2-48. Alfred Potier

Alfred Potier (1840–1905) entre en 1857 à l’École polytechnique, où son oncle Gabriel Lamé (1795–1870) est examinateur et ancien professeur de physique. En 1867 Potier devient répétiteur de physique à la même école, et lorsque Henri Poincaré y devient étudiant en 1873, il sera parmi ses élèves. En 1881, Potier remplace Jules Jamin dans la chaire de physique. Dix ans plus tard, il devient membre de la section de physique générale à l’Académie des sciences de Paris.11endnote: 1 Potier fut élu le 23 novembre, 1891 (Institut de France, 1968, 449). Sur la vie et les travaux de Potier, voir la notice nécrologique de Poincaré (1905), qui fut rééditée dans les Mémoires de Potier (Blondel 1912, v–x). Toutefois, ce dernier ouvrage, lourdement édité par André Blondel, est peu fiable.

Dans ses travaux, Potier s’attache à montrer la pertinence des conceptions de Fresnel sur la structure du rayonnement, et est parmi les premiers – avec Poincaré – à s’intéresser aux théories de Maxwell. Il a contribué à faire connaître la méthode d’intégration des équations à coefficients périodiques qui correspondent à la propagation de la lumière dans les milieux cristallins. On lui doit également l’explication du pouvoir rotatoire magnétique (effet Faraday).

Les premières lettres de la correspondance entre Potier et Poincaré concernent une discussion à caractère polémique sur une expérience d’Otto Wiener (1890) à la Kaiser-Wilhelm-Universität de Strasbourg. En éclairant par un faisceau étendu une surface métallique sous l’incidence de 45°, Wiener photographie le système de franges correspondant aux interférences entre la lumière incidente et la lumière réfléchie. Il est alors en mesure d’en conclure que, conformément au modèle de Fresnel et en contradiction avec ceux de Franz Neumann (1835) et de James MacCullagh (1848), la vibration transversale de l’éther est perpendiculaire au plan de polarisation : c’est donc le vecteur électrique de la théorie électromagnétique de Maxwell qui est dans la même direction que la direction de vibration de l’éther. Mais à l’Académie des sciences de Paris, Poincaré soutient que l’expérience de Wiener n’est pas décisive (Poincaré 1891a, 1891b), et il se heurte au point de vue commun de Cornu et de Potier (1891), qui estiment pertinentes les conclusions que Wiener tire de ses expériences.

L’échange épistolaire le plus important entre Poincaré et Potier concerne l’interprétation des expériences de Victor Crémieu, qui mettaient en cause, selon Poincaré, les “idées anciennes” de Heinrich Hertz. Potier (1900) ne voit pas de contradiction entre les résultats de Crémieu et la théorie de Maxwell, alors que Poincaré croit que certaines expériences de Crémieu donnent tort à Maxwell (et à la théorie des électrons de H.A. Lorentz). En fait, Crémieu n’arrivait pas à mettre en évidence l’effet de Rowland. A la différence de Potier, Poincaré (1901) se sert de la théorie des électrons de Lorentz pour comprendre l’effet de Rowland :

D’après la théorie de Lorentz, les courants de conduction eux-mêmes seraient de véritables courants de convection : l’électricité serait indissolublement attachée à certaines particules appelées électrons; ce serait la circulation de ces électrons à travers les corps qui produirait les courants voltaïques, et ce qui distinguerait les conducteurs des isolants, c’est que les uns se laisseraient traverser par ces électrons, tandis que les autres arrêteraient leurs mouvements. La théorie de Lorentz est très séduisante, elle donne une explication très simple de certains phénomènes dont les anciennes théories, même celle de Maxwell sous sa forme primitive, ne peuvent rendre compte d’une façon satisfaisante, par exemple, l’aberration de la lumière, l’entraînement partiel des ondes lumineuses, la polarisation magnétique, et l’effet de Zeeman.

Potier n’admettra jamais la théorie des électrons, et il reste, malgré les arguments de Poincaré, convaincu de l’erreur de Crémieu sur les plans théorique et expérimental. Il n’a pas saisi le sens physique de la définition opérationnelle par Poincaré du “temps local” de Lorentz, comme le montre sa lettre à Poincaré du début décembre, 1900 (§ 2-48-7). D’autres physiciens avaient du mal à comprendre sa définition, sans doute. Bien auparavant, Potier (1874) a remarqué que les lois de la réfraction sont insensibles au mouvement des corps transparents. Si on néglige les effets de deuxième ordre en v/cv/c, Potier a raisonné alors, le temps que prend un rayon lumineux pour traverser un corps transparent de longueur \ell en mouvement de vitesse vv par rapport à l’éther est augmenté de v/c2\ell v/c^{2}, par rapport au même corps au repos (en désignant la vitesse de propagation de la lumière dans le vide par cc).

