2-2. Svante Arrhenius

Svante Arrhenius (1859–1927) fit ses études à l’Université d’Uppsala à partir de 1876, où il soutint en 1884 une thèse intitulée “Recherches sur la conductibilité galvanique des électrolytes.” Il enseigna la chimie physique à Uppsala, puis obtint une bourse d’études, ce qui lui permit de se rendre en 1886 auprès de Wilhelm Ostwald à Riga, Friedrich Kohlrausch à Würzburg, Ludwig Boltzmann à Graz (1887), et J.H. van’t Hoff à Amsterdam (1888). Les contributions d’Arrhenius pendant ces années de mobilité à la théorie de la dissociation des électrolytes (comme on l’appellera plus tard) lui ont valu la chaire de physique générale à la Högskola de Stockholm en 1895, et le prix Nobel de chimie en 1903. Afin de prévenir son expatriation à Berlin, l’Académie royale suédoise des sciences (dont il fut membre depuis 1901) le nomma directeur du nouveau département de chimie physique de l’Institut Nobel en 1905. Il fut élu correspondant de l’Académie des sciences de Paris le 13 mars 1911, dans la section de physique générale.11endnote: 1 Académie des sciences (1979); Crawford (1989, 237; 1996, 217). À propos de la nomination d’Arrhenius à la Högskola, voir (§ 1-1-130). Sur la vie et les travaux d’Arrhenius, voir Snelders (1970), Crawford (1996), et Holmberg (1999).

Au début du XXe siècle Arrhenius rédigea le premier traité de ce qu’il appelait la “physique cosmique” – le Lehrbuch der kosmische Physik (Arrhenius 1903a, 1903b) – qui abordait des sujets liés à la science du globe terrestre, comme l’astronomie, l’astrophysique, l’océanographie, la géophysique, et la météorologie. Dans une version abrégée de ce traité destiné au grand public, Arrhenius s’intéressa en outre aux questions cosmologiques, dont la finitude et la mort calorifique de l’univers.22endnote: 2 Arrhenius 1908, 1910. Sur l’émergence de la physique cosmique, voir la discussion de Kragh (2013). Poincaré fut sceptique par rapport aux idées cosmologiques d’Arrhenius. Il s’intéressait aux conséquences du théorème de recurrence sur l’avenir de l’univers depuis le début des années 1890 au moins (Poincaré, 1893). Dans ce même cadre, Ernst Zermelo (1896) a mis en question la théorie de Boltzmann du fondement moléculaire de la deuxième loi de la thermodynamique. Puis en 1907, lorsque Poincaré a commencé à appliquer la mécanique statistique pour comprendre la structure de l’univers stellaire, il a cherché à comprendre “l’irréversibilité de l’univers” dans ce nouveau cadre théorique (Poincaré, 1907).33endnote: 3 A propos de l’échange entre Zermelo et Boltzmann, et le concept du “retour éternel” de Nietzsche, voir Brush (1981).

Poincaré a eu l’occasion de croiser Arrhenius lors du Congrès des arts et sciences à Saint Louis en septembre 1904, quelques temps avant la publication par Arrhenius de sa théorie de l’échange d’énergie entre les étoiles et les nébuleuses. Cette dernière théorie fut l’occasion pour Poincaré d’imaginer son “démon d’Arrhenius”, analogue au “démon de Maxwell”.44endnote: 4 Poincaré 1911a; 1911b, chapitre 11. Au sujet de l’approche statistique en cosmologie, voir aussi la correspondance entre Poincaré et l’astronome Aloys Verschaffel (§ 3-45-1).

Les circonstances précises de cette critique de Poincaré sont inconnues, alors qu’Arrhenius s’est rendu à Paris dans la première quinzaine de mars, 1911, afin d’y prononcer cinq conférences, dont une devant la Société française de physique, le jour même de son éléction comme Correspondant de la section de physique générale à l’Académie des sciences de Paris, le 13 mars. Parmi les thèmes abordés par Arrhenius lors de son séjour à Paris se trouvent la théorie moléculaire, la deuxième loi de la thermodynamique, et la variation temporelle du climat terrestre (Arrhenius 1912). Vraisemblablement, Poincaré a assisté à une de ces conférences, au moins.

Arrhenius, rentré à Stockholm, a formulé une réponse aux critiques de Poincaré dans une lettre du 19 décembre, 1911, que nous publions ici (§ 2-2-1). Dans cette lettre, Arrhenius remercie Poincaré de la “grand aimabilité” [sic] dont il a fait preuve à son encontre “dans l’année à peu près passée”.

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Notes

  • 1 Académie des sciences (1979); Crawford (1989, 237; 1996, 217). À propos de la nomination d’Arrhenius à la Högskola, voir (§ 1-1-130). Sur la vie et les travaux d’Arrhenius, voir Snelders (1970), Crawford (1996), et Holmberg (1999).
  • 2 Arrhenius 1908, 1910. Sur l’émergence de la physique cosmique, voir la discussion de Kragh (2013).
  • 3 A propos de l’échange entre Zermelo et Boltzmann, et le concept du “retour éternel” de Nietzsche, voir Brush (1981).
  • 4 Poincaré 1911a; 1911b, chapitre 11. Au sujet de l’approche statistique en cosmologie, voir aussi la correspondance entre Poincaré et l’astronome Aloys Verschaffel (§ 3-45-1).

Références

  • Académie des sciences de Paris (Ed.) (1979) Index biographique de l’Académie des sciences, 1666 à 1978. Gauthier-Villars, Paris. Cited by: endnote 1.
  • S. Arrhenius (1903a) Lehrbuch der kosmischen Physik, Volume 1. Hirzel, Leipzig. link1 Cited by: 2-2. Svante Arrhenius.
  • S. Arrhenius (1903b) Lehrbuch der kosmischen Physik, Volume 2. Hirzel, Leipzig. link1 Cited by: 2-2. Svante Arrhenius.
  • S. Arrhenius (1908) Worlds in the Making: The Evolution of the Universe. Harper, New York. link1 Cited by: endnote 2.
  • S. Arrhenius (1910) L’évolution des mondes. Librairie polytechnique, Paris. link1 Cited by: endnote 2.
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  • Frängsmyr, Tore (Ed.) (1989) Science in Sweden: The Royal Swedish Academy of Sciences, 1739–1989. Science History Publications, Canton, MA. Cited by: E. Crawford (1989).
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  • H. Poincaré (1911a) Le démon d’Arrhénius. See Hommage à Louis Olivier, Langlois et al., pp. 281–287. link1 Cited by: endnote 4.
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