1-1-74. Gösta Mittag-Leffler à H. Poincaré

Stockholm 21/12 188811endnote: 1 Cette lettre est recopiée par un copiste. Outre l’original, on dispose du brouillon (Brefkoncept 1177).

Mon cher ami,

Merci mille fois de vos deux notes qui m’étaient très bienvenues.

Maintenant je vous prierai de vouloir bien m’envoyer une enveloppe cachetée dans laquelle doit se trouver votre nom et votre adresse.

Je vous prierai de plus de vouloir bien m’expliquer plus en détail qu’il est fait dans votre mémoire, votre théorème qu’il n’existe point en général d’autres intégrales uniformes que celle de la force vive. Avec une intégrale uniforme, vous voulez dire, n’est [ce] pas, une intégrale monogène qui est une fonction régulière de toutes les variables qui y entrent pour chaque valeur finie et réelle de l’argument. Mais je ne comprends pas tout à fait votre démonstration.

Vous avez

Φ(x1x2y1y2)=const.\Phi\left({x_{1}x_{2}y_{1}y_{2}}\right)=\text{const}\text{.}

et vous transformez en

F(XYZ)=const.F\left({XYZ}\right)=\text{const}\text{.}

Soit /

X=φ(t,α)Y=ψ(t,α)Z=χ(t,α)\begin{gathered}X=\varphi\left({t,\alpha}\right)\\ Y=\psi\left({t,\alpha}\right)\\ Z=\chi\left({t,\alpha}\right)\end{gathered}

une surface trajectoire.

Il paraît que vous faites la conclusion que

F(φ(t,α)ψ(t,α)χ(t,α))F\left({\varphi(t,\alpha)\psi(t,\alpha)\chi(t,\alpha)}\right)

soit une constante non seulement par rapport à t, mais de même par rapport à α\alpha. Et voilà ce que je ne comprends pas. Pourriez vous me l’expliquer.

Si vous voulez écrire une note là-dessus, je crois que cela serait fort utile.22endnote: 2 Poincaré appelle intégrale (ou invariant) d’un système d’équations différentielles, toute quantité constante le long des trajectoires solutions du système. Lorsque leur nombre est suffisant, elles permettent d’intégrer complétement le système. Il y a théoriquement autant d’intégrales indépendantes que d’équations dans le système, mais la détermination de certaines d’entre elles est aussi difficile que le problème direct. Dans son mémoire original, Poincaré distinguait parmi ses conclusions, résultats positifs et résultats négatifs. Il soulignait que ces conclusions négatives étaient “pleines d’intérêts, non seulement parce qu’elles font mieux ressortir l’étrangeté des résultats obtenus, mais parce qu’elles peuvent, en vertu précisément de leur nature négative, s’étendre immédiatement au cas plus généraux, tandis que les conclusions positives ne peuvent se généraliser sans une démonstration spéciale” (p. 155-156 de la première impression du mémoire conservé à l’IML ; 1952, 462). La plus importante de ces conclusions négatives peut s’énoncer ainsi :
En dehors de l’intégrale des forces vives, les équations de la dynamique n’admettent en général aucune intégrale qui soit à la fois une fonction analytique et uniforme. (p. 156 de la première impression du mémoire)
Poincaré suppose qu’une telle intégrale Φ\Phi existe. Les équations Φ=\Phi= cte décrivent donc les surfaces trajectoires fermées et parmi celles-ci les surfaces asymptotiques (Poincaré croyait en effet avoir montré que ces dernières étaient fermées). Les dérivées de l’intégrale doivent s’annuler en tout point de la courbe double de la surface asymptotique. Or comme il y a dans le voisinage d’un point donné une infinité de courbes doubles, “cette fonction Φ\Phi ne saurait être analytique”. Poincaré associe donc à chaque valeur du paramètre, une surface trajectoire mais en aucun cas ne conclut que F(φ(t,α)ψ(t,α)χ(t,α))F\left({\varphi(t,\alpha)\psi(t,\alpha)\chi(t,\alpha)}\right) soit constante par rapport à α\alpha. Dans le mémoire définitif, Poincaré sauvera le résultat de la non-existence d’intégrale uniforme autre que l’intégrale des forces vives dans le cas d’un système à deux degrés de liberté, en considérant le hessien des deux intégrales (Lévy, dir., 1952, 470–475) ; cette démonstration purement analytique est celle qu’il propose dans la note G. Il généralisera cette démonstration dans les Méthodes nouvelles de la mécanique céleste (Poincaré 1892, 233–268).