A cette époque, Poincaré fut élève à l’École polytechnique, où Potier fut employé comme répétiteur de physique. Comme Poincaré s’en souvenait en 1910, avec un autre élève il a essayé de mettre en évidence le mouvement de la terre par rapport à l’éther (Walter, 1999, 58). Potier a-t-il joué un rôle dans l’expérience d’optique de Poincaré dans ses années d’études? S’en souvenaient-ils en 1900, lorsqu’ils cherchaient tous les deux à comprendre la signification physique du temps local de Lorentz ?

Potier mourut le 8 mai, 1905, et lorsque Poincaré a rédigé sa nécrologie (publiée le 27 mai), il salua la contribution de Potier au principe de relativité, en pensant peut-être à la contribution de Potier (1874) :

Une question des plus délicates a également occupé Potier. L’aberration des étoiles fixes et les expériences de Fizeau nous montrent que l’éther n’est pas entraîné par la matière; comment se fait-il alors que ce mouvement relatif de l’éther et du globe terrestre ne puisse être mis en évidence par aucune expérience d’optique ? Potier a fait faire à cette question un pas considérable; et il a fallu attendre Lorentz pour qu’elle en fît un nouveau qui nous à tellement rapprochés de la solution que nous la touchons presque. (Poincaré, 1905)

Time-stamp: "25.01.2024 21:48"

Notes

  • 1 Potier fut élu le 23 novembre, 1891 (Institut de France, 1968, 449). Sur la vie et les travaux de Potier, voir la notice nécrologique de Poincaré (1905), qui fut rééditée dans les Mémoires de Potier (Blondel 1912, v–x). Toutefois, ce dernier ouvrage, lourdement édité par André Blondel, est peu fiable.

Références

  • A. Blondel (Ed.) (1912) Mémoires sur l’électricité et l’optique par A. Potier. Gauthier-Villars, Paris. Cited by: endnote 1.
  • H. Goenner, J. Renn, T. Sauer, and J. Ritter (Eds.) (1999) The Expanding Worlds of General Relativity. Birkhäuser, Boston/Basel. Cited by: S. A. Walter (1999).
  • Institut de France (Ed.) (1968) Index biographique des membres et correspondants de l’Académie des sciences. Gauthier-Villars, Paris. Cited by: endnote 1.
  • J. MacCullagh (1848) An essay towards a dynamical theory of crystalline reflexion and refraction. Transactions of the Royal Irish Academy 21, pp. 17. link1 Cited by: 2-48. Alfred Potier.
  • F. Neumann (1835) Theoretische Untersuchungen der Gesetze, nach welchem das Licht an der Grenze zweier vollkommen durchsichtigen Medien reflectirt und gebrochen wird. Abhandlungen der königlichen Akademie der Wissenschaften in Berlin, pp. 1–160. link1 Cited by: 2-48. Alfred Potier.
  • H. Poincaré (1891a) Sur l’expérience de M. Wiener. Comptes rendus hebdomadaires des séances de l’Académie des sciences de Paris 112, pp. 325–329. link1 Cited by: 2-48. Alfred Potier.
  • H. Poincaré (1891b) Sur la réflexion métallique. Comptes rendus hebdomadaires des séances de l’Académie des sciences de Paris 112 (9), pp. 456–459. link1 Cited by: 2-48. Alfred Potier.
  • H. Poincaré (1901) A propos des expériences de M. Crémieu. Revue générale des sciences pures et appliquées 12, pp. 994–1007. link1 Cited by: 2-48. Alfred Potier.
  • H. Poincaré (1905) M. A. Potier. Éclairage électrique 43 (21), pp. 281–282. link1 Cited by: 2-48. Alfred Potier, endnote 1.
  • A. Potier (1874) Conséquence de la formule de Fresnel relative à l’entraînement de l’éther par les milieux transparents. Journal de physique théorique et appliquée 3, pp. 201–204. link1 Cited by: 2-48. Alfred Potier, 2-48. Alfred Potier.
  • A. Potier (1891) Remarques à l’occasion de la Note de M. Poincaré sur l’expérience de M. O. Wiener. Comptes rendus hebdomadaires des séances de l’Académie des sciences de Paris 112, pp. 383–386. link1 Cited by: 2-48. Alfred Potier.
  • A. Potier (1900) Sur l’effet magnétique de la convection électrique. Éclairage électrique 25, pp. 352–353. link1 Cited by: 2-48. Alfred Potier.
  • S. A. Walter (1999) Minkowski, mathematicians, and the mathematical theory of relativity. See The Expanding Worlds of General Relativity, Goenner et al., Einstein Studies, Vol. 7, pp. 45–86. link1 Cited by: 2-48. Alfred Potier.
  • O. Wiener (1890) Stehende Lichtwellen und die Schwingungsrichtung polarisierten Lichtes. Annalen der Physik und Chemie 40, pp. 203–243. link1 Cited by: 2-48. Alfred Potier.