1-1-164. Gösta Mittag-Leffler à H. Poincaré

[15/10/1900]

Mon cher ami,

A Paris et à Aachen au congrès des naturalistes allemands j’ai parlé avec quelques uns de mes amis dans le monde des mathématiques d’une nouvelle publication que je crois lui donner d’un grand intérêt scientifique.11endnote: 1 La réunion de l’Association allemande des Naturalistes et des Physiciens s’est déroulée à Aix la Chapelle à partir du 17 septembre 1900. Je considère publier une collection autohistorique scientifique des premiers géomètres maintenant vivants. Chaque auteur doit écrire un compte rendu de ses travaux22endnote: 2 Variante: “…un compte rendu de tous ses travaux”. dans le genre de celui qu’on a l’habitude de publier en France, quand on pose sa candidature à l’Institut, sous le titre “Notice sur mes travaux scientifiques”.

La publication doit se faire en cahiers contenant chacun deux ou trois géomètres et paraissant à des intervalles irréguliers d’après ce que le matériel me parvient. Chaque auteur doit donner une bibliographie complète de tous ses travaux ainsi qu’une courte notice sur les principaux dates de sa vie.

Je pense que M. Gauthier acceptera de devenir l’éditeur. Sinon je ferai la publication ici.33endnote: 3 Cette publication ne verra jamais le jour. Néanmoins, grâce à cette initiative, nous bénéficions de la très riche Analyse des travaux scientifiques de Henri Poincaré par lui-même (1921) qui aurait dû être la contribution de Poincaré à ce projet de Mittag-Leffler. Mittag-Leffler avait aussi demandé à Hermite sa participation à ce projet. Dans sa réponse datée du 24 octobre 1900, Hermite expose les raisons de son refus : Je suis tout préoccupé de la grande et importante entreprise, dont vous m’avez fait part, de réunir et publier des notices de tous les géomètres vivants sur leurs travaux, qu’ils écriraient eux-mêmes, du favorable accueil que vous avez déjà trouvé à Paris, au congrès des naturalistes à Aachen, mais principalement et par dessus tout du concours effectif que vous me demandez pour votre œuvre. Je n’ai rien à vous refuser, je vous suis trop étroitement lié dans le domaine scientifique, pour ne pas me faire un devoir de répondre autant qu’il m’est possible à votre appel et si je viens vous faire part des difficultés qui se dressent devant moi, je le fais comme me parlant à moi-même, et vous en serez juge.
Le travail est immense, vous le reconnaissez ; vous sentez bien que mes forces n’y suffiraient pas, mais vous croyez qu’il me serait facile d’avoir des auxiliaires jeunes et dévoués qui m’aideraient à l’accomplir. Je n’ai personne hélas, absolument personne, et il resterait entièrement à ma charge. Ce ne sont ni les élèves ni les amis qui me manquent, mais ni les uns, ni les autres n’ont la possibilité de me prêter leur assistance. […] Aussi je viens vous demander de bien peser tout ce qui précède en tenant compte en même temps des 79 ans auxquels je touche, des misères de santé que l’âge amène. Ne serait-il pas possible de réduire le travail à entreprendre, ne pourriez-vous pas vous contenter avec la reproduction de mes publications, faites par la commission de la Société Royale de Londres, à laquelle je joindrai quelques remarques, autant que je pourrais le faire ? (Dugac 1989, 66)
Mittag-Leffler avait rédigé une lettre circulaire exposant son projet. Les premiers destinataires furent Darboux (Brefkoncept 2675), Jordan (Brefkoncept 2676), Cremona (Brefkoncept 2677), Dini (Brefkoncept 2678). La réponse de Jordan, empreinte d’un humour certain, est assez décourageante: Je vous prie de m’excuser si je n’ai pas répondu plus tôt à la circulaire par laquelle vous m’annonciez l’intention de publier une collection de notices faites sur leurs travaux par les principaux géomètres contemporains. […] Votre projet serait fort intéressant, une fois accompli ; mais j’entrevois bien des obstacles à sa réalisation. Que d’ennemis vous allez vous faire ! 1° Ceux à qui vous ne vous serez pas adressé 2° Ceux dont vous aurez dû restreindre les notices pour les ramener à des limites plus raisonnables que celles que leur amour propre leur aura suggéré, etc. Il vous faudra pour mener votre œuvre à bien, un courage et une énergie dont je serais bien incapable ; mais j’applaudirai sans réserve à votre succès. Quant à ce qui concerne ma collaboration personnelle c’est un bien gros travail que vous me demandez ; il ne m’est pas possible de m’y livrer en ce moment ; je vous demande donc la permission de me réserver. (Lettre de Jordan à Mittag-Leffler datée du 28 novembre 1900 — IML). La réaction de Picard à la demande de Mittag-Leffler n’est guère enthousiaste: Peut-être dans un an me sera-t-il possible de faire cette notice, quoique ce genre d’exercice, où au fond on songe surtout à faire son propre éloge, ne me plaise guère. Je le ferai cependant, si cela doit vous être agréable. (Lettre de Picard à Mittag-Leffler datée du 31 octobre 1900 — IML) Darboux reste aussi dans l’expectative comme il l’écrit à Mittag-Leffler: “Au commencement, c’était l’argument même de votre lettre qui m’embarrassait au plus haut degré. L’esprit de l’entreprise m’était difficile à saisir, il me semblait pénible et d’une utilité douteuse d’évoquer des idées très anciennes et presque ensevelies sous l’énorme masse de résultats dus aux chercheurs postérieurs. Enfin je croyais qu’il aurait été plus facile à des jeunes mathématiciens de présenter en résumé l’histoire des travaux de leurs maîtres et devanciers. Dans ces hésitations, je disais à M. Volterra qui me poussait de votre part : je voudrais voir paraître le premier volume de la publication