2-68-1. Ivar Fredholm à H. Poincaré
Stockholm 22 Décembre 189911endnote: 1 Variante : “Stockholm 15 22 Décembre 1899”.
A Monsieur H. Poincaré — Membre de l’Institut
Monsieur !
Ma note sur les équations différentielles à coefficients constants22endnote: 2 Fredholm 1899. Cette note est effectivement présentée par Poincaré. Les résultats qui sont exposés dans la suite de la lettre sont publiés dans Fredholm (1900, 1902b, 1902a, 1903). que vous avez fait imprimer dans les “Comptes Rendus” me montre que vous avez trouvé que ma communication n’était pas sans intérêt.
Peut-être il en sera de même des résultats que je me permets d’exposer dans ce qui suit.
Il s’agit de démontrer l’existence des solutions d’un problème analogue à celui de Dirichlet, mais un peu plus général.33endnote: 3 Les résultats qui suivent sont pour certains d’entre eux déjà exposés dans une lettre adressée par Fredholm à Mittag-Leffler le 8 août 1899, alors qu’il rentrait d’un séjour à Paris, et dont un extrait a été traduite par Zeilon (1930, VIII–IX): “Je m’occupe actuellement de certaines recherches d’une assez grande importance pour tous ces problèmes de la physique mathématique qui sont analogues au problème de Dirichlet. Comme certains des résultats sont d’intérêt aussi du point de vue mathématique, vous me permettrez d’en communiquer quelques uns ici. Soit une fonction continue des variables réelles , , définie par exemple pour des , , situés entre 0 et 1. Le problème que je traite est, dans sa forme la plus simple, celui-ci : Trouver une fonction qui satisfasse à “l’équation intégrale” où est un paramètre arbitraire et une fonction donnée à l’avance. On peut prouver que la solution de cette équation existe en général, et qu’elle est le rapport de deux séries entières en l, toujours convergentes. Ces séries de puissances peuvent se représenter d’une façon assez élégante. Le dénominateur, par exemple, est une expression de la forme La convergence peut être prouvée à l’aide d’un théorème sur les déterminants, que je n’ai vu cité nulle part, et qui s’énonce de la manière suivante Si donc est la valeur maxima du module de , il s’ensuit évidemment que, selon le théorème sur les déterminants, le coefficient de est inférieur à Mais la limite de la racine de cette expression est égale à zéro, et la série est une fonction entière. Je n’ai pas encore réussi à traiter complètement le cas où devient infini.” Pour fixer les idées, je prends un système d’équations différentielles de la forme
(1) |
où
Pour bien mettre en évidence l’esprit de la méthode, je rappelle la méthode de Neumann pour le problème de Dirichlet dans le plan. Appelons la longueur de l’arc de la courbe donnée, il s’agit de déterminer la densité d’une couche double44endnote: 4 Poincaré avait étudié en 1895 la méthode de Neumann pour la solution du problème de Dirichlet (Poincaré 1895, 1896). Elle est “fondée sur les propriétés des doubles couches” (Petiau, dir., 1954, 202) et a pour but de “trouver une fonction harmonique dans un certain domaine prenant des valeurs données sur la frontière de ce domaine” (ibid.). Etant donnée une surface fermée, une “certaine quantité de matière attirante” disposée sur cette surface engendrera un potentiel qui peut s’exprimer sous la forme où est la densité de matière attirante et la mesure superficielle. “C’est ce qu’on appelle le potentiel de simple couche”. L’expression d’un potentiel d’une double couche s’exprime sous la forme où “ est l’angle solide sous lequel l’élément est vu du point” où l’on calcule le potentiel et la densité de la double couche. Poincaré justifie l’expression “potentiel d’une double couche” en remarquant qu’on “peut le regarder comme le potentiel dû à deux couches attirantes infiniment rapprochées l’une de l’autre et telle qu’en deux points correspondants de ces deux couches les densités soient égales et de signe contraire et d’ailleurs très grandes” (Petiau, dir., 1954, 204). Dans son cours consacré au magnétisme, Poincaré (1890, 1901), précise cette idée en étudiant un cas particulier simple de potentiel de double couche, le potentiel d’un feuillet magnétique (Poincaré 1901, 88–89). de sorte que l’intégrale
tende vers une unité donnée de valeurs quand le point , approche à un point du contour. Cette valeur limite s’écrit
(2) |
Le point , se trouve sur le contour. Appelons la longueur de l’arc du point jusqu’au point , . Nous avons
où est une fonction ayant une valeur finie, si la courbe a une courbure finie, ce que je suppose.
