2-17-4. H. Poincaré à Victor Crémieu

[Ca. 08–09.1901]

M. Poincaré à Arromanches (Calvados)

Cher Monsieur,

Il est évident qu’il faut que vous répondiez à M. Pender, mais il importe de bien réfléchir à ce que vous voulez répondre.11endnote: 1 Harold Pender (1901) observe que la vibration du disque pouvait produire des étincelles, qui aurait pour conséquence la neutralisation de l’effet magnétique recherché. Son article est publié en août.

Les critiques de M. Wilson ne signifiaient pas grand-chose mais celles-ci méritent beaucoup plus d’attention.22endnote: 2 H. A. Wilson (1874–1964) est boursier au laboratoire Cavendish, avant de devenir lecturer à King’s College en 1904. Wilson suggère en juillet 1901 que dans les expériences de Crémieu l’isolation des secteurs du disque est inadéquate (Indorato & Masotto 1989, 130–131).

1° En ce qui concerne le warping je sais ce que vous allez répondre, mais il y a aussi ce qu’ils appellent le jarring c’est-à-dire je suppose le ballottement, (sorte de précession à la Poinsot) êtes-vous sûr de vous en être suffisamment débarrassé.33endnote: 3 Poincaré confond ici “jarring” (une vibration induite par un choc) et un mouvement de précession du vecteur de vitesse angulaire autour de l’axe de symétrie, décrit par Louis Poinsot (1777–1859).

2° La seconde partie de l’objection est la plus importante, (transport des charges sur l’isolateur) et la 1re n’est là que comme renfort. Il ne suffit pas de dire que des épreuves d’isolement ont été faites, il faut voir si ces épreuves nous mettent réellement à l’abri de l’objection.

Pourriez-vous me dire exactement quelles ont été dans chaque série d’expériences les dispositions adoptées et les épreuves faites ; distance des secteurs fixes et mobiles, nature et épaisseur des diélectriques qui recouvraient soit le disque fixe, soit le disque mobile ; épreuves d’isolement faites soit sur les secteurs fixes, soit sur les secteurs mobiles.

En ce qui concerne l’objection de Wilson il s’agissait de vérifier non l’isolement des secteurs mobiles, mais ceux des secteurs fixes et non pas leur isolement par rapport à d’autres corps mais leur isolement entre eux. Est-ce bien cela que vous avez fait ? Je n’attache à ce point qu’une importance secondaire, l’objection Wilson me semblant peu sérieuse par elle-même, d’autant plus que vous l’avez réfutée plus directement.44endnote: 4 H. A. Wilson (1901) met en cause l’effet de l’armature mobile du disque ainsi que celui des plaques en laiton. Dans sa réponse, Crémieu (1901b) suggère que l’objection de Wilson ne correspond pas à son appareil. Wilson reconnaît son erreur, mais il maintient que le résultat nul de Crémieu est une conséquence de son appareil (Indorato & Masotto 1989, 130).

Mais ce que je voudrais savoir surtout c’est si les épreuves d’isolement ont été dirigées de façon à vous mettre à l’abri de l’objection Pender dont nous devons d’autant plus nous défier que nous savons que la polarisation des diélectriques à de hauts potentiels peut donner lieu à des surprises. Cette objection Pender, à la différence de celle de Wilson, s’applique]nt[ presque à toutes les formes de vos expériences. Il y a exception pour l’expérience EE (courants ouverts) à laquelle elle ne s’appliquerait pas sans difficulté.

La forme d’expérience que vous proposez (EE mâtinée de BB) présente évidemment un grand intérêt et j’y attacherais beaucoup de prix, si la non-existence de l’effet Rowland étant définitivement hors de contestation, il s’agissait de savoir comment se comportent les courants ouverts. Pour le moment, elle ne répondrait peut-être pas très directement aux objections faites.

Vous pouvez donc vous préoccuper d’en étudier et d’en préparer la réalisation, car il vous faudra sans doute un certain temps et je serais étonné qu’elle pût être prête pour Glasgow ; mais il y a peut-être quelque chose de plus pressé à faire.55endnote: 5 Crémieu participe à la réunion de la British Association à Glasgow en septembre 1901, avec W. Thomson, H. A. Wilson, et d’autres physiciens. Sa communication ne concerne pas l’effet Rowland, mais l’attraction gravitationnelle (1901a).