Aussi je dois vous dire que je ne suis pas encore tout à fait au clair avec votre définition de stabilité.33endnote: 3 Weierstrass émettait des doutes sur la définition de la stabilité d’un système qu’utilise Poincaré (voir § 1-1-70, note 8 et § 1-1-75, note 8).Ne voulez vous pas me résumer votre définition de cette idée fondamentale.

Excusez moi la peine que je vous donne et veuillez présenter les hommages respectueux de Madame Mittag-Leffler et de moi-même à Madame Poincaré.

Tout à vous

Mittag-Leffler

ALS 1p. Mittag-Leffler Archives, Djursholm.

Notes

  • 1 Cette lettre est recopiée par un copiste. Outre l’original, on dispose du brouillon (Brefkoncept 1177).
  • 2 Poincaré appelle intégrale (ou invariant) d’un système d’équations différentielles, toute quantité constante le long des trajectoires solutions du système. Lorsque leur nombre est suffisant, elles permettent d’intégrer complétement le système. Il y a théoriquement autant d’intégrales indépendantes que d’équations dans le système, mais la détermination de certaines d’entre elles est aussi difficile que le problème direct. Dans son mémoire original, Poincaré distinguait parmi ses conclusions, résultats positifs et résultats négatifs. Il soulignait que ces conclusions négatives étaient “pleines d’intérêts, non seulement parce qu’elles font mieux ressortir l’étrangeté des résultats obtenus, mais parce qu’elles peuvent, en vertu précisément de leur nature négative, s’étendre immédiatement au cas plus généraux, tandis que les conclusions positives ne peuvent se généraliser sans une démonstration spéciale” (p. 155-156 de la première impression du mémoire conservé à l’IML ; 1952, 462). La plus importante de ces conclusions négatives peut s’énoncer ainsi : En dehors de l’intégrale des forces vives, les équations de la dynamique n’admettent en général aucune intégrale qui soit à la fois une fonction analytique et uniforme. (p. 156 de la première impression du mémoire) Poincaré suppose qu’une telle intégrale Φ\Phi existe. Les équations Φ=\Phi= cte décrivent donc les surfaces trajectoires fermées et parmi celles-ci les surfaces asymptotiques (Poincaré croyait en effet avoir montré que ces dernières étaient fermées). Les dérivées de l’intégrale doivent s’annuler en tout point de la courbe double de la surface asymptotique. Or comme il y a dans le voisinage d’un point donné une infinité de courbes doubles, “cette fonction Φ\Phi ne saurait être analytique”. Poincaré associe donc à chaque valeur du paramètre, une surface trajectoire mais en aucun cas ne conclut que F(φ(t,α)ψ(t,α)χ(t,α))F\left({\varphi(t,\alpha)\psi(t,\alpha)\chi(t,\alpha)}\right) soit constante par rapport à α\alpha. Dans le mémoire définitif, Poincaré sauvera le résultat de la non-existence d’intégrale uniforme autre que l’intégrale des forces vives dans le cas d’un système à deux degrés de liberté, en considérant le hessien des deux intégrales (Lévy, dir., 1952, 470–475) ; cette démonstration purement analytique est celle qu’il propose dans la note G. Il généralisera cette démonstration dans les Méthodes nouvelles de la mécanique céleste (Poincaré 1892, 233–268).
  • 3 Weierstrass émettait des doutes sur la définition de la stabilité d’un système qu’utilise Poincaré (voir § 1-1-70, note 8 et § 1-1-75, note 8).

Références

  • J. R. Lévy (Ed.) (1952) Œuvres d’Henri Poincaré, Volume 7. Gauthier-Villars, Paris. link1 Cited by: endnote 2.
  • H. Poincaré (1892) Les méthodes nouvelles de la mécanique céleste, Volume 1. Gauthier-Villars, Paris. link1 Cited by: endnote 2.