources de rayons N. Comptes rendus hebdomadaires des séances de l’Académie des sciences de Paris 138, pp. 1159–1163. link1 Cited by: endnote 2.
  • C. Gutton (1904) Action des champs magnétiques sur des sources lumineuses peu intenses. Comptes rendus hebdomadaires des séances de l’Académie des sciences de Paris 138, pp. 268–270. link1 Cited by: endnote 4.
  • H. Kangro (1970) Ultrarotstrahlung bis zur Grenze elektrisch erzeugter Wellen, das Lebenswerk von Heinrich Rubens. Annals of Science 26 (3), pp. 235–259. link1, link2 Cited by: endnote 5.
  • J. Macé de Lépinay (1904) Sur la production de rayons N par les vibrations sonores. Comptes rendus hebdomadaires des séances de l’Académie des sciences de Paris 138, pp. 77–79. link1 Cited by: endnote 3.
  • M. J. Nye (1980) N-rays: An episode in the history and psychology of science. Historical Studies in the Physical Sciences 11, pp. 125–156. Cited by: endnote 2.
  • W. Thomson (1893) Constitution de la matière: Conférences scientifiques et allocutions. Gauthier-Villars, Paris. link1 Cited by: endnote 4.