1-1-63. H. Poincaré à Gösta Mittag-Leffler

[25/7/1887] 11endnote: 1 Date du cachet de la poste de Paris. Paris-25 juillet — Lenk-26 juillet.

Mon cher ami,

J’ai l’honneur de vous adresser aujourd’hui sous pli recommandé le mémoire de M. Heun et ma réponse à M. Thomé.22endnote: 2 Poincaré 1887, 1928, 333–335. Dans les deux articles (1885, 1928, 226–289; 1886, 1928, 290–332) concernés par les critiques de Thomé, Poincaré s’intéresse à l’étude des intégrales des équations linéaires dans le voisinage d’un point singulier donné (voir § 1-1-52, note). Après avoir étudié la notion de développement asymptotique et défini les séries normales en un point singulier irrégulier, Poincaré précise que si on peut faire correspondre à chaque point singulier une intégrale, celle-ci ne reste pas la même quand l’argument de x varie. Il conclut : Comme à un point singulier correspond toujours la même série normale, il en résulte que la même série normale ne représentera pas asymptotiquement la même intégrale quand l’argument x variera, si ce n’est dans des cas exceptionnels. (1928, 303) Puis, en étudiant la transformée de Laplace de l’équation différentielle, Poincaré obtient un critère de convergence des séries normales : […] pour qu’une série normale converge, il faut et il suffit que l’intégrale viv_{i} qui qui lui correspond dans la transformée de Laplace, soit égale à une fonction holomorphe multipliée par une puissance de (zai)(z-a_{i}). (1928, 310–311) Thomé (1887) considère les résultats obtenus par Poincaré comme peu intéressants. En particulier, il insiste sur le fait que la connaissance des développements asymptotiques des intégrales n’est d’aucun intérêt pour la détermination des coefficients du développement en série de ces solutions : Was den Gebrauch der formalen divergenten Entwickelungen angeht, so ist hervorzuheben, dass, wie sich an Beispielen nachweisen lässt, die Exponenten in divergenten, von Herrn Poincaré behandelten Entwickelungen zu den Exponenten in den wirklich vorhandenen Entwickelungen in keiner Beziehung stehen. Die Natur der letzteren Exponenten, der Umstand, ob dieselben ganzzahlig, rational, irrational, complex sind, kommt aber bei Beurtheilung der Verzweigung der Integrale wesentlich in Betracht. Divergente Entwickelungen geben daher keinen Aufschluss, wenn es sich um die Beantwortung der ersten Frage in Betreff der Integrale bei einem singulären Punkte handelt, nämlich der Frage nach den Exponenten der Integrale. (Thomé 1887, 203) Thomé étudie alors un exemple qui montre que les coefficients du développement asymptotique peuvent être complétement différents de ceux du développement en série. Puis étudiant le critère de convergence des séries normales, il indique que la vérification des conditions du critère est aussi difficile que la démonstration directe de la convergence : Wenn das Bestehen dieses Theorems vorausgesetzt wird, so ist jedoch in Bezug auf die Frage nach der Convergenz der Entwickelung zu bemerken, dass die Beantwortung dieser Frage durch jenes Theorem auf die Lösung einer im Allgemeinen keineswegs leichteren, sondern eher schwereren Aufgabe hinverwiesen wird. (Thomé 1887, 207) Poincaré (1887, 1928, 333–335) répond d’abord à la seconde critique de Thomé en convenant qu’il est certes aussi difficile de distinguer si la transformée de Laplace de l’équation a une intégrale holomorphe, que de reconnaître si la série normale converge. Par contre, il “estime qu’il n’est pas inutile, quand on est en présence de deux problèmes également insolubles, de montrer qu’ils se ramènent l’un à l’autre” (1928, 334.) Par contre, il n’interprète pas correctement l’autre critique de Thomé : Quant au second théorème [celui qui affirme que les séries normales même divergentes représentent asymptotiquement une des intégrales de l’équation], M. Thomé le regarde comme faux, et cela parce qu’il l’interprète de la façon suivante :
Ce serait toujours la même série normale, quel que soit l’argument avec lequel x croît indéfiniment ; d’où il résulterait que les exposants rir_{i} [ceux de la série normale] devraient être égaux aux exposants ρi\rho_{i} [ceux du développement en série de la solution].
Je n’ai jamais dit une pareille bêtise et M. Thomé me la prête gratuitement. (Appell and Drach, 1928, 335)
Thomé ne dit pas non plus “une pareille bêtise”. Il se contente de dire que les exposants des deux séries n’ont rien à voir les uns avec les autres et que le résultat de Poincaré n’est pas très intéressant.

Le mémoire de M. Heun me paraît intéressant bien que les conclusions n’en ressortent pas assez nettement.33endnote: 3 Voir § 1-1-60.

Votre ami dévoué,

Poincaré

ALS 1p. IML 37, Mittag-Leffler Archives, Djursholm.

