4-36-1. H. Poincaré à Giovanni Battista Guccia
Paris, le 27 Octobre 1888
Mon cher ami,
La lecture de la note de M. Vivanti, dans un des derniers numéros des Rendiconti, m’a vivement intéressé et m’a inspiré diverses réflexions qu’il ne sera peut être pas inutile de mettre sous les yeux de vos lecteurs.11endnote: 1 Vivanti 1888.
D’après M. Vivanti, une fonction multiforme et de la e puissance, si l’ensemble des valeurs qu’elle peut prendre pour une valeur donnée de la variable est lui-même de la e puissance, au sens de M. Cantor. En particulier, elle sera de la 1re puissance si elle peut prendre en un point donné une infinité de valeurs susceptibles d’être rangée en une série linéaire:
de façon que chacune d’elles se trouve dans cette série une fois et une seule, avec un indice déterminé; si en d’autres termes, on peut assigner à chacune de ces valeurs un numéro d’ordre. Au contraire une fonction qui pourrait prendre en un point donnée, par exemple toutes les valeurs possibles commensurables, ou non, ou encore toutes les valeurs incommensurables serait de la 2de puissance. Je me propose d’établir qu’il n’y a pas de fonction analytique multiforme d’une puissance supérieure à la 1re. Mais pour cela il faut bien s’entendre sur ce qu’on doit appeler fonction analytique.
J’adopterai les définitions de M. Weierstrass.
Un élément de fonction analytique sera une série de puissance convergente à l’intérieur d’un certain cercle. Deux éléments de fonctions seront la continuation analytique l’un de l’autre, ou plus brièvement seront dérivés l’un de l’autre quand les deux cercles de convergence ont une partie commune et que dans cette partie commune les deux séries ont même somme.
Pour construire une fonction analytique, nous partirons d’un élément de fonction convergent dans un certain cercle . Nous construirons ensuite les divers éléments de fonction dérivés de ; puis les éléments dérivés des divers éléments ; puis les éléments dérivés de et ainsi de suite.
L’ensemble des éléments , celui des éléments , etc., sont de la puissance. Mais il n’est pas nécessaire d’envisager tous ces éléments pour obtenir toutes les déterminations de la fonction.
J’appellerai ceux des éléments dont le cercle de convergence aura pour centre un point ayant ses deux coordonnées commensurables.
Il est aisé de vérifier que l’ensemble des éléments est de la 1re puissance (et qu’il en est de même de l’ensemble des éléments dérivés d’un éléments donné). On voit aussi sans peine que tout point intérieur à l’un des cercles de convergence de l’un des éléments sera aussi intérieur à l’un des cercles de convergence de l’un des éléments .
Tout cercle ayant une partie commune avec l’un des cercles aura aussi une partie commune avec un des cercles . Donc tout élément dérivé de l’un des éléments sera aussi dérivé de l’un des éléments . Les divers éléments sont donc dérivés des divers éléments ; de même les éléments seront dérivés des éléments etc.
La considération des éléments , , etc., suffit pour obtenir toutes les déterminations de la fonction. Soit en effet un chemin quelconque allant de la valeur initiale A de la variable à la valeur finale B. Il existera un nombre fini d’éléments , , , …, ayant pour cercle de convergence , , …, et tels que soit dérivé de , que le point A soit intérieur à et le point B à et que l’arc traverse successivement le cercle , la partie commune à et , le cercle , la partie commune à et , etc., sans jamais sortir de l’ensemble des cercles , , …, . Ce n’est qu’à cette condition que la fonction aura une valeur déterminée au point B quand on sera arrivé en ce point par le chemin .
Nous pourrons alors remplacer , , …, par éléments , , …, qui en diffèrent assez peu pour que l’arc ne sorte pas de l’ensemble des nouveaux cercles de convergence , , …, .
La considération de ces éléments suffit donc pour faire connaître la valeur qu’acquiert la fonction quand on a parcouru le chemin . C.Q.F.D.
L’ensemble des éléments , …, est de la 1re puissance. En effet l’ensemble des éléments dérivés de est de la 1re puissance; donc on peut attribuer à chacun d’eux un numéro d’ordre . L’ensemble des éléments dérivés de celui des éléments qui a pour numéro d’ordre sera encore de la 1re puissance, donc on peut donner à chacun d’eux un numéro d’ordre , et ainsi de suite. En résumé un élément sera défini par numéros d’ordre:
De sorte que l’ensemble des éléments , , …, etc. aura même puissance que l’ensemble des fractions continues limitées:
ou que l’ensemble des nombre commensurables lequel est comme on sait de la 1re puissance. C.Q.F.D.
Il suit de là que l’ensemble des déterminations d’une fonction analytique en un point donné est toujours au plus de la 1re puissance.
Il n’existe donc pas, par exemple, de fonction analytique qui prenne en un point donné toutes les valeurs possibles commensurables ou non.
Il ne me reste que la place de vous serrer la main,
Poincaré
ALS 4p. Circolo matematico di Palermo. Published in Poincaré (1888) and reedited by Valiron (1950, 11–13).
Time-stamp: "31.07.2023 18:40"
Références
- Sur une propriété des fonctions analytiques. Rendiconti del Circolo matematico di Palermo 2, pp. 197–200. link1 Cited by: 4-36-1. H. Poincaré à Giovanni Battista Guccia.
- Œuvres d’Henri Poincaré, Volume 4. Gauthier-Villars, Paris. link1 Cited by: 4-36-1. H. Poincaré à Giovanni Battista Guccia.
- Sulle funzioni ad infiniti valori. Rendiconti del circolo matematico di Palermo 2, pp. 135–138, 150–151. link1 Cited by: endnote 1.