3-33-8. H. Poincaré à Anders Lindstedt
Paris, le 8 Avril 1884
Monsieur,
J’avais bien compris que contenait la seconde constante d’intégration et que par conséquent on devait écrire dans la 1re approximation
et non . Dans ces conditions, il est clair que dans la 2de approximation, il n’y aura pas de terme en . Mais dans la 3e approximation et les suivantes, cela n’est plus évident bien que cela soit encore vrai.
Voici d’ailleurs un exemple qui vous fera mieux comprendre mon objection. Soit:
Première approximation:11endnote: 1 La première approximation est obtenue comme solution de l’équation sans second membre : est égal à .
Deuxième approximation:22endnote: 2 La seconde approximation est obtenue en prenant comme second membre de l’équation et en fixant la valeur de de manière qu’il n’y ait pas de terme en (pour éviter les termes séculaires). Comme le terme ne comporte aucun terme en , on choisit . La solution générale de l’équation sera de la forme donnée par Poincaré en assurant que et .
L’équation s’écrira ensuite pour la 3e approximation33endnote: 3 La 3e approximation est obtenue en prenant comme second membre L’expression proposée par Poincaré est le développement à l’ordre 1 en posant .
Dans le second membre, il pourrait y avoir des termes en , dont le coefficient serait44endnote: 4 Variante : “”. Le terme “” et les dénominateurs sont rayés.
(1) |
Il est possible que je me sois trompé sur les signes des coefficients dans l’expression (1). Vous le vérifierez aisément.55endnote: 5 Seuls les termes comportant un produit ou peuvent faire apparaître des termes en , soit les termes , , , . Le coefficient de sera qui est évidemment nul. D’ailleurs voici l’expression (1) rectifiée:
(1) |
Il est aisé de vérifier que cette expression (1) est nulle, mais cela n’était pas évident a priori et cela l’est encore moins pour les approximations suivantes, bien que je considère le fait en lui-même comme certain. Une démonstration générale serait bien désirable.
Je passe au second point traité dans votre lettre. Il importe d’abord de bien préciser ce que l’on doit entendre par convergence.
Vos séries se présentent sous la forme suivante:
(2) |
étant un coefficient de l’ordre des masses.
On a ensuite
(3) |
et enfin vous posez:
(4) |
Ainsi les termes de la série (2) sont eux-mêmes des séries trigonométriques dont l’un des arguments s’exprime lui-même par une série (4). Cela posé, on peut concevoir deux modes principaux de convergence de la série (2):
Premier mode
La série (4) est convergente de sorte que est parfaitement déterminé. Les séries (3) sont convergentes pour toutes les valeurs de . La série (2) qui a pour termes la somme des diverses séries (3) est convergente également, mais pour certaines valeurs de seulement.
Ce premier mode de convergence ne saurait convenir pour la
démonstration de la stabilité, mais il convient pour le calcul des
perturbations pendant un intervalle de temps limité (à courte
échéance).66endnote:
6
Le premier mode de convergence envisagé par
Poincaré est le cas où la série (2) est une série (absolument)
convergente de séries (absolument) convergentes. La série n’en est
pas pour autant absolument convergente ; Poincaré parle alors de
semi-convergence (Poincaré 1884a, 325–326) :
“Jusqu’ici nous avons supposé que les séries que nous considérions
étaient absolument convergentes. Il reste à examiner le cas de la
semi-convergence qui peut se présenter dans des circonstances trop
variées pour que je les énumère toutes ici. Je me bornerai au cas
suivant qui me paraît être le seul qu’on puisse rencontrer dans les
applications. Soit
une série absolument convergente dont chaque terme est lui-même
la somme d’une série trigonométrique absolument convergente. Il peut
arriver que, lorsqu’on a affaire à une série de cette forme, il soit
impossible de changer l’ordre des termes sans altérer la convergence ;
il y a alors semi-convergence.