Par ces préliminaires, vous voyez comment on est amené à étudier des équations fonctionnelles de la forme
(3) |
où est une fonction finie pour les valeurs autre [que] zéro et un, et est un paramètre. est une fonction donnée et nous cherchons la valeur de .
Par rapport à l’équation fonctionnelle (3) je suis arrivé au résultat suivant qui me semble d’une grande utilité.
La fonction qui donne la solution de l’équation (3) est, considérée comme fonction de égale au quotient de deux fonctions entières
Il est facile de donner les expressions du / numérateur et du dénominateur de cette fonction.55endnote: 5 La quantité est désignée sous le nom de “déterminant de l’équation fonctionnelle”. Fredholm considère que son équation “est un cas limite de la théorie des équations linéaires ; aussi retrouve-t-on dans la théorie […] tous les résultats de la théorie des déterminants”. En particulier, la formation de est une généralisation de la notion de déterminant. En termes modernes, les opérateurs de Fredholm sont des opérateurs compacts. Il sont donc limites d’une suite convergente d’opérateurs de dimension finie.
Introduisons la notation.
on a
(4) |
et
(5) |
En introduisant ces expressions dans l’équation (3) on démontre qu’elles y satisfont formellement. La convergence des séries et pour des valeurs quelconques de est une conséquence im[m]édiate du théorème suivant sur les déterminants.
« La valeur absolue d’un déterminant
dont les éléments sont réels est au plus égale à66endnote: 6 Comme le montre sa lettre adressée à Mittag-Leffler (voir la note en amont) il semble que Fredholm avait obtenu une démonstration personnelle de ce théorème, fondée sur des techniques d’orthogonalisation (Zeilon, 1955). Ce théorème avait déjà été montré par Hadamard (1893); Fréchet et al. (1968, 239–245).
En appelant la plus grande valeur absolue de , on a évidemment
Il s’en suit que les séries (4) et (5) sont convergentes, car croît comme .
Cela suffit pour assurer l’existence d’une fonction satisfaisant à l’équation fonctionnelle (3) “en général”.
Pour en être sûr pour une valeur de donnée, soit , il faut savoir un peu de plus par rapport à la fonction , car il peut arriver que s’annule pour et que contient une puissance plus élevée de que ne le fait . Mais dans ce cas on peut trouver une solution de l’équation fonctionnelle
(6) |
qui n’est pas égale à zéro identiquement. Mais si on sait de quelque manière que l’équation fonctionnelle (6) n’admet pas de solution, on peut être sûr de ce que ne peut pas contenir en une puissance plus élevée que .77endnote: 7 On retrouve la célèbre alternative de Fredholm : ou bien l’équation non homogène (3) avec possède une et une seule solution quelque soit , ou bien l’équation homogène (6) possède des solutions
En effet, on sait que le potentiel d’une double couche portée par une courbe fermée ne peut pas être nulle à l’intérieur de , à moins que la densité ne soit nulle. Par conséquent, dans le cas du problème de Dirichlet on peut être sûr de ce que l’équation fonctionnelle a une solution et cette solution s’exprime par la formule .
Passons maintenant au problème d’abord énoncé. Pour le traiter j’introduis une sorte d’intégrale
(7) |
où les sont des fonctions données des paramètres qui fixent la position d’un / point sur la courbe d’intégration.
Les sont les différentielles exactes par rapport aux variables des fonctions
où les sont les racines de l’équation
Je suppose que ces racines soient complexes. De plus je suppose que . Dans ce cas on peut d’une infinité de manières former des expressions linéaires des dérivées premières des fonctions , de sorte qu’on ait identiquement
Parmi ces divers]e[s systèmes d’expressions il existe un, et en général un seul, qui jouit de la propriété que les expressions
soit continues dans tout le plan si et sont les fonctions définies par la formule (7).
Ce résultat nous permet de démontrer que les fonctions , ne peuvent pas être égale à zéro à l’intérieur de à moins qu’on ait .
En effet supposons à l’intérieur de . Alors sont aussi nuls à l’intérieur de et parce qu’ils sont continues leurs valeurs limites quand le point approche d’un point de en restant extérieur à sont aussi nulles. Mais alors il est facile à démontrer qu’en employant des méthodes usuelles dans la théorie de l’élasticité, qu’elles sont nulles dans tout le plan. Cela entraîne la conséquence que les fonctions , aussi sont nulles et par conséquent on a aussi et égales à zéro.
