3-33-10. H. Poincaré à Anders Lindstedt
Paris, le 20 Avril 1884
Monsieur,
Le terme en
que vous rencontrez dans l’intégration de :
peut s’écrire :
C’est donc un terme en que l’on peut faire disparaître par un choix convenable de .
Quant à l’équation,
et en général à toutes les équations linéaires la théorie peut s’en
faire très simplement et on ne trouve de termes séculaires que dans
des cas très exceptionnels. Je me bornerai à vous
renvoyer aux
Astronomische Nachrichten N° 2547.11endnote:
1
Callandreau
(1883)
applique les résultats de la théorie
des équations différentielles à coefficients périodiques ou doublement
périodiques développée par Picard
(1880c,
1880b) et Floquet
(1883)
à l’équation différentielle linéaire du second ordre
(1)
Le point essentiel est la démonstration que l’équation (1)
admet des solutions périodiques de seconde espèce, c’est-à-dire,
vérifiant
Callandreau termine sa note en montrant que les coefficients de
Fourier sont des fonctions holomorphes des coefficients et d’un
terme obtenu par l’équation , où est une
solution paire de l’équation (1). L’analyse proposée par Callandreau
est analogue à celle exposée par Poincaré dans sa lettre à Lindstedt
du 25 août 1883 (§ 3-33-4) et par
Tisserand dans son Traité de
mécanique céleste (Tisserand 1894, chap. 1). Il est donc
probable que les termes en disparaissent toujours et que par
conséquent votre méthode n’est pas soumise à la restriction que vous
énoncez dans votre lettre et qui en amoindrirait considérablement la
portée. Mais cela mériterait démonstration ou tout au moins
vérification.22endnote:
2
Poincaré proposera deux preuves que
l’algorithme de Lindstedt peut être indéfiniment poursuivi (1893, 16):
“On constate aisément que la méthode est applicable dans les
premières approximations, mais on peut se demander si l’on ne sera
pas arrêté dans les approximations suivantes ; M. Lindstedt n’avait
pu l’établir rigoureusement et conservait même à ce sujet quelques
doutes. Ces doutes n’étaient pas fondés et sa belle méthode est
toujours légitime ; je l’ai démontré d’abord par l’emploi des
invariants intégraux […], puis sans me servir de ces invariants
[…].”
Dans son article “Sur une méthode de M. Lindstedt,” Poincaré
décrit la méthode de Lindstedt comme la
résolution d’une succession d’équations de la forme
où et sont des séries trigonométriques, et il faut
déterminer de telle manière que l’équation puisse être
satisfaite par une série trigonométrique (1886, 59):
“Il est aisé de voir comment il faut déterminer ; en effet, pour que l’équation
où le second membre est une série trigonométrique en et
puisse être satisfaite par une série trigonométrique , il faut et
il suffit que ne contienne ni terme en , ni terme en
. or nous pouvons disposer de , de façon à détruire les
termes en ; mais nous ne pourrions pas de même détruire les
termes en , s’il y en avait dans .”
Pour montrer qu’il n’apparaît pas de terme en sinus, Poincaré utilise
une preuve par l’absurde fondée sur le théorème de
Green-Ostrogradski. Cette preuve est typique du style
géométrico-physique de Poincaré en analyse. Il suppose qu’à la
e approximation un terme en sinus apparaisse dans
et qu’il faille donc résoudre une équation du type :
“en choisissant de façon à détruire les termes en
dans le second membre”. La solution sera encore une série
trigonométrique en et (mais ne permet plus de poursuivre
l’algorithme). Poincaré pose :
Il note la surface décrite par le point quand et
parcourt l’intervalle . À l’aide de la forme de
Green-Ostrogradski, il montre que l’intégrale
où et
est le champs normal à . Poincaré en conclut que les
coefficients du développement par rapport à de l’intégrale
sont nécessairement nuls (1886, 61):
“Notre intégrale devant être nulle, quel que soit , les
coefficients des diverses puissances de dans le
développement de cette intégrale devront être nuls, et ce sera vrai,
en particulier, du coefficient de : on devra donc avoir
et, comme est essentiellement positif, cela ne peut
avoir lieu que si est nul. Donc, dans la méthode de M. Lindstedt,
aucune des approximations n’introduira de terme en ; donc la
méthode n’est jamais en défaut. […]
La même analyse pourrait s’étendre aux équations plus générales
considérées par M. Lindstedt, mais j’ai à peine besoin de dire que la
question de la convergence est toujours réservée.”
