2-56-7. H. Poincaré à William Thomson

Paris, le 26 Décembre 189211endnote: 1 Lettre adressée à Lord Kelvin, Université de Glasgow et réexpédiée à l’adresse suivante : Cliff House, Mont Road, Eastbourne.

Mylord,

J’avais bien remarqué dans le traité de “Thomson et Tait” le passage dont vous me parlez; j’en avais eu l’occasion au moment où je m’occupais des formes d’équilibre d’une masse fluide en rotation.22endnote: 2 Thomson and Tait (1879, 1883). Poincaré répond ici à la lettre de Thomson du 23.12.1892 (§ 2-56-6). Poincaré s’est occupé des formes d’équilibre des masses fluides dans Poincaré (1885); à ce même sujet il s’est entretenu avec G. H. Darwin et A. M. Liapunov.

Mais ici je crois que le cas n’est pas tout à fait le même, du moins en général. Soit

F(α)=0F(\alpha)=0

l’équation aux exposants caractéristiques. Les racines sont deux à deux égales et de signe contraire.

Qu’arrive-t-il quand deux de ces racines deviennent égales ?

Pour nous en rendre compte, soit β\beta un paramètre que nous allons faire varier de telle façon que l’équation puisse s’écrire

F(α,β)=0.F(\alpha,\beta)=0.

Faisons varier β\beta d’une manière continue et supposons que pour β=β0\beta=\beta_{0} deux des valeurs de α\alpha deviennent égales.

Plusieurs cas peuvent se présenter :33endnote: 3 Poincaré (1890, 97) introduit les exposants caractéristiques α\alpha de la manière suivante : soit l’équation différentielle dxidt=Xi\frac{dx_{i}}{dt}=X_{i}xix_{i} est la variable et XiX_{i} une fonction des xix_{i} et de tt. Soit une solution périodique xi=ϕi(t)x_{i}=\phi_{i}(t) , si on forme l’équation aux variations de l’équation différentielle en posant xi=ϕi(t)+ξi,x_{i}=\phi_{i}(t)+\xi_{i}, on peut alors écrire dξidt=dXidx1ξ1+dXidx2ξ2++dXidxnξn(i=1,2,,n)\frac{d\xi_{i}}{dt}=\frac{dX_{i}}{dx_{1}}\xi_{1}+\frac{dX_{i}}{dx_{2}}\xi_{2}+% \ldots+\frac{dX_{i}}{dx_{n}}\xi_{n}\qquad(i=1,2,\dots,n) et les solutions particulières seront : ξ1\displaystyle\xi_{1} =eα1tS11,\displaystyle=e^{\alpha_{1}t}S_{11}, ξ2\displaystyle\xi_{2} =eα1tS21,\displaystyle=e^{\alpha_{1}t}S_{21}, ,\displaystyle\dots, ξn\displaystyle\xi_{n} =eα1tSn1\displaystyle=e^{\alpha_{1}t}S_{n1} ξ1\displaystyle\xi_{1} =eα2tS12,\displaystyle=e^{\alpha_{2}t}S_{12}, ξ2\displaystyle\xi_{2} =eα2tS22,\displaystyle=e^{\alpha_{2}t}S_{22}, ,\displaystyle\dots, ξn\displaystyle\xi_{n} =eα2tSn2\displaystyle=e^{\alpha_{2}t}S_{n2} \displaystyle\dots\dots\dots ξ1\displaystyle\xi_{1} =eαntS1n,\displaystyle=e^{\alpha_{n}t}S_{1n}, ξ2\displaystyle\xi_{2} =eαntS2n,\displaystyle=e^{\alpha_{n}t}S_{2n}, ,\displaystyle\dots, ξn\displaystyle\xi_{n} =eαntSnn.\displaystyle=e^{\alpha_{n}t}S_{nn}. Le caractère périodique est lié à l’existence d’exposants caractéristiques α\alpha complexes. Poincaré montre en outre que si les coefficients de stabilité α2\alpha^{2} sont distincts, réels et négatifs, ces solutions sont stables. Si, dans son mémoire, Poincaré affirme que dans les autres cas “il n’y a pas en général de stabilité temporaire” (102), il est moins affirmatif.

pour β<β0\beta<\beta_{0}, α\alpha^{\prime} et α-\alpha^{\prime} sont de la forme α′′1\alpha^{\prime\prime}\sqrt{-1} de telle sorte que leur carré soit réel négatif; stabilité pour β>β0\beta>\beta_{0}, α\alpha^{\prime} et α-\alpha^{\prime} sont réels ; instabilité pour β=β0\beta=\beta_{0}, α=α=0\alpha^{\prime}=-\alpha^{\prime}=0 ; je crois que dans ce cas il y a en général instabilité.

2° cas ; pour β<β0\beta<\beta_{0}, α\alpha^{\prime}, α′′\alpha^{\prime\prime}, α-\alpha^{\prime}, α′′-\alpha^{\prime\prime} sont purement imaginaires (et leur carré réel négatif) stabilité ; il en est encore de même pour β>β0\beta>\beta_{0}, stabilité.

Mais pour β=β0\beta=\beta_{0}, α=α′′\alpha^{\prime}=\alpha^{\prime\prime}, α=α′′-\alpha^{\prime}=-\alpha^{\prime\prime}, dans ce cas il y a encore stabilité même pour β=β0\beta=\beta_{0} ; c’est à ce cas que se rapporte la remarque à laquelle vous faites allusion.