imaginée par M. Mittag-Leffler, et après je verrai ce qu’il me sera possible de faire.” (Darboux à Mittag-Leffler, 5 août 1901, IML) Hilbert, bien que flatté par la demande de Mittag-Leffler, refuse de rédiger sa biographie scientifique faute de temps. Par contre, il encourage Klein à écrire la sienne: “Klein habe ich zur Abfassung seiner Selbstbiographie sehr zugeredet ; ich hoffe ihn auch in der That dazu bewegen zu können, falls er eine geeignete Kraft findet, die ihm die Daten zusammenträgt und bei der Abfassung behilflich ist.” (Hilbert à Mittag-Leffler, 29 décembre 1900, IML) Comme Poincaré, Appell soutient le nouveau projet de Mittag-Leffler et propose son aide pour organiser la rédaction de la notice de Hermite: “Votre idée me paraît très bonne. Une publication de ce genre aurait, au bout de quelques années, un intérêt inestimable au point de vue de l’histoire de la Science et du développement des idées des divers géomètres. Si Gauthier Villars s’en charge, il pourra notamment à chaque élection Académique en France publier les Notices des candidat dans le Recueil. Vous pouvez être assuré de ma collaboration.” (Appell à Mittag-Leffler, 19 octobre 1900, IML) Dans sa lettre datée du 18 novembre 1900, Appell propose à Mittag-Leffler un partage entre divers mathématiciens de l’analyse des œuvres de Hermite: “La question des œuvres d’Hermite est évidemment le point capital de votre entreprise ; il serait extrêmement utile que l’Analyse en soit faite du vivant de l’illustre mathématicien. Je crois qu’on y arriverait assez vite en partageant le travail, mais il faut évidemment que tous les mathématiciens Français s’y mettent. Ce ne sont pas deux ou trois personnes qui viendraient à bout d’un pareil travail. Voici comment on pourrait partager suivant les spécialités. Arithmétique – Algèbre Poincaré – Picard Théorie des fonctions Borel Equations différentielles en général Painlevé Intégrales de fonctions algébriques et équations aux dérivées partielles Goursat Fonctions Abéliennes Humbert Fonctions continues, algébriques, Polynomes de Legendre et analogues, Fonctions hypergéométriques Padé à Lille Fonctions elliptiques et applications à l’arithmétique, à la Géométrie, à la Mécanique Tannery, Appell et [illisible] Voilà un essai de répertoire. Il est clair que chacun pourra se faire aider par ses élèves ou collègues. Poincaré peut se faire aider par Hadamard, Picard par Drach ou Cartan, etc.” (Appell à Mittag-Leffler, 18 novembre 1900, IML) Mittag-Leffler répond le 22 novembre à Appell et approuve avec enthousiasme la proposition de Appell: “Je trouve votre plan pour partager le travail pour les œuvres de Hermite excellent. Je pense qu’il faut parler d’abord aux collaborateurs que vous proposez et puis s’adresser à M. Hermite lui-même. C’est évident qu’il acceptera avec reconnaissance. Il voit très bien, je pense, qu’un travail exécuté dans ces conditions fera son immortalité. C’est une œuvre plus importante que la publication de ses œuvres complètes. Est-ce-que vous seriez donc assez bon pour parler avec tout ce monde que vous indiquez et de parler après avec Hermite lui-même. Il écoutera à vous mieux qu’à chaque autre et il sera très touché de voir que vous et Poincaré vous voulez prendre sur vous une partie très lourde du travail.” (Appell à Mittag-Leffler, 22.11.1900, IML, Brefkoncept 2738) Malheureusement, Hermite n’approuvera pas ce projet en préférant qu’un tel travail s’effectue après sa mort: “Il se présente une difficulté pour M. Hermite. Picard me dit que M. Hermite préfère que la notice sur ses travaux nne soit pas faite de son vivant. Ou du moins, Picard croit que M. Hermite le préfère.” (Appell à Mittag-Leffler non datée (entre le 22/11 et le 10/12/1900), IML) Après l’élection de Painlevé à l’Académie des Sciences (10 décembre 1900), Mittag-Leffler espère que son intervention directe auprès de Hermite permettra de le convaincre. “Appell m’écrit qu’il vous priera de parler avec Hermite après l’élection sur son autobiographie. […] Hermite veut bien, mais Picard travaille contre. Picard m’écrit qu’il lui est très peu sympathique de faire un travail de cette nature qui n’a pas d’autre but que de se glorifier soi-même. On doit plutôt laisser cette besogne à d’autres. Vous comprenez bien lequel de nos amis qu’il veut atteindre par cette phrase perfide. Maintenant, il donne le conseil à Hermite de ne faire rien dans sa vie mais de laisser le comité projeté par Appell de faire le travail après sa mort. Mais alors nous n’aurons plus une autobiographie et l’idée essentielle est gâtée. Tachez, je vous en prie, de faire comprendre cela à Hermite. Tachez de lui faire voir l’intérêt qu’il y a pour l’auteur d’exposer lui-même l’idée de son travail, ce qu’il a [1 mot illisible] faire chaque fois et qu’il ne s’agit nullement de se glorifier soi-même mais de faire comprendre aux autres l’idée interne de sa pensée. Hermite pourra en même temps jeter tant de fleurs qu’il voudra devant les pieds de ses amis. Pensez quelle occasion pour lui de parler bien et de dire de belles choses sur tous les mathématiciens vivants et morts. Il ne doit pas perdre une telle occasion. Aidé par la commission proposée par Appell, le travail lui sera facile et agréable. Il faut absolument gagner cette bataille sur Picard. Poincaré commencera la collection. Il est déjà au travail. Dans le même volume paraîtront ou Fuchs ou Klein ou tous les deux. Mon idée a eu un plein succès partout. Il n’y a guère d’autres que Darboux et Camille Jordan qui se tiennent à la réserve.” (Mittag-Leffler à Painlevé, 14 décembre, 1900, IML, Brefkoncept 2758)

