1-1-183. H. Poincaré à Gösta Mittag-Leffler

[19.12.1901]11endnote: 1 Date du cachet de la poste de Paris. Paris-19 décembre — Djursholm-22 décembre.

Mon cher ami,

Je m’occuperai de l’affaire Lorentz.22endnote: 2 Il s’agit de la proposition de candidature de Lorentz au prix Nobel de physique; voir Mittag-Leffler à Poincaré, ca. 14.01.1902 (§ 1-1-181). J’espère dès ce soir pouvoir en parler à Cornu.33endnote: 3 Alfred Cornu signera la proposition de Poincaré d’attribuer le prix Nobel à Lorentz; voir Poincaré à Mittag-Leffler, 19 janvier 1902 (§ 1-1-186), et Poincaré au Comité Nobel, 31 janvier 1902 (§ 2-62-7).

Ma femme est tout à fait de votre avis pour la photographie, j’irai poser de nouveau dès que le temps sera favorable. Où en est d’ailleurs la publication de vos Monumenta Mathematica ?44endnote: 4 Voir Mittag-Leffler à Poincaré, 15.10.1900 (§ 1-1-164).

J’ai déjà commencé à m’occuper du mémoire sur les fonctions abéliennes.

Mais quel est le dernier délai pour cet envoi.

Une autre question, vous paraissez connaître déjà le mémoire de Wirtinger ; de quoi traite-t-il au juste ? Je voudrai éviter de me rencontrer avec lui.55endnote: 5 Voir les lettres §§ 1-1-176 et 1-1-181.

D’autre part, Klein m’a dit que Wirtinger avait fait la remarque suivante.

Soit une courbe CC du 5e genre, on peut y construire une courbe CC^{\prime} du 9e genre de telle façon qu’à un point de CC correspondent 2 points de CC^{\prime}. Cette courbe du 9e genre engendrera des fonctions abéliennes à 9 variables ;66endnote: 6 Variante : “de telle façon”. et par une transformation du 2d ordre, ces fonctions abéliennes se transformeront en fonction abéliennes toujours à 9 variables mais de telles façon que la fonction Θ\Theta à 9 variables ainsi obtenue se décompose en deux facteurs dont l’un est une fonction Θ\Theta à 5 variables et l’autre la fonction Θ\Theta la plus générale à 4 variables.

Cela n’est pas très difficile à démontrer et je voudrais en tirer quelques conséquences.77endnote: 7 Soit CC une courbe complexe (lisse et compacte) de genre 5. Tout revêtement double étale et non ramifié de CC f:CCf\,:C^{\prime}\to C est une courbe CC^{\prime} de genre 9. En effet, la formule de Riemann-Hurwitz s’écrit 2(g1)=d[2(g1)+ramification]2(g^{\prime}-1)=d[2(g-1)+\text{ramification}] gg et gg^{\prime} sont les genres des deux courbes complexes et dd le degré du revêtement. Donc, dans le cas qui nous intéresse, g=5g=5, d=2d=2, d’où g=1+2(51)=9.g^{\prime}=1+2(5-1)=9. On peut associer à chaque courbe complexe de genre gg sa Jacobienne, c’est-à-dire le tore complexe g/Δ\mathbb{C}^{g}/\DeltaΔ\Delta est le réseau engendré par les périodes. L’application revêtement ff induit entre les Jacobienne une application J(f)J(f) tel que le diagramme suivant CαJac(C)fJ(f)C𝛼Jac(C)\begin{array}[]{ccc}C^{\prime}&\xrightarrow{\alpha^{\prime}}&\text{Jac}(C^{% \prime})\\ f\downarrow&&\downarrow J(f)\\ C&\xrightarrow{\alpha}&\text{Jac}(C)\end{array} soit commutatif. P:=KerJ(f)P:=\operatorname{Ker}J(f) est une variété abélienne de dimension 4 puisque Jac(C)\operatorname{Jac}(C^{\prime}) est de dimension 9 et Jac(C)\operatorname{Jac}(C) de dimension 5. D’autre part comme le revêtement est double sans ramification, l’application ff est définie par une involution sans point fixe i:CCi\,:C^{\prime}\to C^{\prime} qui induit une involution J(i):Jac(C)Jac(C)J(i):\operatorname{Jac}(C^{\prime})\to\operatorname{Jac}(C^{\prime}) telle que Jac(C)=PJ\operatorname{Jac}(C^{\prime})=P\oplus J P=Ker(J(f))={xJac(C)/J(i)x=x}P=\operatorname{Ker}\left(J(f)\right)=\{x\in\operatorname{Jac}(C^{\prime})/J(i% )x=-x\} et J={xJac(C)/J(i)x=x}J=\{x\in\operatorname{Jac}(C^{\prime})/J(i)x=x\}. Cette décomposition fournit la décomposition des fonctions abéliennes “engendrées” par CC^{\prime} à l’aide de fonctions abéliennes en 5 et 4 variables (celles de JJ et celles de PP).