Il faudrait d’abord reprendre l’expérience EE qui doit être encore montée et vérifier si l’aiguille astatique reste indéviée non seulement quand elle est près de la partie du disque mobile placée vis à vis du secteur mobile mais quand elle est près des autres parties du disque mobile.66endnote: 6 La remarque est soulignée deux fois à partir de “mais quand elle est près …”.

2° Il faudrait ensuite refaire des expériences dans des conditions aussi voisines que possible de celles où ont opéré Rowland et Pender pour voir si vous retrouveriez les mêmes résultats qu’eux.

Ou tout au moins opérer dans des conditions où vous seriez tout à fait à l’abri de l’objection Pender.

Je ne tarderai pas à vous écrire de nouveau, car je n’ai pas encore eu le temps de lire à fond l’article de Pender.

Quel que soit le résultat de cette polémique, et quand même vous devriez reconnaître que vous vous êtes trompé, vous ne devriez pas vous décourager, et vous devriez vous estimer heureux de l’avoir provoquée car il est certain qu’il en sortira bien des faits nouveaux.

Votre bien dévoué,

Poincaré

ALS 6p. Archives de l’Académie des sciences de Paris. Transcrite par Indorato & Masotto (1989).

Time-stamp: " 3.05.2019 01:30"

Notes

  • 1 Harold Pender (1901) observe que la vibration du disque pouvait produire des étincelles, qui aurait pour conséquence la neutralisation de l’effet magnétique recherché. Son article est publié en août.
  • 2 H. A. Wilson (1874–1964) est boursier au laboratoire Cavendish, avant de devenir lecturer à King’s College en 1904. Wilson suggère en juillet 1901 que dans les expériences de Crémieu l’isolation des secteurs du disque est inadéquate (Indorato & Masotto 1989, 130–131).
  • 3 Poincaré confond ici “jarring” (une vibration induite par un choc) et un mouvement de précession du vecteur de vitesse angulaire autour de l’axe de symétrie, décrit par Louis Poinsot (1777–1859).
  • 4 H. A. Wilson (1901) met en cause l’effet de l’armature mobile du disque ainsi que celui des plaques en laiton. Dans sa réponse, Crémieu (1901b) suggère que l’objection de Wilson ne correspond pas à son appareil. Wilson reconnaît son erreur, mais il maintient que le résultat nul de Crémieu est une conséquence de son appareil (Indorato & Masotto 1989, 130).
  • 5 Crémieu participe à la réunion de la British Association à Glasgow en septembre 1901, avec W. Thomson, H. A. Wilson, et d’autres physiciens. Sa communication ne concerne pas l’effet Rowland, mais l’attraction gravitationnelle (1901a).
  • 6 La remarque est soulignée deux fois à partir de “mais quand elle est près …”.

Références

  • V. Crémieu (1901a) A new point of view about gravitation, and a proposed experiment. Report–British Association 71, pp. 561–562. Cited by: endnote 5.
  • V. Crémieu (1901b) Reply to Mr. Wilson’s article entitled “On the magnetic effect of electric convection, and on Rowland’s and Crémieu’s experiments”. Philosophical Magazine 2, pp. 235–237. link1 Cited by: endnote 4.
  • L. Indorato and G. Masotto (1989) Poincaré’s role in the Crémieu-Pender controversy over electric convection. Annals of Science 46 (2), pp. 117–163. link1 Cited by: 2-17-4. H. Poincaré à Victor Crémieu, endnote 2, endnote 4.
  • H. Pender (1901) On the magnetic effect of electrical convection. Philosophical Magazine 2, pp. 179–208. link1 Cited by: endnote 1.
  • H. A. Wilson (1901) On the magnetic effect of electric convection, and on Rowland’s and Crémieu’s experiments. Philosophical Magazine 2, pp. 144–150. link1 Cited by: endnote 4.