Je m’adresse maintenant à vous en premier lieu pour vous demander si vous voulez bien me donner votre appui en écrivant pour moi un compte rendu de vos travaux, dans le genre de celui que vous avez publié jadis mais plus complet.44endnote: 4 Une variante intéressante a lieu ici, qui précise la pensée de Mittag-Leffler: “…dans le genre de celui que vous avez publié jadis dans le Temps mais plus complèt.” Mittag-Leffler se réfère au compte-rendu anonyme paru au journal parisien Le Temps le 5 mai 1886, à l’occasion de la publication du mémoire de Poincaré sur l’équilibre d’une masse fluide en rotation dans les Acta mathematica (Poincaré 1885). Le manuscrit du compte-rendu – rédigé par Poincaré – fut retrouvé et édité au tome 3 de la Correspondance (§ 3-48-1).

J’espère que vous ne me refuserez pas cette prière. Tout le monde avec lequel j’ai parlé trouve mon idée excellente et attend un résultat scientifique considérable*.

Veuillez présenter les hommages de Madame Mittag-Leffler et de moi-même à Madame Poincaré et agréez vous-même je vous en prie, l’expression de mon amitié sincère et reconnaissante.

M. L.

* Veuillez regarder cette lettre comme tout à fait confidentielle.

ADftS 2p. IML 2680, Mittag-Leffler Archives, Djursholm.

Time-stamp: "13.08.2019 17:17"