Mais Wirtinger a-t-il publié cela et d’un autre côté n’en a-t-il pas tiré lui-même des conséquences qui précisément pourraient être les mêmes que celles que j’ai trouvées moi-même.88endnote: 8 Voir Wirtinger (1895), comme Mittag-Leffler le précisa à Poincaré par lettre (§ 1-1-184). Pourriez vous me renseigner sur ce point ?

Votre ami bien dévoué,

Poincaré

ALS 3p. IML 109, Mittag-Leffler Archives, Djursholm.

Time-stamp: "30.08.2020 00:07"

Notes

  • 1 Date du cachet de la poste de Paris. Paris-19 décembre — Djursholm-22 décembre.
  • 2 Il s’agit de la proposition de candidature de Lorentz au prix Nobel de physique; voir Mittag-Leffler à Poincaré, ca. 14.01.1902 (§ 1-1-181).
  • 3 Alfred Cornu signera la proposition de Poincaré d’attribuer le prix Nobel à Lorentz; voir Poincaré à Mittag-Leffler, 19 janvier 1902 (§ 1-1-186), et Poincaré au Comité Nobel, 31 janvier 1902 (§ 2-62-7).
  • 4 Voir Mittag-Leffler à Poincaré, 15.10.1900 (§ 1-1-164).
  • 5 Voir les lettres §§ 1-1-176 et 1-1-181.
  • 6 Variante : “de telle façon”.
  • 7 Soit CC une courbe complexe (lisse et compacte) de genre 5. Tout revêtement double étale et non ramifié de CC f:CCf\,:C^{\prime}\to C est une courbe CC^{\prime} de genre 9. En effet, la formule de Riemann-Hurwitz s’écrit 2(g1)=d[2(g1)+ramification]2(g^{\prime}-1)=d[2(g-1)+\text{ramification}] gg et gg^{\prime} sont les genres des deux courbes complexes et dd le degré du revêtement. Donc, dans le cas qui nous intéresse, g=5g=5, d=2d=2, d’où g=1+2(51)=9.g^{\prime}=1+2(5-1)=9. On peut associer à chaque courbe complexe de genre gg sa Jacobienne, c’est-à-dire le tore complexe g/Δ\mathbb{C}^{g}/\DeltaΔ\Delta est le réseau engendré par les périodes. L’application revêtement ff induit entre les Jacobienne une application J(f)J(f) tel que le diagramme suivant CαJac(C)fJ(f)C𝛼Jac(C)\begin{array}[]{ccc}C^{\prime}&\xrightarrow{\alpha^{\prime}}&\text{Jac}(C^{% \prime})\\ f\downarrow&&\downarrow J(f)\\ C&\xrightarrow{\alpha}&\text{Jac}(C)\end{array} soit commutatif. P:=KerJ(f)P:=\operatorname{Ker}J(f) est une variété abélienne de dimension 4 puisque Jac(C)\operatorname{Jac}(C^{\prime}) est de dimension 9 et Jac(C)\operatorname{Jac}(C) de dimension 5. D’autre part comme le revêtement est double sans ramification, l’application ff est définie par une involution sans point fixe i:CCi\,:C^{\prime}\to C^{\prime} qui induit une involution J(i):Jac(C)Jac(C)J(i):\operatorname{Jac}(C^{\prime})\to\operatorname{Jac}(C^{\prime}) telle que Jac(C)=PJ\operatorname{Jac}(C^{\prime})=P\oplus J P=Ker(J(f))={xJac(C)/J(i)x=x}P=\operatorname{Ker}\left(J(f)\right)=\{x\in\operatorname{Jac}(C^{\prime})/J(i% )x=-x\} et J={xJac(C)/J(i)x=x}J=\{x\in\operatorname{Jac}(C^{\prime})/J(i)x=x\}. Cette décomposition fournit la décomposition des fonctions abéliennes “engendrées” par CC^{\prime} à l’aide de fonctions abéliennes en 5 et 4 variables (celles de JJ et celles de PP).
  • 8 Voir Wirtinger (1895), comme Mittag-Leffler le précisa à Poincaré par lettre (§ 1-1-184).

Références

  • W. Wirtinger (1895) Untersuchungen über Thetafunctionen. Teubner, Leipzig. Cited by: endnote 8.