2-51-2. Georges Sagnac à H. Poincaré

[Ca. 06–07.1899]11endnote: 1 Une brouillon sans date se trouve aux Archives nationales (AB XIX 3534).

Suisse Sigriswil s/ Gunten (lac de Thun), canton de Berne

Monsieur,

Je m’empresse de répondre à la lettre où vous voulez bien m’indiquer l’explication du phénomène étudié par M. de Nicolaiev.22endnote: 2 W. de Nicolaïève (§ 43); voir (§ 51.1).

Je ne pense pas que M. de Nicolaiev ait d’objection à faire au sujet de la réunion de ses deux premières notes en une seule.

Pour les figures, j’écris à Mr Montreuil de vouloir bien les faire tirer comme il l’a fait souvent pour mes notes aux Comptes Rendus. De cette manière la note de M. de Nicolaiev déposée le lundi paraîtra sans difficulté le samedi suivant avec les figures.

Je ne sais si vous avez été frappé d’une particularité qui me parait importante :

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Quand on enfonce le pôle NN dans le cylindre CC (fig 1) parcouru par un courant suivant ses génératrices, le cylindre CC entre en rotation non seulement s’il est libre mais encore s’il est mécaniquement lié à l’aimant. Dans ce dernier cas l’aimant est entraîné dans le mouvement de rotation du cylindre CC. Mais s’il n’y a pas de lien mécanique entre les deux pièces CC et NSNS, l’aimant NSNS reste immobile; c’est du moins ce que m’a dit M de Nicolaieve dans l’une de ses lettres. C’est là il me semble un bel exemple d’exception à la loi de l’action et de la réaction : l’aimant agit par l’intermédiaire du champ magnétique ambiant pour faire tourner le cylindre CC; mais le cylindre CC n’exerce pas d’action électromagnétique sur l’aimant NSNS, il peut seulement entraîner NSNS lorsque les deux pièces sont mécaniquement liées. Ce résultat pourrait s’énoncer ainsi :

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1° quand un cylindre métallique, parcouru suivant ses génératrices par un courant électrique, tourne autour de son axe, les filets de courant ne sont pas fixes dans l’espace, ils sont entraînés dans le mouvement de rotation du cylindre en même temps que les filets de matière qui les portent. Inversement, si comme dans l’expérience de la fig. 1, un couple magnétique s’exerce sur ces filets de courant, ces filets entraînent dans leur mouvement de rotation la matière qui les porte : tout se passe comme si au lieu d’un cylindre continu on avait une cage cylindrique formée de fils rectilignes parallèles isolés les uns des autres (fig. 2)

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2° quand l’aimant NSNS tourne sur lui-même autour de son axe, les lignes de force magnétique qui émanent du pôle NN ne sont pas entraînées dans le mouvement de rotation de l’aimant, elles sont fixes dans l’espace comme si l’aimant ne tournait pas. Alors quand le cylindre CC tourne chaque génératrice γ\gamma de ce cylindre coupe réellement les lignes de force issues du pôle NN aussi bien si l’aimant NSNS tourne avec le cylindre CCCC que si l’aimant NSNS est fixe (fig. 3)

Peut-être y a-t-il d’autres phénomènes en même temps que les précédents. Toutefois dans ma correspondance avec M. de Nicolaiev j’ai insisté plus d’une fois sur l’intérêt qu’il y aurait de constater un cas de rotation de l’aimant NSNS supposé libre; mais M. de Nicolaieve ne l’a pas observé; dans ses expériences l’aimant NSNS ne tourne que s’il est lié au cylindre.

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Je regrette que M. de Nicolaiev n’ait pas voulu se placer à ce point de vue. Il me semble que son expérience de la 3e note, où il y a deux cylindres CC, CC^{\prime} (fig. 4) s’expliquerait ainsi :33endnote: 3 Il s’agit vraisemblablement de l’expérience décrite par de Nicolaïève (1899).

Le cylindre et le cylindre CC^{\prime} tournant sous l’influence du pôle NN, chacun en sens inverse de l’autre parce qu’ils sont parcourus par des courants l’un ascendant (cylindre CC) l’autre descendant (cylindre CC^{\prime}). Mais l’aimant NSNS ne tourne que parce qu’il est invariablement lié au cylindre CC; il est entraîné mécaniquement par le cylindre CC sans que sa rotation l’empêche d’exercer un couple magnétique sur CC et sur CC^{\prime}; le résultat serait le même si l’on supprimait le cylindre CC^{\prime}.

Je serais bien heureux de savoir si je ne commets pas quelque erreur dans ma manière d’interpréter le résultat de M. de Nicolaiev.44endnote: 4 Poincaré défend le principe de l’égalité de l’action et de la réaction dans sa réponse à Sagnac (§ 51.3). Pardonnez moi, Monsieur, de vous importuner par une aussi longue lettre et veuillez croire à mes sentiments les plus respectueux et les plus dévoués,

G. Sagnac

ALS 5p. Collection particulière, Paris 75017.

Time-stamp: " 3.05.2019 01:30"

Notes

  • 1 Une brouillon sans date se trouve aux Archives nationales (AB XIX 3534).
  • 2 W. de Nicolaïève (§ 43); voir (§ 51.1).
  • 3 Il s’agit vraisemblablement de l’expérience décrite par de Nicolaïève (1899).
  • 4 Poincaré défend le principe de l’égalité de l’action et de la réaction dans sa réponse à Sagnac (§ 51.3).

Références

  • W. d. Nicolaïève (1899) Sur le champ magnétique à l’intérieur d’un cylindre creux parcouru par un courant. Comptes rendus hebdomadaires des séances de l’Académie des sciences de Paris 129, pp. 202–203. link1 Cited by: endnote 3.