Quelques années plus tard, dans le cadre de ses travaux préparatoires
pour son mémoire présenté pour le concours du roi de Suède, Poincaré
aborde l’étude des équations différentielles
(2)
où n’est pas rationnel, est un paramètre petit et
s’écrit sous la forme d’une série trigonométrique
en rattachant la méthode de Lindstedt aux principes des
Vorlesungen über Dynamik de Jacobi. Dans un premier temps,
Poincaré transforme l’équation (2) en un système d’équations
d’Hamilton (1889, 21–22):
“Nous pouvons remplacer l’équation (2) par les suivantes :
En posant
il vient
,
,
,
auxquelles on peut joindre (puisque est une variable auxiliaire complètement arbitraire)
.”
En utilisant un changement de variables, l’hamiltonien s’écrit :
et les équations s’écrivent sous forme canonique. Suivant la théorie
de Jacobi, le problème revient alors à intégrer l’équation aux
dérivées partielles où “l’on regarde et comme
les dérivées d’une même fonction et où est une constante
arbitraire”. Poincaré obtient un développement de par rapport
à (1889, 24):
“Nous possédons donc sous la forme d’une fonction trigonométrique
de et , dépendant en outre de deux constantes arbitraires
[…].
Il est aisé d’en déduire les séries de M. Lindstedt sous la forme que le savant astronome leur a donnée.
On remarquera que cette méthode d’exposition met en évidence la forme
purement trigonométrique de la solution, sans qu’on soit obligé de
recourir au théorème de Green et à l’artifice que j’ai employé dans le
Bulletin astronomique pour démontrer la légitimité de la
méthode de M. Lindstedt.”
Poincaré choisira d’exposer la seconde démonstration dans le deuxième
tome des Méthodes nouvelles de la mécanique céleste.
Quant aux équations
elles n’ont été intégrées, à ma connaissance, que dans quelques cas très simples et pour ainsi dire classiques que vous devez connaître.33endnote: 3 Dans le cadre de son étude des équations différentielles à coefficients doublement périodiques, Picard (1880a) avait publié une note dans laquelle il se proposait d’appliquer aux équations différentielles du second ordre à coefficients doublement périodiques la “méthode très remarquable [de Klein] pour reconnaître si une équation différentielle linéaire du second ordre, à coefficients rationnels, peut ou non être intégrée complétement au moyen des fonctions algébriques”.
J’ai l’intention de me restreindre pour le moment à l’étude de l’équation :
Il me paraît en effet que cette équation présente toutes les difficultés essentielles du problème des trois corps, tout en étant exempte de certaines complications de ce problème, qui ne touchent pas au fond des choses et qui embrouillent inutilement la pensée.
Veuillez agréer, Monsieur, l’assurance de ma considération la plus distinguée,
Poincaré
ALSX 3p. Observatoire de Paris.
Time-stamp: " 8.06.2019 16:56"
Notes
- 1 Callandreau (1883) applique les résultats de la théorie des équations différentielles à coefficients périodiques ou doublement périodiques développée par Picard (1880c, 1880b) et Floquet (1883) à l’équation différentielle linéaire du second ordre (1) Le point essentiel est la démonstration que l’équation (1) admet des solutions périodiques de seconde espèce, c’est-à-dire, vérifiant Callandreau termine sa note en montrant que les coefficients de Fourier sont des fonctions holomorphes des coefficients et d’un terme obtenu par l’équation , où est une solution paire de l’équation (1). L’analyse proposée par Callandreau est analogue à celle exposée par Poincaré dans sa lettre à Lindstedt du 25 août 1883 (§ 3-33-4) et par Tisserand dans son Traité de mécanique céleste (Tisserand 1894, chap. 1).
- 2 Poincaré proposera deux preuves que l’algorithme de Lindstedt peut être indéfiniment poursuivi (1893, 16): “On constate aisément que la méthode est applicable dans les premières approximations, mais on peut se demander si l’on ne sera pas arrêté dans les approximations suivantes ; M. Lindstedt n’avait pu l’établir rigoureusement et conservait même à ce sujet quelques doutes. Ces doutes n’étaient pas fondés et sa belle méthode est toujours légitime ; je l’ai démontré d’abord par l’emploi des invariants intégraux […], puis sans me servir de ces invariants […].” Dans son article “Sur une méthode de M. Lindstedt,” Poincaré décrit la méthode de Lindstedt comme la résolution d’une succession d’équations de la forme où et sont des séries trigonométriques, et il faut déterminer de telle manière que l’équation puisse être satisfaite par une série trigonométrique (1886, 59): “Il est aisé de voir comment il faut déterminer ; en effet, pour que l’équation où le second membre est une série trigonométrique en et puisse être satisfaite par une série trigonométrique , il faut et il suffit que ne contienne ni terme en , ni terme en . or nous pouvons disposer de , de façon à détruire les termes en ; mais nous ne pourrions pas de même détruire les termes en , s’il y en avait dans .” Pour montrer qu’il n’apparaît pas de