Notes

  • 1 La réunion de l’Association allemande des Naturalistes et des Physiciens s’est déroulée à Aix la Chapelle à partir du 17 septembre 1900.
  • 2 Variante: “…un compte rendu de tous ses travaux”.
  • 3 Cette publication ne verra jamais le jour. Néanmoins, grâce à cette initiative, nous bénéficions de la très riche Analyse des travaux scientifiques de Henri Poincaré par lui-même (1921) qui aurait dû être la contribution de Poincaré à ce projet de Mittag-Leffler. Mittag-Leffler avait aussi demandé à Hermite sa participation à ce projet. Dans sa réponse datée du 24 octobre 1900, Hermite expose les raisons de son refus : Je suis tout préoccupé de la grande et importante entreprise, dont vous m’avez fait part, de réunir et publier des notices de tous les géomètres vivants sur leurs travaux, qu’ils écriraient eux-mêmes, du favorable accueil que vous avez déjà trouvé à Paris, au congrès des naturalistes à Aachen, mais principalement et par dessus tout du concours effectif que vous me demandez pour votre œuvre. Je n’ai rien à vous refuser, je vous suis trop étroitement lié dans le domaine scientifique, pour ne pas me faire un devoir de répondre autant qu’il m’est possible à votre appel et si je viens vous faire part des difficultés qui se dressent devant moi, je le fais comme me parlant à moi-même, et vous en serez juge. Le travail est immense, vous le reconnaissez ; vous sentez bien que mes forces n’y suffiraient pas, mais vous croyez qu’il me serait facile d’avoir des auxiliaires jeunes et dévoués qui m’aideraient à l’accomplir. Je n’ai personne hélas, absolument personne, et il resterait entièrement à ma charge. Ce ne sont ni les élèves ni les amis qui me manquent, mais ni les uns, ni les autres n’ont la possibilité de me prêter leur assistance. […] Aussi je viens vous demander de bien peser tout ce qui précède en tenant compte en même temps des 79 ans auxquels je touche, des misères de santé que l’âge amène. Ne serait-il pas possible de réduire le travail à entreprendre, ne pourriez-vous pas vous contenter avec la reproduction de mes publications, faites par la commission de la Société Royale de Londres, à laquelle je joindrai quelques remarques, autant que je pourrais le faire ? (Dugac 1989, 66) Mittag-Leffler avait rédigé une lettre circulaire exposant son projet. Les premiers destinataires furent Darboux (Brefkoncept 2675), Jordan (Brefkoncept 2676), Cremona (Brefkoncept 2677), Dini (Brefkoncept 2678). La réponse de Jordan, empreinte d’un humour certain, est assez décourageante: Je vous prie de m’excuser si je n’ai pas répondu plus tôt à la circulaire par laquelle vous m’annonciez l’intention de publier une collection de notices faites sur leurs travaux par les principaux géomètres contemporains. […] Votre projet serait fort intéressant, une fois accompli ; mais j’entrevois bien des obstacles à sa réalisation. Que d’ennemis vous allez vous faire ! 1° Ceux à qui vous ne vous serez pas adressé 2° Ceux dont vous aurez dû restreindre les notices pour les ramener à des limites plus raisonnables que celles que leur amour propre leur aura suggéré, etc. Il vous faudra pour mener votre œuvre à bien, un courage et une énergie dont je serais bien incapable ; mais j’applaudirai sans réserve à votre succès. Quant à ce qui concerne ma collaboration personnelle c’est un bien gros travail que vous me demandez ; il ne m’est pas possible de m’y livrer en ce moment ; je vous demande donc la permission de me réserver. (Lettre de Jordan à Mittag-Leffler datée du 28 novembre 1900 — IML). La réaction de Picard à la demande de Mittag-Leffler n’est guère enthousiaste: Peut-être dans un an me sera-t-il possible de faire cette notice, quoique ce genre d’exercice, où au fond on songe surtout à