2-29-2. Camille Gutton à H. Poincaré

Nancy, 19 Xbre 99

Cher Monsieur,

J’ai fait quelques expériences dans le sens que vous m’avez indiqué. J’ai mesuré les longueurs d’ondes d’un résonateur circulaire en le plaçant soit dans l’air, soit dans de l’huile de lampe (le micromètre était également dans l’huile ce qui n’empêche pas d’obtenir des étincelles suffisamment visibles). J’ai mesuré ces longueurs d’ondes en déplaçant un pont qui réunit les deux fils au delà du résonateur.

J’ai également mesuré la longueur d’onde lorsque les fils étaient plongés au delà du résonateur dans une cuve contenant de l’huile. Pour ne pas avoir besoin de trop grandes quantités d’huile, j’ai employé un excitateur donnant des ondes de 80cm de longueur. C’était un excitateur de M. Blondlot, ayant 10cm de diamètre et entièrement plongé dans l’huile de paraffine.11endnote: 1 L’excitateur de Blondlot est décrit par Poincaré dans (1894, 291–292); il s’agit d’un condensateur dont les plateaux communiquent par un fil sur lequel est interposé un micromètre à étincelles, qui fonctionne comme un excitateur quand on fait communiquer ses deux armatures avec les pôles d’une bobine à induction.

Voici les résultats que j’ai obtenus :

Résonateur dans la position de MM. Sarasin et de la Rive.22endnote: 2 Gutton considère ici le cas du résonateur sensible au champ électrique.

1{Résonateur dans l’airFils dans l’air1\begin{cases}\text{Résonateur dans l'air}\\ \text{Fils dans l'air}\end{cases} 1/2\nicefrac{{1}}{{2}} long. d’onde=40=40cm
2{Résonateur dans l’huileFils dans l’air2\begin{cases}\text{Résonateur dans l'huile}\\ \text{Fils dans l'air}\end{cases} 1/2\nicefrac{{1}}{{2}} long. d’onde=62=62cm
3{Résonateur dans l’airFils dans l’huile3\begin{cases}\text{Résonateur dans l'air}\\ \text{Fils dans l'huile}\end{cases} 1/2\nicefrac{{1}}{{2}} long. d’onde=26=26cm
4{Résonateur dans l’huileFils dans l’huile4\begin{cases}\text{Résonateur dans l'huile}\\ \text{Fils dans l'huile}\end{cases} 1/2\nicefrac{{1}}{{2}} long. d’onde=40=40cm
Les expériences 1 et 2 donnent comme valeur de l’indice de réfraction de l’huile 1,55
Les expériences 1 et 3 1,53

Résonateur dans le plan des fils c’est à dire dans la position de M. Blondlot.33endnote: 3 Cas du résonateur sensible au champ magnétique.

1{Résonateur dans l’airFils dans l’air1\begin{cases}\text{Résonateur dans l'air}\\ \text{Fils dans l'air}\end{cases} 1/2\nicefrac{{1}}{{2}} long. d’onde=41=41cm
2{Résonateur dans l’huileFils dans l’air2\begin{cases}\text{Résonateur dans l'huile}\\ \text{Fils dans l'air}\end{cases} 1/2\nicefrac{{1}}{{2}} long. d’onde=61=61cm
3{Résonateur dans l’airFils dans l’huile3\begin{cases}\text{Résonateur dans l'air}\\ \text{Fils dans l'huile}\end{cases} 1/2\nicefrac{{1}}{{2}} long. d’onde=27=27cm
1 et 2 donnent 1,50 comme valeur de l’indice
1 et 3 1,55

Les longueurs d’ondes ne pouvant pas être mesurées à moins de 2cm près; les différences entre les 4 valeurs trouvées pour l’indice sont inférieures aux différences pouvant provenir des erreurs d’expériences.

Je n’ai donc pas trouvé qu’un résonateur pouvait donner deux longueurs d’ondes différentes lorsqu’il était dans l’une ou l’autre position ; ni que sa longueur d’onde est indépendante du milieu où il est plongé comme le suppose M. Turpain.44endnote: 4 Turpain 1899. L’existence d’ondes longitudinales est déduite par M. Turpain de ses expériences sur l’eau; je chercherai à répéter et à varier ces expériences, mais actuellement j’ai voulu profiter des grands froids pour faire des expériences sur la glace.55endnote: 5 Voir Gutton (1900) et les notes de (§ 2-29-1).