terme en sinus, Poincaré utilise une preuve par l’absurde fondée sur le théorème de Green-Ostrogradski. Cette preuve est typique du style géométrico-physique de Poincaré en analyse. Il suppose qu’à la e approximation un terme en sinus apparaisse dans et qu’il faille donc résoudre une équation du type : “en choisissant de façon à détruire les termes en dans le second membre”. La solution sera encore une série trigonométrique en et (mais ne permet plus de poursuivre l’algorithme). Poincaré pose : Il note la surface décrite par le point quand et parcourt l’intervalle . À l’aide de la forme de Green-Ostrogradski, il montre que l’intégrale où et est le champs normal à . Poincaré en conclut que les coefficients du développement par rapport à de l’intégrale sont nécessairement nuls (1886, 61): “Notre intégrale devant être nulle, quel que soit , les coefficients des diverses puissances de dans le développement de cette intégrale devront être nuls, et ce sera vrai, en particulier, du coefficient de : on devra donc avoir et, comme est essentiellement positif, cela ne peut avoir lieu que si est nul. Donc, dans la méthode de M. Lindstedt, aucune des approximations n’introduira de terme en ; donc la méthode n’est jamais en défaut. […] La même analyse pourrait s’étendre aux équations plus générales considérées par M. Lindstedt, mais j’ai à peine besoin de dire que la question de la convergence est toujours réservée.” Quelques années plus tard, dans le cadre de ses travaux préparatoires pour son mémoire présenté pour le concours du roi de Suède, Poincaré aborde l’étude des équations différentielles (2) où n’est pas rationnel, est un paramètre petit et s’écrit sous la forme d’une série trigonométrique en rattachant la méthode de Lindstedt aux principes des Vorlesungen über Dynamik de Jacobi. Dans un premier temps, Poincaré transforme l’équation (2) en un système d’équations d’Hamilton (1889, 21–22): “Nous pouvons remplacer l’équation (2) par les suivantes : En posant il vient , , , auxquelles on peut joindre (puisque est une variable auxiliaire complètement arbitraire) .” En utilisant un changement de variables, l’hamiltonien s’écrit : et les équations s’écrivent sous forme canonique. Suivant la théorie de Jacobi, le problème revient alors à intégrer l’équation aux dérivées partielles où “l’on regarde et comme les dérivées d’une même fonction et où est une constante arbitraire”. Poincaré obtient un développement de par rapport à (1889, 24): “Nous possédons donc sous la forme d’une fonction trigonométrique de et , dépendant en outre de deux constantes arbitraires […]. Il est aisé d’en déduire les séries de M. Lindstedt sous la forme que le savant astronome leur a donnée. On remarquera que cette méthode d’exposition met en évidence la forme purement trigonométrique de la solution, sans qu’on soit obligé de recourir au théorème de Green et à l’artifice que j’ai employé dans le Bulletin astronomique pour démontrer la légitimité de la méthode de M. Lindstedt.” Poincaré choisira d’exposer la seconde démonstration dans le deuxième tome des Méthodes nouvelles de la mécanique céleste.
- 3 Dans le cadre de son étude des équations différentielles à coefficients doublement périodiques, Picard (1880a) avait publié une note dans laquelle il se proposait d’appliquer aux équations différentielles du second ordre à coefficients doublement périodiques la “méthode très remarquable [de Klein] pour reconnaître si une équation différentielle linéaire du second ordre, à coefficients rationnels, peut ou non être intégrée complétement au moyen des fonctions algébriques”.
Références
- Sur une équation différentielle de la théorie des perturbations et remarques relatives aux Nos 2389 et 2435 des A. N.. Astronomische Nachrichten 107 (2547), pp. 33–38. Cited by: endnote 1.
- Sur les équations linéaires à coefficients périodiques. Annales scientifiques de l’École normale supérieure 12, pp. 47–88. Cited by: endnote 1.
- Sur certaines équations différentielles linéaires du second ordre. Comptes rendus hebdomadaires des séances de l’Académie des sciences de Paris 90, pp. 1479–1482. Cited by: endnote 3.
- Sur les équations différentielles linéaires à coefficients doublement périodiques. Comptes rendus hebdomadaires des séances de l’Académie des sciences de Paris 90, pp. 293–295. Cited by: endnote 1.
- Sur une classe d’équations différentielles linéaires. Comptes rendus hebdomadaires des séances de l’Académie des sciences de Paris 90, pp. 128–131. Cited by: endnote 1.
- Sur une méthode de M. Lindstedt. Bulletin astronomique 3, pp. 57–61. link1 Cited by: endnote 2.
- Sur les séries de M. Lindstedt. Comptes rendus hebdomadaires des séances de l’Académie des sciences de Paris 108, pp. 21–24. link1 Cited by: endnote 2.
- Les méthodes nouvelles de la mécanique céleste, Volume 2. Gauthier-Villars, Paris. link1 Cited by: endnote 2.
- Traité de mécanique céleste, Volume 3. Gauthier-Villars, Paris. link1 Cited by: endnote 1.