faire son propre éloge, ne me plaise guère. Je le ferai cependant, si cela doit vous être agréable. (Lettre de Picard à Mittag-Leffler datée du 31 octobre 1900 — IML) Darboux reste aussi dans l’expectative comme il l’écrit à Mittag-Leffler: “Au commencement, c’était l’argument même de votre lettre qui m’embarrassait au plus haut degré. L’esprit de l’entreprise m’était difficile à saisir, il me semblait pénible et d’une utilité douteuse d’évoquer des idées très anciennes et presque ensevelies sous l’énorme masse de résultats dus aux chercheurs postérieurs. Enfin je croyais qu’il aurait été plus facile à des jeunes mathématiciens de présenter en résumé l’histoire des travaux de leurs maîtres et devanciers. Dans ces hésitations, je disais à M. Volterra qui me poussait de votre part : je voudrais voir paraître le premier volume de la publication imaginée par M. Mittag-Leffler, et après je verrai ce qu’il me sera possible de faire.” (Darboux à Mittag-Leffler, 5 août 1901, IML) Hilbert, bien que flatté par la demande de Mittag-Leffler, refuse de rédiger sa biographie scientifique faute de temps. Par contre, il encourage Klein à écrire la sienne: “Klein habe ich zur Abfassung seiner Selbstbiographie sehr zugeredet ; ich hoffe ihn auch in der That dazu bewegen zu können, falls er eine geeignete Kraft findet, die ihm die Daten zusammenträgt und bei der Abfassung behilflich ist.” (Hilbert à Mittag-Leffler, 29 décembre 1900, IML) Comme Poincaré, Appell soutient le nouveau projet de Mittag-Leffler et propose son aide pour organiser la rédaction de la notice de Hermite: “Votre idée me paraît très bonne. Une publication de ce genre aurait, au bout de quelques années, un intérêt inestimable au point de vue de l’histoire de la Science et du développement des idées des divers géomètres. Si Gauthier Villars s’en charge, il pourra notamment à chaque élection Académique en France publier les Notices des candidat dans le Recueil. Vous pouvez être assuré de ma collaboration.” (Appell à Mittag-Leffler, 19 octobre 1900, IML) Dans sa lettre datée du 18 novembre 1900, Appell propose à Mittag-Leffler un partage entre divers mathématiciens de l’analyse des œuvres de Hermite: “La question des œuvres d’Hermite est évidemment le point capital de votre entreprise ; il serait extrêmement utile que l’Analyse en soit faite du vivant de l’illustre mathématicien. Je crois qu’on y arriverait assez vite en partageant le travail, mais il faut évidemment que tous les mathématiciens Français s’y mettent. Ce ne sont pas deux ou trois personnes qui viendraient à bout d’un pareil travail. Voici comment on pourrait partager suivant les spécialités. Arithmétique – Algèbre Poincaré – Picard Théorie des fonctions Borel Equations différentielles en général Painlevé Intégrales de fonctions algébriques et équations aux dérivées partielles Goursat Fonctions Abéliennes Humbert Fonctions continues, algébriques, Polynomes de Legendre et analogues, Fonctions hypergéométriques Padé à Lille Fonctions elliptiques et applications à l’arithmétique, à la Géométrie, à la Mécanique Tannery, Appell et [illisible] Voilà un essai de répertoire. Il est clair que chacun pourra se faire aider par ses élèves ou collègues. Poincaré peut se faire aider par Hadamard, Picard par Drach ou Cartan, etc.” (Appell à Mittag-Leffler, 18 novembre 1900, IML) Mittag-Leffler répond le 22 novembre à Appell et approuve avec enthousiasme la proposition de Appell: “Je trouve votre plan pour partager le travail pour les œuvres de Hermite excellent. Je pense qu’il faut parler d’abord aux collaborateurs que vous proposez et puis s’adresser à M. Hermite lui-même. C’est évident qu’il acceptera avec reconnaissance. Il voit très bien, je pense, qu’un travail exécuté dans ces