Cela suffit pour nous assurer de la légitimité de l’application de la méthode proposé[e] pour l’équation (3) / au problème qui nous occupe maintenant.
Car si on a choisi les coefficients d’une manière convenable les valeurs limites des fonctions , quand le point approche d’un point de en restant intérieur à seront
On a ainsi un système d’équations fonctionnelles de la forme
Mais ce système se ramène aisément à l’équation fonctionnelle (3). Car définissons une fonction par les conditions
Alors l’équation fonctionnelle
est évidemment équivalente au système (8), si
Le problème analogue au problème de Dirichlet pour les systèmes d’équations différentielles se trouve ainsi résolu dans un cas assez général.
J’ai cherché à étendre ces résultats pour le cas de trois variables indépendantes mais ces recherches sont moins faciles car la fonction jouant le rôle de devient infinie dans le champ d’intégration.88endnote: 8 Fredholm parviendra à généraliser ses méthodes au cas où le noyau devient infini en se restreignant au cas où reste fini et intégrable, étant inférieur à l’unité (Fredholm, 1902a, 1903); voir les notes de la lettre de Mittag-Leffler à Poincaré, 17.02.1909 (§ 1-1-241). Cependant j’espère que les difficultés ne soient pas insurmontables.
Veuillez recevoir Monsieur l’expression de mes sentiments distingués.
Ivar Fredholm
Maître de conférences à l’Université de Stockholm
ALS 10p. Collection particulière, Paris 75017.
Time-stamp: " 4.12.2024 19:06"
Notes
- 1 Variante : “Stockholm 15 22 Décembre 1899”.
- 2 Fredholm 1899. Cette note est effectivement présentée par Poincaré. Les résultats qui sont exposés dans la suite de la lettre sont publiés dans Fredholm (1900, 1902b, 1902a, 1903).
- 3 Les résultats qui suivent sont pour certains d’entre eux déjà exposés dans une lettre adressée par Fredholm à Mittag-Leffler le 8 août 1899, alors qu’il rentrait d’un séjour à Paris, et dont un extrait a été traduite par Zeilon (1930, VIII–IX): “Je m’occupe actuellement de certaines recherches d’une assez grande importance pour tous ces problèmes de la physique mathématique qui sont analogues au problème de Dirichlet. Comme certains des résultats sont d’intérêt aussi du point de vue mathématique, vous me permettrez d’en communiquer quelques uns ici. Soit une fonction continue des variables réelles , , définie par exemple pour des , , situés entre 0 et 1. Le problème que je traite est, dans sa forme la plus simple, celui-ci : Trouver une fonction qui satisfasse à “l’équation intégrale” où est un paramètre arbitraire et une fonction donnée à l’avance. On peut prouver que la solution de cette équation existe en général, et qu’elle est le rapport de deux séries entières en l, toujours convergentes. Ces séries de puissances peuvent se représenter d’une façon assez élégante. Le dénominateur, par exemple, est une expression de la forme La convergence peut être prouvée à l’aide d’un théorème sur les déterminants, que je n’ai vu cité nulle part, et qui s’énonce de la manière suivante Si donc est la valeur maxima du module de , il s’ensuit évidemment que, selon le théorème sur les déterminants, le coefficient de est inférieur à Mais la limite de la racine de cette expression est égale à zéro, et la série est une fonction entière. Je n’ai pas encore réussi à traiter complètement le cas où devient infini.”
- 4 Poincaré avait étudié en 1895 la méthode de Neumann pour la solution du problème de Dirichlet (Poincaré 1895, 1896). Elle est “fondée sur les propriétés des doubles couches” (Petiau, dir., 1954, 202) et a pour but de “trouver une fonction harmonique dans un certain domaine prenant des valeurs données sur la frontière de ce domaine” (ibid.). Etant donnée une surface fermée, une “certaine quantité de matière attirante” disposée sur cette surface engendrera un potentiel qui peut s’exprimer sous la forme où est la densité de matière attirante et la mesure superficielle. “C’est ce qu’on appelle le potentiel de simple couche”. L’expression d’un potentiel d’une double couche s’exprime sous la forme où “ est l’angle solide sous lequel l’élément est vu du point” où l’on calcule le potentiel et la densité de la double couche. Poincaré justifie l’expression “potentiel d’une double couche” en remarquant qu’on “peut le regarder comme le potentiel dû à deux couches attirantes infiniment rapprochées l’une de l’autre et telle qu’en deux points correspondants de ces deux couches les densités soient égales et de signe contraire et d’ailleurs très grandes” (Petiau, dir., 1954, 204). Dans son cours consacré au magnétisme, Poincaré (1890, 1901), précise cette idée en étudiant un cas particulier simple de potentiel de double couche, le potentiel d’un feuillet magnétique (Poincaré 1901, 88–89).
