2-48-7. Alfred Potier to H. Poincaré
[Entre le 05.12.1900 et 15.12.1900]
Mon cher confrère,
Je reçois à l’instant la seconde édition d’Électricité et Optique que vous avez bien voulu m’envoyer ; en la feuilletant, j’y vois des additions considérables, et une mise à jour complète, certainement un sujet de méditation quand je serai débarrassé de mon cours, je vous en remercie.11endnote: 1 Poincaré 1901. L’Académie des sciences de Paris a reçu l’ouvrage lors de sa séance du 10.12.1900 (Comptes rendus hebdomadaires des séances de l’Académie des science 131, 1900, 1017).
J’espère que j’arriverai à penser comme vous au sujet des expériences de M. Crémieu;22endnote: 2 Victor Crémieu cherche sans succès à mettre en évidence l’effet magnétique des courants de convection (l’effet Rowland). A la différence de Potier, Poincaré croit que les expériences de Crémieu aurait dû montrer l’effet, et il encourage Potier à conseiller Crémieu dans ses recherches (§ 2-17-6). je voudrais insister sur une idée que je n’ai probablement pas développée assez clairement, sur le rôle du courant de convection prop. dit, c’est à dire des termes que vous appelez , ces termes n’existent que dans la couche de passage entre le métal et l’air, de sorte que quand le courant n’est pas parallèle à cette couche mais la coupe, sa longueur, ou si vous aimez mieux le produit est insignifiant, relativement au reste du courant fermé dont l’élément de surface est l’origine, dans ce sens, on peut dire que la convection ne produit pas de champ, puisque la valeur de ce champ est déterminée par le courant de déplacement dans le diélectrique et le ou les courants de conduction ; mais ceux-ci accompagnent nécessairement la convection, avec un peu de bonne foi et de précision on pourrait l’entendre.33endnote: 3 Les termes , , désignent les composantes de la vitesse de la matière ; , , sont les composantes du courant de conduction, , , sont les composantes du déplacement électrique ; , , sont les composantes des courants de convection et , , les composantes du courant total.
Dans votre livre, vous donnez pour le courant total, (p. 380 et 381), lorsque , , c’est loin de , qu’on devrait avoir pour un conducteur plan se mouvant dans son plan.
Je continue donc à penser que dans les anciennes idées, ces mots, une charge mobile équivaut à un élément de courant, ne s’appliquent qu’à un corps petit balayant l’espace, et qu’il y a des tempéraments minutieux à apporter à cette formule. Ceci en dehors de la complication introduite par les écrans.
Excusez le décousu de ces notes; je n’ai pas réuni par écrit mes idées à ce sujet depuis longtemps, je n’ai pas eu à professer là dessus de sorte que leur coordination est loin d’être parfaite.
Votre bien dévoué,
A. Potier
Je suppose que c’est de propos délibéré que vous n’avez fait allusion à aucune des extraordinaires expériences de M. Turpain.44endnote: 4 A partir des expériences menées dans le cadre de sa thèse (Turpain 1899a), Albert Turpain trouve (Turpain 1899b) que la théorie de Helmholtz rend mieux compte de la propagation des oscillations électriques dans les diélectriques que celle de Maxwell. Ses résultats seront contestés par Camille Gutton, en particulier dans une note (Gutton 1901) présentée par Poincaré à l’Académie des sciences de Paris le 4 mars 1901.
Je vous signale une faute d’impression au lieu de p. 530–532.55endnote: 5 Il s’agit d’évaluer la grandeur de la différence entre le “temps vrai” d’une horloge au repos par rapport à l’éther, et le “temps local” d’un système en mouvement par rapport à l’éther (Poincaré 1901, 530) : “Disons deux mots sur la nouvelle variable : c’est ce que Lorentz appelle le temps local. En un point donné et ne différeront que par une constante, représentera donc toujours le temps mais l’origine des temps étant différente aux différents points : cela justifie sa dénomination. Quelle est l’ordre de grandeur de ce temps local ? Considérons à cet effet deux horloges situées à 1 kilomètre de distance l’une de l’autre et entraînées dans le mouvement de la terre. D’après la définition du temps local de Lorentz il y aurait une différence dans les indications de ces horloges de secondes.” Lorentz (1895) a introduit une quantité abstraite désignée “Ortszeit”, telle que ce “temps local” diffère du temps réel par une quantité qui dépend du lieu , de la vitesse par rapport à l’éther , et de la vitesse de la lumière dans le vide : . La valeur numérique donnée par Potier indique qu’il prend pour la vitesse de la lumière la vitesse du système par rapport à l’éther, . Poincaré semble se servir de la vitesse orbitale de la Terre, ce qui voudrait dire que le Soleil est au repos par rapport à l’éther. La synchronisation optique des horloges est abordée par Poincaré dans un article paru en 1900 (Poincaré 1900), dans lequel il définit le temps local de telle façon que l’“erreur” qui résulte d’une synchronisation optique des horloges (qui ignore le mouvement de la Terre) est égale (au premier ordre d’approximation en ) à la différence entre le temps vrai et le temps local, c’est-à-dire, . Sur cette définition, voir Walter (2014). En 1907, Poincaré a partagé son état d’esprit à ce sujet: “j’ai été victime moi-même de l’illusion tenace qui nous fait croire que nous pensons un espace absolu; j’ai pensé au mouvement de la terre sur son orbite elliptique autour du Soleil, et j’ai admis 30 kilomètres pour sa vitesse. Mais, sa véritable vitesse, je ne la connais pas, je n’ai aucun moyen de la connaître : elle est peut-être 10, 100 fois plus grande et alors la déformation sera 100, 10000 fois plus forte. Pouvons-nous mettre en évidence cette déformation ? Évidemment non …” (1907).