3° cas ; pour β<β0\beta<\beta_{0}, α\alpha^{\prime}, α′′\alpha^{\prime\prime}, α-\alpha^{\prime}, α′′-\alpha^{\prime\prime} sont purement imaginaires (et leur carré réel négatif) stabilité ; pour β>β0\beta>\beta_{0}, α\alpha^{\prime}, α′′\alpha^{\prime\prime}, α-\alpha^{\prime}, α′′-\alpha^{\prime\prime} sont complexes et imaginaires conjugués deux à deux (et leur carré imaginaire) instabilité.

Pour β=β0\beta=\beta_{0}, α=α′′\alpha^{\prime}=\alpha^{\prime\prime}, α=α′′-\alpha^{\prime}=-\alpha^{\prime\prime} ; dans ce cas je crois qu’il y a instabilité pour β=β0\beta=\beta_{0}.

Dans les théorèmes de statique et dans un grand nombre de problèmes de mécanique, les valeurs de α2\alpha^{2} sont essentiellement réelles et le 3° cas ne peut jamais se présenter.

Mais je crois qu’il n’en est pas toujours ainsi, il peut arriver que les α2\alpha^{2} deviennent imaginaires ; et la remarque du traité de Philosophie Naturelle ne s’applique plus.44endnote: 4 Thomson and Tait (1879, 381).

Je serais heureux si vous vouliez bien examiner la question et me dire si vous partagez mon sentiment.

Veuillez agréer, Mylord, l’hommage de ma respectueuse admiration pour votre talent,

Poincaré

ALS 4p. Add7342, Cambridge University Library.

Time-stamp: "20.07.2023 00:45"

Notes

  • 1 Lettre adressée à Lord Kelvin, Université de Glasgow et réexpédiée à l’adresse suivante : Cliff House, Mont Road, Eastbourne.
  • 2 Thomson and Tait (1879, 1883). Poincaré répond ici à la lettre de Thomson du 23.12.1892 (§ 2-56-6). Poincaré s’est occupé des formes d’équilibre des masses fluides dans Poincaré (1885); à ce même sujet il s’est entretenu avec G. H. Darwin et A. M. Liapunov.
  • 3 Poincaré (1890, 97) introduit les exposants caractéristiques α\alpha de la manière suivante : soit l’équation différentielle dxidt=Xi\frac{dx_{i}}{dt}=X_{i}xix_{i} est la variable et XiX_{i} une fonction des xix_{i} et de tt. Soit une solution périodique xi=ϕi(t)x_{i}=\phi_{i}(t) , si on forme l’équation aux variations de l’équation différentielle en posant xi=ϕi(t)+ξi,x_{i}=\phi_{i}(t)+\xi_{i}, on peut alors écrire dξidt=dXidx1ξ1+dXidx2ξ2++dXidxnξn(i=1,2,,n)\frac{d\xi_{i}}{dt}=\frac{dX_{i}}{dx_{1}}\xi_{1}+\frac{dX_{i}}{dx_{2}}\xi_{2}+% \ldots+\frac{dX_{i}}{dx_{n}}\xi_{n}\qquad(i=1,2,\dots,n) et les solutions particulières seront : ξ1\displaystyle\xi_{1} =eα1tS11,\displaystyle=e^{\alpha_{1}t}S_{11}, ξ2\displaystyle\xi_{2} =eα1tS21,\displaystyle=e^{\alpha_{1}t}S_{21}, ,\displaystyle\dots, ξn\displaystyle\xi_{n} =eα1tSn1\displaystyle=e^{\alpha_{1}t}S_{n1} ξ1\displaystyle\xi_{1} =eα2tS12,\displaystyle=e^{\alpha_{2}t}S_{12}, ξ2\displaystyle\xi_{2} =eα2tS22,\displaystyle=e^{\alpha_{2}t}S_{22}, ,\displaystyle\dots, ξn\displaystyle\xi_{n} =eα2tSn2\displaystyle=e^{\alpha_{2}t}S_{n2} \displaystyle\dots\dots\dots ξ1\displaystyle\xi_{1} =eαntS1n,\displaystyle=e^{\alpha_{n}t}S_{1n}, ξ2\displaystyle\xi_{2} =eαntS2n,\displaystyle=e^{\alpha_{n}t}S_{2n}, ,\displaystyle\dots, ξn\displaystyle\xi_{n} =eαntSnn.\displaystyle=e^{\alpha_{n}t}S_{nn}. Le caractère périodique est lié à l’existence d’exposants caractéristiques α\alpha complexes. Poincaré montre en outre que si les coefficients de stabilité α2\alpha^{2} sont distincts, réels et négatifs, ces solutions sont stables. Si, dans son mémoire, Poincaré affirme que dans les autres cas “il n’y a pas en général de stabilité temporaire” (102), il est moins affirmatif.
  • 4 Thomson and Tait (1879, 381).

Références

  • H. Poincaré (1885) Sur l’équilibre d’une masse fluide animée d’un mouvement de rotation. Acta mathematica 7 (1), pp. 259–380. link1 Cited by: endnote 2.
  • H. Poincaré (1890) Sur le problème des trois corps et les équations de la dynamique. Acta mathematica 13, pp. 1–270. link1 Cited by: endnote 3.
  • W. Thomson and P. G. Tait (1879) Treatise on Natural Philosophy, Volume 1, Part 1. Cambridge University Press, Cambridge. link1 Cited by: endnote 2, endnote 4.
  • W. Thomson and P. G. Tait (1883) Treatise on Natural Philosophy, Volume 1, Part 2. Cambridge University Press, Cambridge. link1 Cited by: endnote 2.