J’ai cherché à mesurer la vitesse de propagation des ondes émises par un excitateur placé sur la ligne focale d’un miroir parabolique, à travers une lame de glace à faces parallèles. J’ai pu me procurer deux grands morceaux de glace de 12cm,5 d’épaisseur parfaitement limpides et sans bulles d’air, je les ai placés l’un contre l’autre entre deux miroirs paraboliques et j’ai mesuré, par le procédé qui m’a servi l’an dernier à comparer les vitesses dans l’air et dans les fils, l’épaisseur d’air traversée dans le même temps que les lames de glace.66endnote: 6 Voir Gutton (1899). J’ai employé un excitateur donnant des ondes de 17cm de longueur et j’ai trouvé pour la constante diélectrique 3,1, nombre supérieur à celui de M. Blondlot.77endnote: 7 Blondlot (1894) trouve une valeur de 2. Je suis occupé actuellement à rechercher, par des expériences faites sur des fils noyés dans la glace, si cette divergence ne serait pas expliquée, au moins en partie, par une dispersion normale, les longueurs d’onde employées par M. Blondlot étant beaucoup plus grandes ; ou si les différences proviennent de ce que la lame de glace n’ayant que 25cm d’épaisseur était trop mince.

La glace est parfaitement transparente pour les oscillations, comme M. Drude a trouvé des dispersions notables pour certains liquides organiques ne présentant pas d’absorption sensible, la dispersion pourra peut-être expliquer le nombre que j’ai trouvé.88endnote: 8 Paul Drude (1863–1906), professeur de physique à l’université de Leipzig. Il décrit (Drude 1897) les dispositifs de mesure de la constante diélectrique et donne les résultats pour de nombreuses substances.

Dès que j’aurai terminé ces expériences, ou dès que la température sera trop élevée pour que l’on puisse conserver de la glace sèche, je reprendrai les expériences que vous m’avez demandé de faire. Veuillez, je vous prie, m’excuser de les avoir délaissées quelque temps et recevoir l’expression de mes sentiments respectueux.

Votre bien dévoué,

C. Gutton

ALS 4p. Collection particulière, Paris 75017.

Time-stamp: " 3.05.2019 01:30"

Notes

  • 1 L’excitateur de Blondlot est décrit par Poincaré dans (1894, 291–292); il s’agit d’un condensateur dont les plateaux communiquent par un fil sur lequel est interposé un micromètre à étincelles, qui fonctionne comme un excitateur quand on fait communiquer ses deux armatures avec les pôles d’une bobine à induction.
  • 2 Gutton considère ici le cas du résonateur sensible au champ électrique.
  • 3 Cas du résonateur sensible au champ magnétique.
  • 4 Turpain 1899.
  • 5 Voir Gutton (1900) et les notes de (§ 2-29-1).
  • 6 Voir Gutton (1899).
  • 7 Blondlot (1894) trouve une valeur de 2.
  • 8 Paul Drude (1863–1906), professeur de physique à l’université de Leipzig. Il décrit (Drude 1897) les dispositifs de mesure de la constante diélectrique et donne les résultats pour de nombreuses substances.

Références

  • R. Blondlot (1894) Sur la propagation des ondes électromagnétiques dans la glace, et sur le pouvoir diélectrique de cette substance. Comptes rendus hebdomadaires des séances de l’Académie des sciences de Paris 119, pp. 595–597. link1 Cited by: endnote 7.
  • P. Drude (1897) Zwei Methoden zur Messung der Dielektrizitätskonstante und der elektrischen Absorption bei schnellen Schwingungen. Zeitschrift für physikalische Chemie 23, pp. 267–325. Cited by: endnote 8.
  • C. Gutton (1899) Comparaison des vitesses de propagation des ondes électromagnétiques dans l’air et le long des fils. Comptes rendus hebdomadaires des séances de l’Académie des sciences de Paris 128, pp. 1508–1511. link1 Cited by: endnote 6.
  • C. Gutton (1900) Sur la constante diélectrique et la dispersion de la glace pour les radiations électromagnétiques. Comptes rendus hebdomadaires des séances de l’Académie des sciences de Paris 130, pp. 1119–1121. link1 Cited by: endnote 5.
  • H. Poincaré (1894) Les oscillations électriques. Carré et Naud, Paris. link1 Cited by: endnote 1.
  • A. Turpain (1899) Sur la propagation des oscillations électriques dans les milieux diélectriques. Comptes rendus hebdomadaires des séances de l’Académie des sciences de Paris 129, pp. 670–672. link1 Cited by: endnote 4.