On peut être conduit à une pareille série dans l’application des
approximations successives. Supposons qu’en négligeant les carrés des
masses on soit conduit à une série trigonométrique . Quand on
tiendra compte ensuite des carrés, en négligeant les cubes, on verra
qu’il faut ajouter à la série une autre série trigonométrique
, et ainsi de suite. On sera ainsi amené à une série
qui devra converger si la méthode peut donner une approximation
indéfinie. C’est ce qui arrive dans la méthode de M. Lindstedt et dans
d’autres analogues.
Ces séries peuvent converger dans un petit intervalle de temps sans
converger pour toutes les valeurs de . Je citerai comme exemple la
série
dont chaque terme peut manifestement s’écrire sous forme de série
trigonométrique et qui n’est convergente que si
J’ai lieu de penser que les séries de M. Lindstedt sont
semi-convergentes de la façon que je viens de dire, mais non
absolument convergentes, d’où il résulterait qu’elles ne
représenteraient les distances mutuelles que pendant un intervalle de
temps limité.”
Deuxième mode
La série (4) est encore convergente; posons:
(5) |
où est comme nous l’avons supposé plus haut le coefficient d’un certain terme dans la série . Supposons que les séries (5) soient convergentes et mettons la série (2) sous la forme:
(6) |
Si la série (6) est convergente, elle l’est toujours et c’est là le deuxième mode possible de convergence de la série (2).
Ce second mode est le seul qui convienne pour la démonstration de la stabilité (et encore faut-il que la convergence soit uniforme) et pour le calcul des perturbations à longue échéance.
Voici maintenant ce que je pense de ces deux modes de convergence. En premier lieu je crois, sans l’avoir démontré, que la série (2) est convergente. Les séries (3) ne seront pas convergentes en général si on les prend sous la forme brute que donne l’intégration. Mais il sera toujours possible en groupant les termes d’une manière convenable de leur rendre la convergence qui ne sera toutefois pas uniforme. (Ces difficultés ne se présenteraient pas si le second membre était formé d’un nombre fini de termes dont les coefficients ne dépendissent que d’un argument.) Cela posé la série (2) serait convergente pour de petites valeurs de .
Les séries (5) seraient convergentes en général, mais la série (6) ne le serait pas. Voilà ce que je suis porté à croire, sans en avoir toutefois de démonstration rigoureuse.
Ainsi vos séries présenteraient le premier mode de convergence, mais non le second; elles pourraient donc servir au calcul à courte échéance, mais non à la démonstration de la stabilité. C’est dans ce sens qu’il faut entendre le dernier paragraphe de ma note du 24 Décembre.77endnote: 7 Voir Poincaré 1883, où Poincaré explique que même non-convergentes, les séries de Lindstedt permettent d’approximer avec autant de précision que l’on désire les solutions (Poincaré 1883, 1473) : “Mais, même si elles divergent, les séries de M. Lindstedt peuvent fournir une solution du problème avec une approximation indéfinie, c’est-à-dire que l’on peut trouver des séries convergentes dont les coefficients diffèrent aussi peu que l’on veut de ceux des séries de M. Lindstedt et dont la somme diffère aussi peu que l’on veut des distances mutuelles que l’on cherche à exprimer. C’est dans ce sens que la méthode de M. Lindstedt nous fournit une véritable solution du problème.” Vous trouverez dans les Comptes Rendus une note sur l’équation qui nous occupe et qui m’intéresse beaucoup; car, beaucoup plus simple que les équations des trois corps, elle présente cependant les mêmes particularités et il est probable que tout ce qu’on démontrera sur elle, s’applique sans peine au problème des trois corps.88endnote: 8 Poincaré 1884b.
Votre bien dévoué
Poincaré
ALSX 4p. Observatoire de Paris.
Time-stamp: "10.05.2019 21:49"
Notes
- 1 La première approximation est obtenue comme solution de l’équation sans second membre : est égal à .