- 5 La quantité est désignée sous le nom de “déterminant de l’équation fonctionnelle”. Fredholm considère que son équation “est un cas limite de la théorie des équations linéaires ; aussi retrouve-t-on dans la théorie […] tous les résultats de la théorie des déterminants”. En particulier, la formation de est une généralisation de la notion de déterminant. En termes modernes, les opérateurs de Fredholm sont des opérateurs compacts. Il sont donc limites d’une suite convergente d’opérateurs de dimension finie.
- 6 Comme le montre sa lettre adressée à Mittag-Leffler (voir la note en amont) il semble que Fredholm avait obtenu une démonstration personnelle de ce théorème, fondée sur des techniques d’orthogonalisation (Zeilon, 1955). Ce théorème avait déjà été montré par Hadamard (1893); Fréchet et al. (1968, 239–245).
- 7 On retrouve la célèbre alternative de Fredholm : ou bien l’équation non homogène (3) avec possède une et une seule solution quelque soit , ou bien l’équation homogène (6) possède des solutions
- 8 Fredholm parviendra à généraliser ses méthodes au cas où le noyau devient infini en se restreignant au cas où reste fini et intégrable, étant inférieur à l’unité (Fredholm, 1902a, 1903); voir les notes de la lettre de Mittag-Leffler à Poincaré, 17.02.1909 (§ 1-1-241).
Références
- Oeuvres de Jacques Hadamard, Volume 1. CNRS, Paris. Cited by: endnote 6.
- Sur une classe d’équations aux dérivées partielles. Comptes rendus hebdomadaires des séances de l’Académie des sciences de Paris 129, pp. 32–34. link1 Cited by: endnote 2.
- Sur une nouvelle méthode pour la résolution du problème de Dirichlet. Öfversigt af Kongliga Svenska Vetenskaps-Akademiens förhandlingar 57, pp. 39–46. link1 Cited by: endnote 2.
- Sur une classe d’équations fonctionnelles. Comptes rendus hebdomadaires des séances de l’Académie des sciences de Paris 134, pp. 1561–1564. link1 Cited by: endnote 2, endnote 8.
- Sur une classe d’équations rationnelles. Comptes rendus hebdomadaires des séances de l’Académie des sciences de Paris 134, pp. 219–222. link1 Cited by: endnote 2.
- Sur une classe d’équations fonctionnelles. Acta mathematica 27, pp. 365–390. link1 Cited by: endnote 2, endnote 8.
- Résolution d’une question relative aux déterminants. Bulletin des sciences mathématiques 17, pp. 240–246. link1 Cited by: endnote 6.
- Oeuvres complètes d’Ivar Fredholm. Litos Reprotryck, Malmö. Cited by: N. Zeilon (1955).
- Oeuvres d’Henri Poincaré, Volume 9. Gauthier-Villars, Paris. link1 Cited by: endnote 4.
- Électricité et optique, Volume 1. Georges Carré, Paris. link1 Cited by: endnote 4.
- Sur la méthode de Neumann et le problème de Dirichlet. Comptes rendus hebdomadaires des séances de l’Académie des sciences de Paris 120, pp. 347–352. link1 Cited by: endnote 4.
- La méthode de Neumann et le problème de Dirichlet. Acta mathematica 20, pp. 59–142. link1 Cited by: endnote 4.
- Électricité et optique: la lumière et les théories électrodynamiques. Carré et Naud, Paris. link1 Cited by: endnote 4.
- Ivar Fredholm. Acta Mathematica 54, pp. I–XVI. link1, link2 Cited by: endnote 3.
- Biographie d’Ivar Fredholm. See Oeuvres complètes d’Ivar Fredholm, Mittag-Leffler Institute, pp. I–XVI. Cited by: endnote 6.