Time-stamp: " 7.06.2022 10:58"

Notes

  • 1 Date du cachet de la poste de Paris. Paris-25 juillet — Lenk-26 juillet.
  • 2 Poincaré 1887, 1928, 333–335. Dans les deux articles (1885, 1928, 226–289; 1886, 1928, 290–332) concernés par les critiques de Thomé, Poincaré s’intéresse à l’étude des intégrales des équations linéaires dans le voisinage d’un point singulier donné (voir § 1-1-52, note). Après avoir étudié la notion de développement asymptotique et défini les séries normales en un point singulier irrégulier, Poincaré précise que si on peut faire correspondre à chaque point singulier une intégrale, celle-ci ne reste pas la même quand l’argument de x varie. Il conclut : Comme à un point singulier correspond toujours la même série normale, il en résulte que la même série normale ne représentera pas asymptotiquement la même intégrale quand l’argument x variera, si ce n’est dans des cas exceptionnels. (1928, 303) Puis, en étudiant la transformée de Laplace de l’équation différentielle, Poincaré obtient un critère de convergence des séries normales : […] pour qu’une série normale converge, il faut et il suffit que l’intégrale viv_{i} qui qui lui correspond dans la transformée de Laplace, soit égale à une fonction holomorphe multipliée par une puissance de (zai)(z-a_{i}). (1928, 310–311) Thomé (1887) considère les résultats obtenus par Poincaré comme peu intéressants. En particulier, il insiste sur le fait que la connaissance des développements asymptotiques des intégrales n’est d’aucun intérêt pour la détermination des coefficients du développement en série de ces solutions : Was den Gebrauch der formalen divergenten Entwickelungen angeht, so ist hervorzuheben, dass, wie sich an Beispielen nachweisen lässt, die Exponenten in divergenten, von Herrn Poincaré behandelten Entwickelungen zu den Exponenten in den wirklich vorhandenen Entwickelungen in keiner Beziehung stehen. Die Natur der letzteren Exponenten, der Umstand, ob dieselben ganzzahlig, rational, irrational, complex sind, kommt aber bei Beurtheilung der Verzweigung der Integrale wesentlich in Betracht. Divergente Entwickelungen geben daher keinen Aufschluss, wenn es sich um die Beantwortung der ersten Frage in Betreff der Integrale bei einem singulären Punkte handelt, nämlich der Frage nach den Exponenten der Integrale. (Thomé 1887, 203) Thomé étudie alors un exemple qui montre que les coefficients du développement asymptotique peuvent être complétement différents de ceux du développement en série. Puis étudiant le critère de convergence des séries normales, il indique que la vérification des conditions du critère est aussi difficile que la démonstration directe de la convergence : Wenn das Bestehen dieses Theorems vorausgesetzt wird, so ist jedoch in Bezug auf die Frage nach der Convergenz der Entwickelung zu bemerken, dass die Beantwortung dieser Frage durch jenes Theorem auf die Lösung einer im Allgemeinen keineswegs leichteren, sondern eher schwereren Aufgabe hinverwiesen wird. (Thomé 1887, 207) Poincaré (1887, 1928, 333–335) répond d’abord à la seconde critique de Thomé en convenant qu’il est certes aussi difficile de distinguer si la transformée de Laplace de l’équation a une intégrale holomorphe, que de reconnaître si la série normale converge. Par contre, il “estime qu’il n’est pas inutile, quand on est en présence de deux problèmes également insolubles, de montrer qu’ils se ramènent l’un à l’autre” (1928, 334.) Par contre, il n’interprète pas correctement l’autre critique de Thomé : Quant au second théorème [celui qui affirme que les séries normales même divergentes représentent asymptotiquement une des intégrales de l’équation], M. Thomé le regarde comme faux, et cela parce qu’il l’interprète de la façon suivante : Ce serait toujours la même série normale, quel que soit l’argument avec lequel x croît indéfiniment ; d’où il résulterait que les exposants rir_{i} [ceux de la série normale] devraient être égaux aux exposants ρi\rho_{i} [ceux du développement en série de la solution]. Je n’ai jamais dit une pareille bêtise et M. Thomé me la prête gratuitement. (Appell and Drach, 1928, 335) Thomé ne dit pas non plus “une pareille bêtise”. Il se contente de dire que les exposants des deux séries n’ont rien à voir les uns avec les autres et que le résultat de Poincaré n’est pas très intéressant.
  • 3 Voir § 1-1-60.

Références

  • P. Appell and J. Drach (Eds.) (1928) Œuvres d’Henri Poincaré, Volume 1. Gauthier-Villars, Paris. link1 Cited by: endnote 2.
  • H. Poincaré (1885) Sur les équations linéaires aux différentielles ordinaires et aux différences finies. American Journal of Mathematics 7 (3), pp. 203–258. link1, link2 Cited by: endnote 2.
  • H. Poincaré (1886) Sur les intégrales irrégulières des équations linéaires. Acta mathematica 8 (1), pp. 295–344. link1 Cited by: endnote 2.
  • H. Poincaré (1887) Remarques sur les intégrales irrégulières des équations linéaires (réponse à M. Thomé). Acta mathematica 10 (1), pp. 310–312. link1 Cited by: endnote 2.
  • W. L. Thomé (1887) Bemerkung zur Theorie der linearen Differentialgleichungen. Journal für die reine und angewandte Mathematik 101, pp. 203–208. link1 Cited by: endnote 2.
  • W. Thomson (1887) On the stability of steady and periodic fluid motion. Philosophical Magazine 23, pp. 459–464. link1 Cited by: endnote 2.