ALS 2p. Collection particulière, Paris 75017.
Time-stamp: "18.01.2023 00:24"
Notes
- 1 Poincaré 1901. L’Académie des sciences de Paris a reçu l’ouvrage lors de sa séance du 10.12.1900 (Comptes rendus hebdomadaires des séances de l’Académie des science 131, 1900, 1017).
- 2 Victor Crémieu cherche sans succès à mettre en évidence l’effet magnétique des courants de convection (l’effet Rowland). A la différence de Potier, Poincaré croit que les expériences de Crémieu aurait dû montrer l’effet, et il encourage Potier à conseiller Crémieu dans ses recherches (§ 2-17-6).
- 3 Les termes , , désignent les composantes de la vitesse de la matière ; , , sont les composantes du courant de conduction, , , sont les composantes du déplacement électrique ; , , sont les composantes des courants de convection et , , les composantes du courant total.
- 4 A partir des expériences menées dans le cadre de sa thèse (Turpain 1899a), Albert Turpain trouve (Turpain 1899b) que la théorie de Helmholtz rend mieux compte de la propagation des oscillations électriques dans les diélectriques que celle de Maxwell. Ses résultats seront contestés par Camille Gutton, en particulier dans une note (Gutton 1901) présentée par Poincaré à l’Académie des sciences de Paris le 4 mars 1901.
- 5 Il s’agit d’évaluer la grandeur de la différence entre le “temps vrai” d’une horloge au repos par rapport à l’éther, et le “temps local” d’un système en mouvement par rapport à l’éther (Poincaré 1901, 530) : “Disons deux mots sur la nouvelle variable : c’est ce que Lorentz appelle le temps local. En un point donné et ne différeront que par une constante, représentera donc toujours le temps mais l’origine des temps étant différente aux différents points : cela justifie sa dénomination. Quelle est l’ordre de grandeur de ce temps local ? Considérons à cet effet deux horloges situées à 1 kilomètre de distance l’une de l’autre et entraînées dans le mouvement de la terre. D’après la définition du temps local de Lorentz il y aurait une différence dans les indications de ces horloges de secondes.” Lorentz (1895) a introduit une quantité abstraite désignée “Ortszeit”, telle que ce “temps local” diffère du temps réel par une quantité qui dépend du lieu , de la vitesse par rapport à l’éther , et de la vitesse de la lumière dans le vide : . La valeur numérique donnée par Potier indique qu’il prend pour la vitesse de la lumière la vitesse du système par rapport à l’éther, . Poincaré semble se servir de la vitesse orbitale de la Terre, ce qui voudrait dire que le Soleil est au repos par rapport à l’éther. La synchronisation optique des horloges est abordée par Poincaré dans un article paru en 1900 (Poincaré 1900), dans lequel il définit le temps local de telle façon que l’“erreur” qui résulte d’une synchronisation optique des horloges (qui ignore le mouvement de la Terre) est égale (au premier ordre d’approximation en ) à la différence entre le temps vrai et le temps local, c’est-à-dire, . Sur cette définition, voir Walter (2014). En 1907, Poincaré a partagé son état d’esprit à ce sujet: “j’ai été victime moi-même de l’illusion tenace qui nous fait croire que nous pensons un espace absolu; j’ai pensé au mouvement de la terre sur son orbite elliptique autour du Soleil, et j’ai admis 30 kilomètres pour sa vitesse. Mais, sa véritable vitesse, je ne la connais pas, je n’ai aucun moyen de la connaître : elle est peut-être 10, 100 fois plus grande et alors la déformation sera 100, 10000 fois plus forte. Pouvons-nous mettre en évidence cette déformation ? Évidemment non …” (1907).
Références
- Sur la propagation des oscillations hertziennes dans l’eau. Comptes rendus hebdomadaires des séances de l’Académie des sciences de Paris 132, pp. 543–545. link1 Cited by: endnote 4.
- Versuch einen Theorie der elektrischen und optischen Erscheinungen in bewegten Körpern. Brill, Leiden. link1 Cited by: endnote 5.
- La théorie de Lorentz et le principe de réaction. Archives néerlandaises des sciences exactes et naturelles 5, pp. 252–278. link1 Cited by: endnote 5.
- Électricité et optique: la lumière et les théories électrodynamiques. Carré et Naud, Paris. link1 Cited by: endnote 1, endnote 5.
- La relativité de l’espace. Année psychologique 13, pp. 1–17. link1 Cited by: endnote 5.
- Recherches expérimentales sur les oscillations électriques. Ph.D. Thesis, Faculté des sciences de Bordeaux, Bordeaux. Cited by: endnote 4.
- Sur la propagation des oscillations électriques dans les milieux diélectriques. Comptes rendus hebdomadaires des séances de l’Académie des sciences de Paris 129, pp. 670–672. link1 Cited by: endnote 4.
- Poincaré on clocks in motion. Studies in History and Philosophy of Modern Physics 47 (1), pp. 131–141. link1, link2 Cited by: endnote 5.