- 2 La seconde approximation est obtenue en prenant comme second membre de l’équation et en fixant la valeur de de manière qu’il n’y ait pas de terme en (pour éviter les termes séculaires). Comme le terme ne comporte aucun terme en , on choisit . La solution générale de l’équation sera de la forme donnée par Poincaré en assurant que et .
- 3 La 3e approximation est obtenue en prenant comme second membre L’expression proposée par Poincaré est le développement à l’ordre 1 en posant .
- 4 Variante : “”. Le terme “” et les dénominateurs sont rayés.
- 5 Seuls les termes comportant un produit ou peuvent faire apparaître des termes en , soit les termes , , , . Le coefficient de sera qui est évidemment nul.
- 6 Le premier mode de convergence envisagé par Poincaré est le cas où la série (2) est une série (absolument) convergente de séries (absolument) convergentes. La série n’en est pas pour autant absolument convergente ; Poincaré parle alors de semi-convergence (Poincaré 1884a, 325–326) : “Jusqu’ici nous avons supposé que les séries que nous considérions étaient absolument convergentes. Il reste à examiner le cas de la semi-convergence qui peut se présenter dans des circonstances trop variées pour que je les énumère toutes ici. Je me bornerai au cas suivant qui me paraît être le seul qu’on puisse rencontrer dans les applications. Soit une série absolument convergente dont chaque terme est lui-même la somme d’une série trigonométrique absolument convergente. Il peut arriver que, lorsqu’on a affaire à une série de cette forme, il soit impossible de changer l’ordre des termes sans altérer la convergence ; il y a alors semi-convergence. On peut être conduit à une pareille série dans l’application des approximations successives. Supposons qu’en négligeant les carrés des masses on soit conduit à une série trigonométrique . Quand on tiendra compte ensuite des carrés, en négligeant les cubes, on verra qu’il faut ajouter à la série une autre série trigonométrique , et ainsi de suite. On sera ainsi amené à une série qui devra converger si la méthode peut donner une approximation indéfinie. C’est ce qui arrive dans la méthode de M. Lindstedt et dans d’autres analogues. Ces séries peuvent converger dans un petit intervalle de temps sans converger pour toutes les valeurs de . Je citerai comme exemple la série dont chaque terme peut manifestement s’écrire sous forme de série trigonométrique et qui n’est convergente que si J’ai lieu de penser que les séries de M. Lindstedt sont semi-convergentes de la façon que je viens de dire, mais non absolument convergentes, d’où il résulterait qu’elles ne représenteraient les distances mutuelles que pendant un intervalle de temps limité.”
- 7 Voir Poincaré 1883, où Poincaré explique que même non-convergentes, les séries de Lindstedt permettent d’approximer avec autant de précision que l’on désire les solutions (Poincaré 1883, 1473) : “Mais, même si elles divergent, les séries de M. Lindstedt peuvent fournir une solution du problème avec une approximation indéfinie, c’est-à-dire que l’on peut trouver des séries convergentes dont les coefficients diffèrent aussi peu que l’on veut de ceux des séries de M. Lindstedt et dont la somme diffère aussi peu que l’on veut des distances mutuelles que l’on cherche à exprimer. C’est dans ce sens que la méthode de M. Lindstedt nous fournit une véritable solution du problème.”
- 8 Poincaré 1884b.
Références
- Sur les séries trigonométriques. Comptes rendus hebdomadaires des séances de l’Académie des sciences de Paris 97 (26), pp. 1471–1473. link1 Cited by: endnote 7.
- Sur certaines solutions particulières du problème des trois corps. Bulletin astronomique 1, pp. 65–74. link1 Cited by: endnote 6.
- Sur les courbes définies par les équations différentielles. Comptes rendus hebdomadaires des séances de l’Académie des sciences de Paris 98 (5), pp. 287–289. link1 Cited by: endnote 8.