conditions fera son immortalité. C’est une œuvre plus importante que la publication de ses œuvres complètes. Est-ce-que vous seriez donc assez bon pour parler avec tout ce monde que vous indiquez et de parler après avec Hermite lui-même. Il écoutera à vous mieux qu’à chaque autre et il sera très touché de voir que vous et Poincaré vous voulez prendre sur vous une partie très lourde du travail.” (Appell à Mittag-Leffler, 22.11.1900, IML, Brefkoncept 2738) Malheureusement, Hermite n’approuvera pas ce projet en préférant qu’un tel travail s’effectue après sa mort: “Il se présente une difficulté pour M. Hermite. Picard me dit que M. Hermite préfère que la notice sur ses travaux nne soit pas faite de son vivant. Ou du moins, Picard croit que M. Hermite le préfère.” (Appell à Mittag-Leffler non datée (entre le 22/11 et le 10/12/1900), IML) Après l’élection de Painlevé à l’Académie des Sciences (10 décembre 1900), Mittag-Leffler espère que son intervention directe auprès de Hermite permettra de le convaincre. “Appell m’écrit qu’il vous priera de parler avec Hermite après l’élection sur son autobiographie. […] Hermite veut bien, mais Picard travaille contre. Picard m’écrit qu’il lui est très peu sympathique de faire un travail de cette nature qui n’a pas d’autre but que de se glorifier soi-même. On doit plutôt laisser cette besogne à d’autres. Vous comprenez bien lequel de nos amis qu’il veut atteindre par cette phrase perfide. Maintenant, il donne le conseil à Hermite de ne faire rien dans sa vie mais de laisser le comité projeté par Appell de faire le travail après sa mort. Mais alors nous n’aurons plus une autobiographie et l’idée essentielle est gâtée. Tachez, je vous en prie, de faire comprendre cela à Hermite. Tachez de lui faire voir l’intérêt qu’il y a pour l’auteur d’exposer lui-même l’idée de son travail, ce qu’il a [1 mot illisible] faire chaque fois et qu’il ne s’agit nullement de se glorifier soi-même mais de faire comprendre aux autres l’idée interne de sa pensée. Hermite pourra en même temps jeter tant de fleurs qu’il voudra devant les pieds de ses amis. Pensez quelle occasion pour lui de parler bien et de dire de belles choses sur tous les mathématiciens vivants et morts. Il ne doit pas perdre une telle occasion. Aidé par la commission proposée par Appell, le travail lui sera facile et agréable. Il faut absolument gagner cette bataille sur Picard. Poincaré commencera la collection. Il est déjà au travail. Dans le même volume paraîtront ou Fuchs ou Klein ou tous les deux. Mon idée a eu un plein succès partout. Il n’y a guère d’autres que Darboux et Camille Jordan qui se tiennent à la réserve.” (Mittag-Leffler à Painlevé, 14 décembre, 1900, IML, Brefkoncept 2758)
  • 4 Une variante intéressante a lieu ici, qui précise la pensée de Mittag-Leffler: “…dans le genre de celui que vous avez publié jadis dans le Temps mais plus complèt.” Mittag-Leffler se réfère au compte-rendu anonyme paru au journal parisien Le Temps le 5 mai 1886, à l’occasion de la publication du mémoire de Poincaré sur l’équilibre d’une masse fluide en rotation dans les Acta mathematica (Poincaré 1885). Le manuscrit du compte-rendu – rédigé par Poincaré – fut retrouvé et édité au tome 3 de la Correspondance (§ 3-48-1).

Références

  • P. Dugac (1989) Lettres de Charles Hermite à Gösta Mittag-Leffler (1892–1900). Cahiers du séminaire d’histoire des mathématiques 10, pp. 1–82. link1 Cited by: endnote 3.
  • H. Poincaré (1885) Sur l’équilibre d’une masse fluide animée d’un mouvement de rotation. Acta mathematica 7 (1), pp. 259–380. link1 Cited by: endnote 4.
  • H. Poincaré (1921) Analyse des travaux scientifiques de Henri Poincaré faite par lui-même. Acta mathematica 38, pp. 1–135. link1 Cited by: endnote 3.